Tocqueville aujourd’hui
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Description

Pourquoi est-il si difficile de réformer l’État français ? Pourquoi y a-t-il beaucoup plus de fonctionnaires en France qu’en Allemagne ? Pourquoi les Américains sont-ils beaucoup plus religieux que les Anglais ou les Français ? Pourquoi le culte de l’égalité prend-il le pas sur celui de la liberté ? La réponse à ces questions est contenue dans les deux derniers chefs-d’œuvre de Tocqueville. Il y prédit et explique l’apparition du culte des droits de l’homme, l’éclatement des religions, le succès de la littérature facile, les effets pervers de l’État-providence, les résistances au libéralisme. L’un des penseurs français les plus puissants et les plus originaux, Tocqueville nous fournit d’irremplaçables repères pour comprendre les sociétés modernes. Raymond Boudon est professeur émérite à la Sorbonne. Il a enseigné à Harvard et à Laval, au Canada, aux universités de Genève, Stockholm, Chicago, Oxford et Trente. Il a été élu à l’Académie des sciences morales et politiques, ainsi qu’à la British Academy, à la Société royale du Canada, à l’American Academy of Arts and Sciences, à l’Académie des sciences humaines de Saint-Pétersbourg, à l’Académie des sciences sociales d’Argentine. Il a notamment publié L’Art de se persuader, Le Juste et le Vrai, The Origin of Values, The Poverty of Relativism, ainsi que Y-a-t-il encore une sociologie ? et Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme.

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Informations

Publié par
Date de parution 25 mai 2005
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738187956
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Odile Jacob, mai 2005
15, rue Soufflot, 75005 Paris
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-8795-6
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
L’avenir, juge éclairé et intègre, mais
qui arrive, hélas ! toujours trop tard.
Alexis de Tocqueville.
Chapitre premier
Tocqueville : un sociologue contemporain

L’éternelle jeunesse de Tocqueville 1
Tocqueville est l’un des trois sociologues classiques inévitablement répertoriés dans les manuels et les histoires des sciences sociales qui m’ont donné un choc intellectuel, que j’ai lus et relus avec une admiration croissante, avec le sentiment de m’instruire un peu plus à chaque lecture, les deux autres étant Max Weber et Émile Durkheim.
S’agissant de Weber et de Durkheim, je me suis expliqué ailleurs sur les raisons de mon admira tion, poussé, non bien sûr par le désir d’étaler mes états d’âme, mais par celui de décrypter les démarches qui sont à la source de la fécondité de leur œuvre et ainsi d’en tirer une leçon de méthodologie pour les sciences sociales d’aujourd’hui (Boudon, 2002a).
J’ai voulu dans le présent ouvrage tenter de mettre noir sur blanc les raisons de mon admiration pour Tocqueville, en ayant en tête un objectif analogue à celui qui m’avait animé dans le cas de Durkheim et de Weber.
J’ai en effet aussitôt éprouvé à la lecture de Tocqueville le sentiment que, en dépit de certains archaïsmes, d’erreurs et de prévisions erronées, d’un style un peu suranné, il est notre contemporain. François Guizot ou Edgar Quinet, Auguste Comte ou Émile Littré sont aussi des figures importantes de l’histoire de la pensée au XIX e siècle. Ces penseurs sont à quelques années près les contemporains de Tocqueville. Leur influence a été considérable en France et, s’agissant d’Auguste Comte, dans le monde. Sans doute les lit-on encore, mais surtout si l’on s’intéresse à l’histoire des idées. En revanche, on n’y recherche plus guère des vues ou des manières de penser qui pourraient nous aider à comprendre les sociétés contemporaines. Ils n’ont plus grand-chose à nous dire sur nous-mêmes. Du côté de la pensée allemande contemporaine de Tocqueville, un Hegel continue de dégager le sentiment d’une puissance intellectuelle exceptionnelle, mais nous ne le voyons pas comme notre contemporain. On peut l’admirer, on ne peut plus penser à la manière de Hegel. Si l’on excepte quelques thèmes, dont notamment son analyse du mécanisme de la « reconnaissance », on a difficilement l’impression qu’il nous offre des instruments directement applicables à l’analyse des sociétés contemporaines.
D’où Tocqueville tire-t-il, lui, son éternelle jeunesse ? C’est à cette question que je consacrerai cet ouvrage.
Pour résumer ma thèse : il a mis en œuvre une manière nouvelle d’analyser les phénomènes sociaux, une manière qui tranche avec celle de ses contemporains – et de beaucoup des nôtres – et qui s’est imposée jusqu’à aujourd’hui dans les sciences sociales ; du moins dans ce qu’elles ont de meilleur.
Alexis de Tocqueville était fermement convaincu, comme son discours de 1852 à l’Académie des sciences morales et politiques le montre clairement, que les sciences sociales peuvent être des sciences au sens plein du terme. Irrité par « les systèmes absolus » et les « théories ennuyeuses et dangereuses » qui fleurissent de son temps, il met en place, dans la première Démocratie en Amérique et plus nettement encore dans la seconde Démocratie et dans L’Ancien Régime et la Révolution , une méthode d’analyse des faits sociaux qui forme un contraste saisissant avec celle des auteurs qu’il déteste – les physiocrates, les théoriciens du socialisme, les philosophes de l’histoire et sans doute aussi les pionniers de la sociologie – parce qu’ils « suppriment, pour ainsi dire, les hommes de l’histoire du genre humain ».
La méthodologie nouvelle que Tocqueville inaugure dans la première Démocratie et qu’il perfectionne dans la seconde Démocratie et dans L’Ancien Régime explique pour une grande part la puissance et la fécondité d’une œuvre qui éclaire maints phénomènes caractéristiques, non seulement de son temps, mais du nôtre.
Bien que la seconde Démocratie ait été rédigée sous Louis-Philippe et L’Ancien Régime sous Napoléon III, ces deux ouvrages nous permettent de mieux comprendre des phénomènes que nous pouvons toujours observer. Tocqueville nous éclaire par exemple sur les raisons pour lesquelles l’État français a tant de mal à se réformer ou pourquoi la ferveur religieuse reste beaucoup plus répandue aux États-Unis que dans les nations européennes.
La méthodologie mise en œuvre par Tocqueville lui a permis d’expliquer des traits des sociétés modernes dont beaucoup nous intriguent toujours. Il nous explique pourquoi, du côté négatif, la production culturelle tend à se dégrader, mais aussi pourquoi, du côté positif, les droits individuels tendent à se multiplier, la dignité des personnes à être mieux défendue et la répression à être moins sévère ; pourquoi l’irréligiosité est croissante, mais aussi pourquoi le développement des sciences n’était pas de nature, contrairement à ce que crurent les philosophes des Lumières, les positivistes et les marxistes, à évincer les religions. En même temps, il nous permet de comprendre pourquoi les religions sont vouées à l’éclatement dans les sociétés modernes.
Il nous permet encore de saisir les raisons d’être de ce qu’on appelle aujourd’hui le « politiquement correct », la « rectitude politique » ou la political correctness, à savoir la tyrannie du conformisme intellectuel qui pèse sur les sociétés modernes. Notre « politiquement correct » a effectivement un équivalent dans une expression que Tocqueville affectionne : les « gros lieux communs qui mènent le monde ». Il a en un mot mis en évidence une multitude de tendances sociologiques lourdes qui caractérisent toujours les sociétés modernes.
Il a aussi identifié le mécanisme fondamental qui permet d’expliquer les épisodes de cruauté qui traversent l’histoire des sociétés modernes, même lorsqu’elles s’affirment comme « démocratiques ».
Il a expliqué pourquoi les idées fausses sont plus facilement éliminées par les dégâts qu’elles engendrent que par la critique et pourquoi la connaissance apparaît souvent comme inutile, dans la vie politique mais aussi dans la vie intellectuelle. Il nous permet par là de mieux comprendre pourquoi les idéologies ont la vie dure et pourquoi elles apparaissent comme imperméables à la critique.
Il s’est montré très attentif aux enseignements sociologiques véhiculés par les mots. Il a expliqué de façon convaincante pourquoi l’on ne parle des « actualités » qu’à partir du XIX e siècle ; pourquoi au XVIII e siècle le mot « raison » fait un triomphe en France mais non en Angleterre ; pourquoi les mots « gentilhomme » et gentleman , qui sont les mêmes, n’ont pas du tout le même sens. Les mécanismes qu’il met en lumière s’appliquent à des données linguistiques de notre temps. Ainsi, ils permettent d’expliquer la prolifération des mots en isme ou de rendre compte du fait que le mot « critique » soit devenu de nos jours synonyme de « dénigrement », alors qu’il désigne chez Kant ou chez Karl Popper la démarche permettant de distinguer le vrai du faux et généralement de conclure que X est vrai, juste, bon, légitime, utile, ayant une valeur artistique, etc. ou non : bref, d’assigner une valeur, positive ou négative, à X.
Pour sa part, Tocqueville a fort bien compris que la démarche « critique », au sens kantien, est indispensable au progrès des connaissances. La méthodologie des sciences sociales qu’il a esquissée à partir de cette démarche devait être reprise et précisée par Max Weber et par Émile Durkheim, et conférer à leur œuvre une fécondité que plus personne ne conteste. Elle explique la puissance et l’actualité durable des analyses de Tocqueville lui-même.

Un novateur conscient de son originalite
Tocqueville était lui-même parfaitement conscient d’être un novateur. On le constate facilement à plusieurs de ses déclarations : selon la célèbre formule de l’introduction à la première Démocratie « il faut une science politique nouvelle » (DAI, 44). Sans le citer, il est plausible que Tocqueville ait songé en employant cette expression à La Science nouvelle de Giambattista Vico, que Michelet avait fait connaître au public français par une traduction condensée (Vico, 2001 [1744]). Si Tocqueville ne cite pas Vico lorsqu’il évoque l’idée d’une « science politique nouvelle », c’est peut-être parce qu’il a conscience de la différence qui le sépare du grand penseur italien et, de façon générale, de l’ensemble des philosophes de l’histoire, qu’il s’agisse de Hegel, de Saint-Simon ou d’Auguste Comte : par-delà leurs différences, qui sont considérables, ils ont tous en commun de voir le devenir historique de manière qui lui paraît simplificatrice. Un passage très éclairant de ses Souvenirs leur est sans doute destiné : « Je hais pour ma part, ces systèmes absolus, qui font dépendre tous les événements de l’histoire de quelques causes premières se liant les unes aux autres par une chaîne fatale, et qui suppriment, pour ainsi dire, les hommes de l’histoire du genre humain. Je les trouve étroits dans leur prétendue grandeur, et faux sous leurs airs de vérités mathématiques » ( Souvenirs , S1, 112).
On notera la force des mots – « je hais »

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