Essais - Tomes II (suite) et III
291 pages
Français

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Essais - Tomes II (suite) et III , livre ebook

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Description

Les Essais sont l'œuvre majeure de Michel de Montaigne (1533-1592), à laquelle il consacre un labeur d'écriture et de réécriture à partir de 1572 continué pratiquement jusqu'à sa mort. Il traite de tous les sujets possibles, sans ordre apparent : médecine, amour et sexualité, livres, affaires domestiques, histoire ancienne, chevaux, maladie entre autres, auxquels Montaigne mêle des réflexions sur sa propre vie et sur l'Homme, le tout formant "un pêle-mêle où se confondent comme à plaisir les choses importantes et futiles, les côtés vite surannés et l’éternel".

Informations

Publié par
Date de parution 13 avril 2020
Nombre de lectures 30
EAN13 9782381580180
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0002€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

MICHEL DE MONTAIGNE


ESSAIS
TOMES DEUXIÈME (suite) et TROISIÈME


ISBN 9782381580180
© avril 2020
StoryLab éditions
Paris
www.storylab.fr
LIVRE DEUXIÈME.

CHAPITRE XIX.
DE LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE.
Il est ordinaire de veoir les bonnes intentions, si elles sont conduictes sans modération, poulser les hommes à des effects tresvicieux. En ce debat, par lequel la France est à present agitee de guerres civiles, le meilleur et le plus sain party est sans doubte celuy qui maintient et la religion et la police ancienne du païs : entre les gents de bien toutesfois qui le suyvent (car ie ne parle point de ceulx qui s’en servent de pretexte pour, ou exercer leurs vengeances particulières, ou fournir à leur avarice, ou suyvre la faveur des princes ; mais de ceulx qui le font par vray zele envers leur religion, et saincte affection à maintenir la paix et l’estat de leur patrie), de ceulx cy, dis ie, il s’en veoid plusieurs que la passion poulse hors les bornes de la raison, et leur faict par fois prendre des conseils iniustes, violents, et encores temeraires.
Il est certain qu’en ces premiers temps que nostre religion commencea de gaigner auctorité avecques les loix, le zele en arma plusieurs contre toute sorte de livres payens, de quoy les gents de lettres souffrent une merveilleuse perte ; l’estime que ce desordre ayt plus porté de nuisance aux lettres, que touts les feux des barbares : Cornelius Tacitus en est un bon tesmoing ; car quoyque l’empereur Tacitus, son parent, en eust peuplé, par ordonnances expresses, toutes les librairies du monde ; 1 toutesfois un seul exemplaire entier n’a peu eschapper la curieuse recherche de ceulx qui desiroient l’abolir pour cinq ou six vaines clauses contraires à nostre creance.
Ils ont aussi eu cecy, de prester ayseement des louanges faulses à touts les empereurs qui faisoient pour nous, et condamner universellement toutes les actions de ceulx qui nous estoient adversaires, comme il est aysé à veoir en l’empereur Iulian, surnommé l’Apostat. 2 C’estoit, à la verite, un tresgrand homme et rare, comme celuy qui avoit son ame vifvement teincte des discours de la philosophie, ausquels il faisoit profession de regler toutes ses actions ; et de vray, il n’est aulcuné sorte de vertu de quoy il n’ait laissé de tresnotables exemples : En chasteté (de laquelle le cours de sa vie donne bien clair tesmoignage), on lit de luy un pareil traict à celuy d’Alexandre et de Scipion, que de plusieurs tresbelles captifves, il n’en voulut pas seulement veoir une, 3 estant en la fleur de son aage ; car il feut tué par les Partbes, aagé de trente un ans seulement : 4 Quant à la iustice, il prenoit luy mesme la peine d’ouïr les parties ; et encores que par curiosité il s’informast, à ceulx qui se presentoient à luy, de quelle religion ils estoient, toutesfois l’inimitié qu’il portoit à la nostre ne donnoit aulcun contrepoids à la balance : il feit luy mesme plusieurs bonnes loix ; et retrancha une grande partie des subsides et impositions que levoient ses predecesseurs. 5
Nous avons deux bons historiens tesmoings oculaires de ses actions : l’un desquels, Marcellinus, reprend aigrement, en divers lieux de son histoire, 6 cette sienne ordonnance par laquelle il deffendit l’eschole et interdict l’enseigner à touts les rhetoriciens et grammairiens chrestiens, et dict qu’il souhaiteroit cette sienne action estre ensepvelie soubs le silence : il est vraysemblable, s’il eust faict quelque chose de plus aigre contre nous, qu’il ne l’eust pas oublié, estant bien affectionné à nostre party. Il nous estoit aspre, à la vérité, mais non pourtant cruel ennemy ; car nos gents mesmes 7 recitent de luy cette histoire, Que se pourmenant un iour autour de la ville de Chalcedoine, Maris, evesque du lieu, osa bien l’appeler Meschant, Traistre à Christ ; et qu’il n’en feitaultre chose, sauf luy respondre : « Va, miserable, pleure la perte de « tes yeulx ; » à quoy l’evesque encores répliqua : « le rends « grâces à Iesus Christ de m’avoir osté la veue, pour ne « veoir ton visage impudent : » affectant 8 en cela, disent ils, une patience philosophique. Tant y a que ce faict là ne se peult pas bien rapporter aux cruautez qu’on le dict avoir exercees contre nous. « Il estoit, dit Eutropius, 9 « mon aultre tesmoing, ennémy de la chrestienté, mais « sans toucher au sang. »
Et, pour revenir à sa iustice, il n’est rien qu’on y puisse accuser, que les rigueurs de quoy il usa, au commencement de son empire, contre ceulx qui avoient suyvi le party de Constantius, son predecesseur. 10 Quant à sa sobriété, il vivoit tousiours un vivre soldatesque ; et se nourrissoit, en pleine paix, comme celuy qui se preparoit et accoustumoit à l’austerité de la guerre. 11 La vigilance estoit telle en luy, qu’il despartoit la nuict à trois ou à quatre parties, dont la moindre estoit celle qu’il donnoit au sommeil : le reste, il l’employoit à visiter luy mesme en personne l’estat de son armee et ses gardes, ou à estudier ; 12 car, entre aultres siennes rares qualitez, il estoit tresexcellent en toute sorte de littérature. On dict d’Alexandre le grand, qu’estant couché, de peur que le sommeil ne le desbauchast de ses pensements et de ses estudes, il faisoit mettre un bassin iognant son lict, et tenoit l’une de ses mains au dehors, avecques une boulette de cuivre, à fin que, le dormir le surprenant et relaschant les prinses de ses doigts, cette boulette, par le bruict de sa cheute dans le bassin, le reveillast : cettuy cy avoit l’ame si tendue à ce qu’il voulolt, et si peu empeschee de fumees, par sa singulière abstinence, qu’il se passoit bien de cet artifice. 13 Quant à la suffisance militaire, il feut admirable en toutes les parties d’un grand capitaine ; aussi feut il quasi toute sa vie en continuel exercice de guerre, et la pluspart, avecques nous, en France, contre les Allemands et Francons : nous n’avons gueres memoire d’homme qui ayt veu plus de hazards, ny qui ayt plus souvent faict preuve de sa personne.
Sa mort a quelque chose de pareil à celle d’Epaminondas ; car il feut frappé d’un traict, et essaya de l’arracher, et l’eust faict, sans ce que le traict estant trenchant, il se coupa et affoiblit la main. Il demandoit incessamment qu’on le rapportast en ce mesme estat, en la meslee, pour y encourager ses soldats, lesquels contesterent cette battaille sans luy trescourageusement, iusques à ce que la nuict separa les armees. 14 Il debvoit à la philosophie un singulier mespris en quoy il avoit sa vie et les choses humaines : il avoit ferme creance de l’eternité des ames.
En matiere de religion, il estoit vicieux par tout ; on l’a surnommé l’Apostat, pour avoir abandonné la nostre : toutesfois cette opinion me semble plus vraysemblable, Qu’il ne l’avoit iamais eue à cœur, mais que, pour l’obeïssance des loix, il s’estoit feinct iusques à ce qu’il teinst l’empire en sa main. Il feut si superstitieux en la sienne, que ceulx mesmes qui en estoient, de son temps, s’en mocquoient ; et, disoit on, s’il eust gaigné la victoire contre les Parthes, qu’il eust faict tarir la race des bœufs au monde, pour satisfaire à ses sacrifices. 15 Il estoit aussi embabouiné de la science divinatrice, et donnoit auctorité à toute façon de prognostiques. Il dict, entre aultres choses, en mourant, qu’il sçavoit bon gré aux dieux, et les remercioit, de quoy ils ne l’avoient pas voulu tuer par surprinse, l’ayant de long temps adverty du lieu et heure de sa fin, ny d’une mort molle ou lasche, mieulx convenable aux personnes oysifves et delicates, ny languissante, longue, et douloureuse ; et qu’ils l’avoient trouvé digne de mourir de cette noble façon, sur le cours de ses victoires, et en la fleur de sa gloire. 16 Il avoit eu une pareille vision à celle de Marcus Brutus, qui premièrement le menacea en Gaule, et depuis se representa à luy en Perse, sur le poinct de sa mort. 17 Ce langage qu’on lui faict tenir, quand il se sentit frappé : « Tu as vaincu, Nazareen : 18 » ou, comme d’aultres, « Contente toi, Nazareen, » à peine eust il esté oublié, s’il eust esté creu par mes tesmoings, qui, estant présents en l’armée, ont remarqué iusques aux moindres mouvements et paroles de sa fin ; non plus que certains aultres miracles qu’on y attache.
Et pour venir au propos de mon theme, il couvoit, dict Marcellinus, 19 de long temps en son cœur le paganisme ; mais parce que toute son armee estoit de chrestiens, il ne l’osoit descouvrir : enfin, quand il se veit assez fort pour oser publier sa volonté, il feit ouvrir les temples des dieux, et s’essaya par touts moyens de remettre sus l’idolatrie. Pour parvenir à son effect, ayant rencontré, en Constantinople, le peuple descousu, avecques les prélats de l’Eglise chrestienne divisez, les ayant faict venir à luy au palais, il les admonesta i

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