Chronique de Platine : Pour une gastronomie historique
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Description

Jean-Louis Flandrin esquisse ici une véritable histoire du goût et de la fantaisie culinaire qui permet d'éclairer la gastronomie d'aujourd'hui. Recettes et tours de mains, pratiques et usages du passé, manières anciennes de cuisine et de table revivent sous sa plume curieuse et gourmande pour suivre les traces des habitudes d'hier et dessiner la généalogie de nos plaisirs. Jean-Louis Flandrin, spécialiste de l'histoire des mentalités, est professeur à l'université de Paris VIII et directeur de recherche à l'École des hautes études en sciences sociales. Il est l'auteur notamment du Sexe et l'Occident.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 1992
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738163011
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur
Les Amours paysannes :
amour et sexualité dans les campagnes de l’ancienne France
XVI e - XIX e siècles
Gallimard, 1975
 
Le Sexe et l’Occident :
évolution des attitudes et des comportements
Le Seuil, 1981
 
Un temps pour embrasser :
aux origines des la morale sexuelle occidentale
VI e - XI e  siècles
Le Seuil, 1983.
 
Le cuisinier françois
(avec P. Hyman et M. Hyman)
Montalba, 1983
 
Familles :
parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société
Le Seuil, 1984
© O DILE J ACOB , MARS 1992 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN  : 978-2-7381-6301-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
D’honnête volupté *1

La gourmandise est un vilain péché, à l’égal de la luxure : parmi les damnés que l’on va admirer au porche des cathédrales, il en est qui ont le diable au ventre – un masque démoniaque qui grimace, ou ricane, à hauteur de l’estomac – comme d’autres l’ont au bas-ventre. Néanmoins, ce sont les organes sexuels et non les organes digestifs qu’on appelait « parties honteuses », et c’est aux femmes que les ecclésiastiques devaient faire vœu de renoncer, non pas au boire et au manger. Sur les dix livres que Battista Platina, bibliothécaire du pape Sixte IV, a consacrés à l’ Honnête volupté, ne nous étonnons donc pas qu’aucun ne concerne celle que prodigue Vénus, et que neuf, au contraire, traitent des plaisirs de la table.

Volupté à quoi tend Nature
En bonne théologie, cependant, l’honnêteté d’un plaisir dépend moins du sens qu’il flatte que de son intensité, de la délectation avec laquelle on le reçoit, et de sa conformité à la Nature. « Je sais bien, écrit Platina, que plusieurs personnes malveillantes vont m’attaquer et dire que je veux enseigner à vivre en délices et voluptés [...]. En vérité, Dieu me garde de parler de cette volupté que les gens déréglés, dissolus et libidineux tirent du luxe et de la variété des mets, et des titillations de la chair. Ce dont je parle, c’est de la volupté à quoi tend la nature humaine, qui est tempérance et mesure. Que les malveillants, donc [...] se taisent et ne me reprennent plus [...]. Lorsque j’écris des mets, je fais comme Caton, Varron, Columelle, Caelius Appicius, gens de grand savoir et autorité, que j’ai pris pour modèles [...]. J’ai fait ce petit livre pour l’honnête homme soucieux de sa santé et d’hygiène alimentaire, plutôt que de luxe ; et pour montrer aux générations futures les inventions faites de notre temps, lesquelles, si elles ne peuvent nous égaler aux Anciens, témoignent au moins qu’on s’est efforcé de les imiter et de leur ressembler.  »

Que les malveillants se taisent
Taillevent, maître queux de Charles V, n’avait pas eu à se justifier d’écrire un livre de cuisine ; les médecins de l’école de Salerne, au XII e  siècle, ou Arnaud de Villeneuve au XIII e  siècle, avaient pu le faire en restant dans leur rôle de diététiciens ; mais de la part d’un humaniste historien, appliquer sa culture et son intelligence à ces arts du bien-vivre qui font la joie du commun des mortels pouvait attirer de malveillants commentaires. Ce risque aurait-il disparu aujourd’hui, dans une société que l’on dit volontiers hédoniste ? Depuis une vingtaine d’années on a multiplié les études sur l’histoire des espèces cultivées ou du régime alimentaire ; sur la ration calorique qu’absorbaient quotidiennement nos ancêtres ; on a dévoilé les codes socio-poli tiques qui sous-tendent nos préférences gourmandes, et « démystifié » la gastronomie. Dans tous les cas, cependant, l’alimentation reste un objet dont l’histoire, la sociologie, l’anthropologie ou la sémiologie s’emparent pour leur propre bien. Suivre l’exemple de Battista Platina, mettre son savoir au service des arts du bien-vivre, demeure suspect et peu pratiqué. C’est pourtant de cela qu’il s’agit dans cette chronique.

Pour une gastronomie historique
La cuisine d’aujourd’hui, comme la science d’aujourd’hui, est bien éloignée de celle du XV e  siècle ou même du XVIII e . Et pourtant, les apôtres de la « nouvelle cuisine » et autres arbitres de nos plaisirs alimentaires en restent implicitement, lorsqu’ils théorisent, à la Physiologie du goût de Brillat-Savarin – à moins qu’ils ne se jettent dans ces révoltes excessives qui ne font que conforter les autorités établies. Je suis d’avis qu’entre la vieille doctrine physiologique et le libéralisme outrancier il faut dégager les principes d’une gastronomie culturelle, historique, et trouver les règles – provisoires sans doute – qui conviennent à notre personnalité. Il y a certes, dans notre goût, une composante naturelle, physiologique, stable : noix sur raisins, cela pique, on n’y peut rien. Mais si nous n’apprécions guère l’usage lapon de mettre en guise de sucre de la graisse de renne dans le café, ce n’est pas que les Lapons soient des sauvages ignorant les règles du bon goût, ni que nous soyons obtus : c’est que nous sommes conditionnés différemment par notre milieu naturel et par nos traditions. Ces conditionnements, il importe de les connaître, de les analyser, de comprendre comment ils se modifient. Il faut discerner le stable du mouvant, le naturel du culturel, savoir quelle latitude notre culture nous permet d’accorder à la fantaisie culinaire, et donner ainsi une assise nouvelle à la gastronomie d’aujourd’hui.

Premiers pas
Cette perspective une fois dessinée, qu’on ne s’attende pas à trouver dans cette chronique un exposé suivi des nouveaux principes. Nous n’en sommes encore qu’à rassembler le matériau historique qui devrait permettre de les formuler un jour. En attendant, et pour notre plaisir commun, voici des textes et des images, des analyses, des réflexions ou sentiments personnels et des discussions – je l’espère – autour de vos lettres, des expériences culinaires et des enquêtes auprès de ceux – grands cuisiniers, viticulteurs, cultivateurs ou boulangers – qui tentent ou ont tenté de ressusciter des recettes anciennes. Aujourd’hui, je soumets à votre gourmandise quelques recettes italiennes du XV e  siècle empruntées à notre ancêtre éponyme, le vrai Platine.
Platine
Platine l’ancien

Battista Platina – de son vrai nom Bartolomeo Sacchi – est né en 1421 près de Crémone. Le nom sous lequel il s’est illustré ne doit rien au platine, métal qui n’a été découvert qu’un siècle plus tard : c’est la forme latinisée de Piadena, nom de son village natal. Après avoir suivi quatre ans la carrière des armes, il s’adonna à l’étude des lettres à Mantoue. Entré au service du cardinal de Gonzague, il le suivit à Rome. Là, il obtint du pape Pie II une charge d’abréviateur, c’est-à-dire de clerc de la chancellerie pontificale. Lorsque Paul II, son successeur, supprima le collège des abréviateurs, Platina le menaça d’en appeler à un concile, ce qui le fit jeter en prison. Libéré au bout de quatre mois, il devint ensuite membre de l’académie fondée par Pomponius Laetus. Celle-ci ayant été dénoncée comme une réunion d’incrédules conjurés contre l’Église, Platina fut de nouveau arrêté, mis à la torture et détenu pendant un an. Relâché en 1469, ce n’est cependant qu’à l’avènement de Sixte IV, en 1475, qu’il retrouve la faveur pontificale et devient bibliothécaire du Vatican. Il est mort dans sa charge, en 1481.

Historien, philosophe et gastronome
Battista Platina est l’auteur de nombreux ouvrages latins, dont la plupart traitent d’histoire. Parmi les plus connus, il faut citer son histoire des papes, l’histoire de la ville de Mantoue, et sa vie de Victoria de Feltre. Mais il a aussi touché à la rhétorique et à la philosophie, comme en témoignent son De flosculis quibusdam linguae latinae et ses dialogues Contra amores et De falso et vero bono, dialogues à rapprocher du traité de Laurent Valla sur la volupté et le vrai bien. C’est dans ce contexte autant que dans la tradition des traités culinaires antiques qu’il faut replacer son De honesta voluptate. Ce livre, écrit vers 1470, a été imprimé à Rome dès 1473. C’est la première œuvre publiée de Platine, et le premier texte gastronomique à avoir été imprimé. Il connut, jusqu’à la fin du XVI e  siècle, de nombreuses rééditions en latin, en italien, en français et en allemand : le catalogue de la Bibliothèque nationale, fort incomplet pourtant, en indique vingt. Platine y mêle à une réflexion diététique des recettes de cuisine presque toutes empruntées à Maître Martino, cuisinier du patriarche d’Aquilée.
La version française a été augmentée de moitié par le traducteur, Didier Christol, prieur de Saint-Maurice près de Montpellier. Entre 1505 et 1588, elle a eu au moins cinq éditions lyonnaises et sans doute autant ou plus d’éditions parisiennes. Depuis la fin du XVI e  siècle, en revanche, cette œuvre de Platine n’a pas été rééditée. Cela s’explique-t-il seulement par l’arrivée d’une nouvelle génération de livres de cuisine aux XVII e et XVIII e  siècles et par le triomphe des cuisiniers français sur les italiens ?
Cette désaffection n’a cependant pas nui à la cote de Platine auprès des gastronomes bibliophiles. Le Platine en françoys, devenu l’un des volumes les plus rares de la bibliographie gastronomique, est aussi le plus recherché et le plus cher. Il y a déjà plusieurs années, l’édition de 1505 atteignait 32 000 francs dans le catalogue des livres de gastronomie en vente chez les deu

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