Théories de la dégénérescence : D un mythe psychiatrique au déclinisme contemporain
157 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Théories de la dégénérescence : D'un mythe psychiatrique au déclinisme contemporain , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
157 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

La théorie de la dégénérescence attribue l’origine des troubles mentaux à une transmission héréditaire ; elle domine la psychiatrie de la seconde moitié du XIXe siècle. Généralisée ensuite, elle a participé à la naissance d’idéologies eugénistes et racistes et nourri les attaques contre une société industrielle et libérale, jugée dégénérée en raison du mélange de classes et de races, mortel pour la civilisation, qu’elle passait pour favoriser… Sur quelles racines mythiques et historiques cette théorie s’est-elle constituée ? Comment est-elle parvenue à s’imposer en France, mais aussi en Europe, dans les milieux intellectuels, scientifiques ou politiques ? Et quels liens peut-on établir avec les récents discours déclinistes qui dénoncent l’hédonisme, la perte des valeurs viriles ou encore la décadence nationale ? C’est en historien et en psychiatre que Jacques Hochmann nous livre ici ses réflexions. Jacques Hochmann est psychiatre et psychanalyste. Il est membre honoraire de la Société psychanalytique de Paris, professeur émérite à l’université Claude-Bernard et médecin honoraire des Hôpitaux de Lyon. Il a notamment publié Histoire de l’autisme et Les Anti-psychiatries. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 octobre 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738143594
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , OCTOBRE  2018 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4359-4
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Composition numérique réalisée par Facompo
À la mémoire de Colette, mon épouse.
Introduction

« Les mythes ont la vie dure et dès qu’ils sont entrés dans l’imagination des foules, indifférents aux prescriptions de la logique et aux infirmations des faits, ils s’y enfoncent et prospèrent. »
Daniel H ALÉVY .

« Les mythes ont la vie dure », a écrit Daniel Halévy, en retraçant dans La Fin des notables 1 les débuts de la III e  République. Toute société, y compris la nôtre, qui se veut éclairée par la science, repose sur des mythes. Le mot a une double connotation. Certains mythes sont structurants . Ils forment un lieu idéal où des pratiques sociales cherchent à trouver leur sens. Ils établissent entre les membres de la société des alliances pour aller de l’avant. Le mythe du progrès au XIX e  siècle, celui de la laïcité au tournant du XX e , de la solidarité à la Libération ont fait partie de cette mythologie d’ouverture. D’autres mythes sont dévastateurs, c’est à eux qu’on se réfère quand on les dénonce comme le contraire d’une vérité. Les liens que suscite leur partage ligotent au lieu de libérer. Ils contraignent ceux en qui ils « prospèrent » à se replier dans des groupes restreints, la Nation, la Race, la Religion, où dominent l’intolérance, voire la haine de l’autre, éléments constitutifs du sentiment protecteur d’appartenance à une communauté close. Crispés sur des certitudes inébranlables, ils s’opposent aux innovations, à tout ce qui ne découle pas des principes traditionnels. Ils alimentent la quête d’un retour à un passé idéalisé. Figés dans leur transmission quasi à l’identique, de sujet à sujet, de groupe à groupe, de génération en génération, ils deviennent la matrice de « cette idolâtrie des commencements, du paradis déjà réalisé, cette hantise des origines » telle que l’a définie Emil Cioran 2 .
Un mythe de ce genre fait aujourd’hui recette. Des tribuns véhéments proclament la déchéance de notre nation et la désintégration des valeurs familiales ou spirituelles. Ils réagissent contre une libéralisation rapide des mœurs et militent pour remettre au goût du jour d’anciens corsets éducatifs et moraux. Pour lutter contre les droits nouveaux des femmes et des enfants et pour imposer, comme par le passé, la dissimulation ou la honte à ceux dont l’orientation sexuelle dévie de la voie sélectionnée pour la propagation de l’espèce, ils déforment les études de genre en une théorie du genre, dont la caricature qu’ils en donnent n’a jamais existé que dans l’imagination de ses détracteurs. Excipant d’un ancien droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et oubliant les avantages apportés par la libre circulation des personnes, des services, des informations et des biens, ils voudraient détruire les fragiles institutions européennes construites par une patiente et longue négociation entre États. Ils accusent ces institutions de paralyser les économies nationales et de priver les peuples de sécurité et de liberté, une liberté que ces mêmes peuples semblent prêts cependant à aliéner entre les mains de leaders dont les positions et, lorsqu’ils sont au pouvoir, les actes sont peu compatibles avec les principes démocratiques. Renonçant à l’idéal de charité et d’unité de l’espèce humaine, que proclame par ailleurs la religion dont en majorité ils se réclament, ils refusent l’hospitalité à ceux que la misère, la famine, les exactions ou les guerres chassent de leur pays d’origine. Au nom d’une défense de l’identité nationale, ils majorent le pourcentage minime d’immigrés récents venus réclamer cette hospitalité ou apporter leur contribution à notre économie. Redoutant la déferlante de hordes barbares qui viendraient corrompre notre culture, ils nient l’énorme proportion d’étrangers qui, au fil des siècles, se sont fondus dans ce mélange ethnique qu’est la population française. Quant aux immigrés appelés à partir de la fin du XIX e  siècle par le développement industriel, ils ne seraient venus en France jusqu’aux années 1970 que « pour se constituer un pécule » et la plupart seraient ensuite retournés au pays, sans laisser de descendance 3 . Le très grand nombre de Français qui ont au moins un(e) aïeul(e) étranger(e) est là pour contredire cette fable démographique.
Cosmopolite et bigarrée, la France fait partie d’un continent qui, par ailleurs, jamais, au moins depuis la chute de l’Empire romain à la fin du V e  siècle de notre ère, n’avait connu soixante-dix années consécutives de paix et une telle généralisation de la démocratie, aujourd’hui remise en cause, çà et là. Jamais l’Européen moyen n’avait su autant de choses sur l’origine du monde, la structure de la matière, l’évolution des formes et des fonctions du vivant. Jamais il n’avait vu appliquer autant les connaissances à vaincre les maladies, prolonger la durée et la qualité de la vie, réduire l’impact des fléaux sociaux, lutter contre la malnutrition et, d’une manière générale, améliorer le confort de ses semblables. Après un siècle où culminèrent les atrocités, les défis à la morale naturelle et les totalitarismes, jamais il ne s’était autant préoccupé de produire une éthique consensuelle et de rendre ses conduites conformes à son éthique.
Pourquoi alors toutes ces lamentations sur la décadence de notre civilisation ? Pourquoi cette réhabilitation d’idées politiques nauséabondes qu’on croyait définitivement effacées ? C’est que derrière ces progrès incontestables émergent des peurs : peur du chômage, du déclassement et de la pauvreté, peur des désordres écologiques, peur des armes de destruction massive et des conséquences non maîtrisées des modifications apportées par l’homme à la nature – fission de l’atome, organismes génétiquement modifiés, contrôle de la procréation –, peur glaçante du terrorisme. « Chaque époque, a encore écrit Cioran, incline à penser qu’elle est en quelque sorte la dernière, qu’avec elle se ferme un cycle ou tous les cycles. Aujourd’hui comme hier, nous concevons plus aisément l’enfer que l’âge d’or, l’apocalypse que l’utopie, et l’idée d’une catastrophe cosmique nous est aussi familière qu’elle l’était aux bouddhistes, aux présocratiques ou aux stoïciens 4 . » Si, depuis quelques années, le spectre d’une guerre nucléaire s’est peut-être temporairement éloigné, les angoisses apocalyptiques contemporaines restent particulièrement aiguës.
Il serait impertinent de minimiser les dangers réels que court notre monde, la persistance des injustices, le scandale des inégalités, l’exploitation éhontée des richesses naturelles et de la force de travail du plus grand nombre au profit de quelques-uns et au détriment de notre environnement, ou la crise morale et économique que traversent notre pays et notre continent, en panne d’idées sur leur destin commun. Mais on peut s’interroger sur ce qui, dans ces peurs, ressortit de permanences irrationnelles et sur l’exploitation, consciente ou inconsciente, de cet irrationnel par ceux qui, en prophétisant le malheur, risquent de nous conduire au destin tragique qu’ils nous prédisent et que peut-être obscurément ils souhaitent, comme une punition universelle d’où pourrait surgir une rédemption. Le mythe de la décadence est ce que les Américains appellent a self fulfilling prophecy , une prophétie autoréalisatrice.
Pour comprendre ce sentiment de catastrophe, l’histoire apporte ici une aide. Sans se référer à l’hypothèse d’un inconscient collectif où croupiraient des représentations refoulées ou des archétypes immémoriaux, sans se laisser prendre au piège d’analogies faciles qui ignoreraient les différences de contexte, les ruptures entre le présent et le passé, sans rattacher uniformément les mythes d’aujourd’hui à ce qu’un regard rapide désignerait comme leurs équivalents ou leurs précurseurs dans le monde d’hier, elle peut tenter de relier notre présent à un monde défunt. Elle peut chercher comment les mythes actuels se nourrissent encore de dogmes religieux, de réflexions philosophiques multiséculaires, ou d’élaborations supposées jadis scientifiques et qui, malgré leur falsification, sont devenues des constituants dormants de l’opinion. Elle peut suivre la manière dont ces mythes se sont ainsi « enfoncés » dans l’« imagination des foules », comment, presque oubliés ou masqués, ils ressurgissent soudain.
*
Psychiatre et historien des idées en psychiatrie, je voudrais utiliser une enquête sur les origines et le devenir d’un ensemble de théories qui furent dominantes au XIX e  siècle, les théories de la dégénérescence, pour déterrer quelques racines du déclinisme contemporain 5 . La psychiatrie a, dès ses débuts, entretenu des liens étroits avec le tissu politique et social qui l’entourait. « Médecine spéciale » apparue en France sous la Révolution, elle a construit son traitement « moral » de l’aliénation mentale – jusque-là considérée comme une altérité fondamentale, une privation de sens réduisant quasiment l’aliéné à la bestialité – sur une inclusion de la folie dans la subjectivité humaine. Comme l’ont bien montré Marcel Gauchet et Gladys Swain, elle s’est alors inspirée, dans ses pratiques, de la conception nouvelle de l’égalité des hommes à la naissance et de la restitution au peuple de sa souveraineté pour construire l’asile d’alié

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents