Vainqueurs ou vaincus ? : L énigme de la Iakoutie
165 pages
Français

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Vainqueurs ou vaincus ? : L'énigme de la Iakoutie , livre ebook

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Description

Pourquoi certaines sociétés s’effondrent-elles, alors que d’autres traversent les siècles ? Tel est le cas de la Iakoutie. Ce territoire de Sibérie orientale, entre le lac Baïkal et le détroit de Béring, est l’une des régions les plus hostiles de la planète, les températures pouvant descendre jusqu’à – 70 °C en hiver. Et pourtant, la population iakoute a résisté à tout : à la rudesse du climat, à l’arrivée du voisin russe, à la mondialisation et aux épidémies. Pour tenter de résoudre cette énigme, Éric Crubézy et Dariya Nikolaeva s’appuient à la fois sur l’archéologie, la génétique des populations et sur l’histoire. Ce livre montre que ce ne sont pas les peuples les plus adaptés à l’environnement qui finissent par s’imposer, que ce ne sont pas les sociétés les plus puissantes, en l’occurrence l’ex-URSS, qui l’emportent. Les vainqueurs ne sont pas toujours ceux qu’on imagine : rien n’est donc inéluctable, les sociétés ont le pouvoir d’écrire leur avenir. Éric Crubézy est professeur d’anthropologie biologique et de paléogénétique, directeur d’un laboratoire du CNRS, spécialiste d’archéologie funéraire. Il dirige les missions archéologiques françaises en Sibérie orientale. Dariya Nikolaieva est historienne, docteur en histoire de l’université de Versailles-Saint-Quentin, spécialiste de l’histoire et de la culture iakoutes. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 31 mai 2017
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738137920
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , JUIN  2017 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-3792-0
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
À Anatoly Alexeev et Anatoly Gogolev, qui nous ont montré la voie en Iakoutie.
« Le cœur de la question consiste à mesurer chaque fois la distance avec le passé, à la combler, à la comprendre avec l’expertise de l’archéologue et de l’exégète. »
Alessandro B ARRICO , Les Barbares. Essai sur la mutation.
Avant-propos

Comment étudier le passé ? Par l’histoire ou l’archéologie ? Si l’histoire restitue une cohérence et un système, les sujets et leur intimité lui échappent bien souvent. Resterait donc l’archéologie. Mais, sans orientations, même très générales, comment interpréter des faits archéologiques ? Faut-il ajouter les renseignements venus de la génétique des populations du passé, afin d’approcher au plus près cette intimité des hommes et des peuples ? Depuis quelques années, il est en effet techniquement possible de déterminer le génome de sujets du passé. Cette technique est tellement puissante qu’elle permet de revoir nombre de scénarios fondés sur les seules données culturelles, historiques ou archéologiques. Dès lors, peut-on envisager de proposer une synthèse, une construction intellectuelle, qui synthétiserait les éléments fournis par ces trois disciplines et les constructions intellectuelles qu’elles-mêmes élaborent ? Est-ce là le moyen de restituer le passé tel qu’il fut dans sa globalité ? Cela semble d’une grande naïveté. On peut toutefois tenter d’analyser la façon dont pourraient être construites ces synthèses. L’analyser, bien sûr, mais à partir d’un exemple concret, à propos duquel un maximum de facteurs puisse être contrôlé. Tel est notre but.
Il nous fallait trouver une période et un lieu pour lesquels les documents historiques et ethnologiques soient nombreux, les sites largement préservés, les données archéologiques bien conservées, où les données génétiques soient réalisables sur l’ensemble des sujets fouillés, et il fallait aussi que les populations actuelles aient conservé une dimension relativement traditionnelle dans leur mode de fonctionnement biologique. Nous pourrions alors comparer nos visions – appuyées sur les renseignements historiques, archéologiques et génétiques – du début du XXI e  siècle à celles des chercheurs du XVII e au XX e  siècle, à cette différence près qu’ils avaient étudié et décrit des sociétés vivantes et que nous allions étudier et décrire ce qu’il en restait. Cette méthode allait nous permettre de contrôler un certain nombre de facteurs et d’évaluer comment nos interprétations ou raisonnements reflètent, sinon la « réalité », du moins la vision que nous en avons. Nous espérions par là répondre à la question des relations entre l’archéologie, la génétique et l’histoire, et pouvoir estimer dans quelles mesures elles relèvent de régimes de connaissances différents, mais qui peuvent être croisés. La définition même de ces disciplines s’est avérée plus compliquée que cela, et cela nous a amenés à nous interroger sur leurs fondements.
La Iakoutie, durant la période 1632-1922, nous a permis de tenter de répondre à ces questions. La tâche fut passionnante, mais difficile. Si je pus rapidement, grâce à Anatoly Alexeev et à une équipe soudée, effectuer des fouilles archéologiques et étudier les données génétiques issues des corps qui y étaient retrouvés, l’histoire terriblement complexe, écrite pour une bonne part en russe et en iakoute, ne m’était pas directement accessible. Dariya Nikolaeva, historienne formée à l’archéologie et en thèse avec Jean-Yves Mollier et moi-même, prit en charge pour partie la question historique. C’est le fruit de nos réflexions et de nos travaux qui est livré ici.
Éric C RUBÉZY
L’énigme iakoute

Cet ouvrage s’intéresse à une énigme, longtemps méconnue, mais qui passionne désormais un public de plus en plus large et des chercheurs relevant de disciplines de plus en plus différentes, de l’archéologie à la médecine, des sciences humaines et sociales à l’économie et aux sciences de l’environnement. Cette énigme, c’est celle du mode de vie et de la naissance en tant que nation d’une population de cinq cent mille habitants, vivant dans le lieu habité le plus froid de la planète en dehors de l’Arctique : les Iakoutes. Ils résident en république Sakha (Iakoutie), république autonome de la Fédération de Russie dans le Nord-Est sibérien, à mi-chemin entre le lac Baïkal et le détroit de Behring. C’est l’un des endroits les plus continentaux de la planète avec des températures qui peuvent atteindre − 70 °C l’hiver et + 35 °C l’été. En dehors de ce climat, que nous qualifions souvent d’extrême mais qu’eux considèrent comme normal, leur spécificité tient au fait qu’encore aujourd’hui une bonne partie des habitants sont des éleveurs de vaches et de chevaux qui parlent une langue de la famille des langues turques, comme quelques autres populations sibériennes plus au sud, avec environ 60 % de mots originaires de ces langues et 40 % d’origine mongole et bouriate 1 . Ils vivent à des latitudes et des températures qui sont celles où l’on rencontre des chasseurs-cueilleurs et des éleveurs de rennes qui parlent des langues sibériennes. Il y a notamment les Toungouses répartis en Evenks et Évènes, quelques Youkaguirs et des Dolganes. Ces dernières populations étaient anciennement des chasseurs de rennes sauvages et d’élans, des pêcheurs et des cueilleurs de baies car, avant 1600 de notre ère, les grands troupeaux de rennes domestiques, qui représentent aujourd’hui leur première ressource économique, n’avaient pas un tel nombre de têtes. La nation iakoute a tellement marqué ce que les Occidentaux appellent la Sibérie orientale 2 que le pouvoir soviétique tenta d’en noyer la culture en y intégrant des populations d’origines asiatiques et européennes qui représentent aujourd’hui plus de cinq cent mille habitants. Malgré ces efforts d’uniformisation d’un Empire qui voulait effacer ce qui aurait pu constituer un État indépendant, après la dissolution de l’Union soviétique, la Iakoutie fut reconnue comme une république autonome par le nouveau pouvoir de Moscou.
En dehors de ces aspects inhabituels, l’histoire nous apprend que les Iakoutes n’étaient que quelques petits groupes parmi ces chasseurs-cueilleurs au début du XVII e  siècle, à l’arrivée des Russes et que, lors de la création de l’URSS en 1922, ils régnaient sur une surface de plus de trois millions de kilomètres carrés, équivalente à la surface de l’Inde, qui était une nation depuis la fin du XIX e  siècle et qui devint une république autonome. Dans le même temps, les chasseurs-cueilleurs et les éleveurs de rennes avaient disparu ou étaient réduits à l’état de peuples minoritaires. C’est là un fait surprenant, car ceux qui ont disparu étaient, a priori , les plus adaptés aux conditions locales. Ils représentaient les plus anciennement arrivés, c’étaient eux qui tenaient le territoire au XVII e  siècle, or ce sont les Iakoutes qui se sont finalement imposés jusque sur l’océan Arctique 3 avec leurs vaches et leurs chevaux. Dans le même temps, leur expansion est concomitante de celle de l’arrivée des Russes qui venaient mettre les populations locales sous leur coupe afin de les soumettre à un impôt en fourrures, appelé yasak 4 , qui allait représenter, pour l’ensemble de la Sibérie, presque 10 % du produit national brut russe au XVII e  siècle.
Pourquoi une société réussit là ou d’autres échouent, voire disparaissent ? Cette question, posée dès les discussions sur les causes de la fin de l’Empire romain, taraude les historiens depuis le début de l’histoire coloniale qui vit des civilisations, mais aussi des populations entières, s’effondrer et disparaître en quelques décennies. Elle s’est étendue au cours du XX e  siècle à l’expansion des agriculteurs et des éleveurs dans le monde, qui mit fin, il y a un peu plus de dix mille ans, au règne des chasseurs-cueilleurs qui avait commencé il y a au moins deux cent mille ans pour notre espèce. La Iakoutie est très particulière, car elle s’inscrit dans deux histoires. L’une, très longue, qui est celle de la suprématie des agriculteurs-éleveurs sur les chasseurs-cueilleurs et qui finalement voit sous le cercle polaire cette expansion, commencée dans le sud de la Sibérie il y a quelques milliers d’années, se terminer au XX e  siècle. L’une, plus courte, qui est celle de l’histoire coloniale européenne qui, en Iakoutie, commence en 1632 et se termine au cours du XIX e  siècle avec l’assimilation, au moins matérielle, de la population. Répondre à la question des causes du succès des Iakoutes, c’est s’interroger sur l’interaction entre deux mondes coloniaux, celui de la néolithisation et celui de l’expansion coloniale européenne.
Pour l’expansion des agriculteurs-éleveurs, appelée néolithique, les premiers auteurs tel G. Childe (1928) suivis par ceux du milieu du XX e  siècle, A. J. Ammerman et L. L. Cavalli-Sforza (1984), postulèrent que le réchauffement climatique postglaciaire aurait permis une augmentation du nombre de sujets ; d’autres formulèrent une hypothèse religieuse, l’évolution des mythes, tandis que d’autres encore soutenaient des thèses politiques d’évolution des sociétés. Si l’on considère que la néolithisation est la substitution d’une écon

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