Testament insolent
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Testament insolent , livre ebook

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Description

Racisme, mélanges et tensions entre cultures, question de l’identité et des racines : ces grands thèmes qui traversent les écrits d’Albert Memmi, depuis La Statue de sel, préfacé par Albert Camus, restent au cœur de notre réflexion et de nos débats. Conscience critique, cet écrivain au croisement de trois cultures, juive, arabe et française, revient sur son parcours, relit son œuvre pour en donner les clés, s’interroge sur ce qu’elle nous donne à penser aujourd’hui. Une leçon de « mieux vivre » par un « homme de plume » qui fut aussi militant. Né à Tunis en 1920 d’une famille juive de langue arabe, Albert Memmi a été longtemps professeur, notamment à l’École pratique des hautes études et à l’université de Nanterre. Son Portrait du colonisé, préfacé par Sartre, a fait date dans la dénonciation du système colonial ; il en a écrit en 2004 le pendant : Portrait du décolonisé. Naturalisé français en 1973, figure de la littérature tunisienne d’expression française, il a reçu en 2004 le Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 août 2009
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738196965
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© ODILE JACOB, AOÛT 2009
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9696-5
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Si l’on remplaçait Dieu le père par Jupiter ; la Vierge Marie par Junon ; Jésus et les saints par des dieux grecs, la plupart des controverses théologiques deviendraient dérisoires.
 
 
L’essentiel, pendant que nous y sommes, est de fuir les sots et de nous maintenir en joie.
S TENDHAL
1
Leçons et autoleçons

Comme les humains, les livres ont une histoire, celui-ci a son origine dans deux événements.
Nous étions plus ou moins convenus, mon épouse et moi, de quitter Paris pour nous installer à Antibes, dont j’aime la vieille ville, ses remparts, ses ruelles qui me rappellent ma ville natale, et surtout la mer, au souvenir de laquelle j’aurai soupiré ma vie durant – pourquoi n’y suis-je pas définitivement retourné ?, c’est l’une de mes nostalgies. Une cruelle maladie de mon épouse rendit ce projet caduc ; je voulus toutefois mettre de l’ordre dans mes papiers.
Je m’aperçus, chemin faisant, que ce n’était pas la seule raison, peut-être même pas la véritable. J’avais également le besoin et le désir de procéder à un bilan de ma vie jusqu’ici, erreurs comprises. J’avais déjà tenté cet exercice dans Le Nomade immobile , mais, le temps ayant passé, il fallait le reprendre. D’autant que, dorénavant, il fallait aussi compter les jours qui restent.
Si l’on me demandait pourquoi cet effort, je serais bien embarrassé. Parmi mes raisons, aucune ne l’emporte décisivement sur toutes les autres. La première, je suppose, est, outre un besoin de mettre de l’ordre en moi-même et dans ce qui m’entoure, de rembourser une dette. Ce n’est pas par hasard, ni seulement pour gagner ma vie, que j’ai enseigné durant quarante ans, au lycée puis à l’université, que je continue avec des conférences, des écrits, des livres et quantité de textes courts. Ayant profité de cette abondance de biens, fournis par la communauté, fût-elle injuste et inégalitaire, je lui dois quelque ristourne.
Outre l’urgence de l’âge, testament signifie inventaire des biens que l’on souhaite transmettre, lesquels évoluent, s’enrichissent ou se dégradent. En ce qui concerne un homme de plume, c’est la volonté d’offrir l’essentiel et le meilleur de lui-même. Ce n’est pas pur altruisme ; il est réconfortant de penser que l’on a donné sa part, fût-elle minime, dans la corbeille de la culture commune.
C’est pourquoi je crains, malgré mes efforts d’élucidation, de n’avoir pas été tout à fait clair ; ni d’avoir suffisamment mis en lumière les quelques contributions qui me paraissent les plus importantes de mon travail, ni surtout la cohérence, même relative, de l’ensemble. Lorsque je professais et que mes auditeurs semblaient ne pas me suivre, je m’en prenais à moi-même, non à eux : j’avais donc mal fait mon travail ; je devais m’y reprendre autrement. Je le devais également aux lecteurs qui m’ont fait l’amitié de me suivre.
Rares sont les lecteurs qui connaissent tout d’un auteur, même familier ; je pense que c’est à l’auteur d’indiquer les passerelles, s’il y tient ; ce qui est mon cas. Par exemple : d’où vient l’importance que nous donnons à nos appartenances ? De nos relations avec les autres groupes ? Quelle est leur nature ? Quel est le rapport entre la dépendance et la domination , qui me semblent les deux conduites les plus fréquentes en chacun ? Je l’ai suggéré çà et là, mais peut-être pas assez nettement. Or la dominance et la dépendance ne sont pas deux domaines séparés, mais deux réponses à une même demande, celle de notre commune condition. Pourquoi me suis-je occupé si longuement du racisme et, plus généralement, de ce que j’ai proposé de nommer l’ hétérophobie  ? Quel rapport y a-t-il entre l’ hétérophobie et la dépendance , opposées en apparence ? En fait, ce sont deux modalités de la relation avec autrui, la première négative, la seconde positive ; cela m’a semblé évident, mais pour mes lecteurs ?
L’un de mes derniers ouvrages L’Individu face à ses dépendances, sous forme de dialogues à la manière platonicienne avec l’excellente journaliste Catherine Pont-Humbert, a bénéficié d’un compte rendu dans la revue Psychologies, dont j’ai remercié l’auteure. Mais elle écrit : « Les psys français explorent aujourd’hui les mécanismes de dépendance. » Cet « aujourd’hui » m’a laissé perplexe. Après des années de séminaires à l’École pratique des hautes études et à l’université de Nanterre, j’ai publié trois livres sur la dépendance et des dizaines de textes courts, sans compter diverses communications pas toujours suivies de publication. Elle ajoute : « Ils [les psys] voient des points communs entre l’alcoolique et le toxicomane, l’amoureux fusionnel et le dépensier compulsif. » Or ces points communs, cette comparaison entre les mécanismes de ces diverses dépendances, constituent précisément l’une de mes hypothèses. L’un de mes livres est intitulé clairement Le Buveur et l’Amoureux  ; je l’avais même primitivement intitulé Le Buveur, l’Amoureux, le Croyant et le Partisan, titre que l’éditeur a trouvé trop long. Le titre court a été repris dans les traductions. Quant au « dépensier compulsif », il y a quelques années, j’avais donné sur ce même sujet, le « shopping », un entretien un peu amusé à un magazine féminin. Je n’ai donc probablement pas réussi à retenir suffisamment l’attention des lecteurs.
Sans compter les erreurs d’interprétation. À la parution de mon Portrait du décolonisé , qui fait suite au Portrait du colonisé, le directeur du Nouvel Observateur , Jean Daniel, a bien voulu noter dans son hebdomadaire que « tout est vrai » dans mes descriptions, ce dont je lui fus reconnaissant, mais quelques jours après, dans Le Monde , il me reprochait d’avoir proclamé, lors des débats sur la décolonisation, que le colonisé était en quelque sorte un parangon de l’humanité, un modèle pour notre avenir commun. Or c’était plutôt la thèse de Fanon, soutenue imprudemment par Sartre, qui croyait ainsi mieux servir le tiers-monde. Je n’ai jamais cessé au contraire de déplorer ce que j’ai nommé les « carences » du colonisé, et d’ailleurs de tout opprimé, les Noirs, les juifs, et même les femmes, tous plus ou moins atteints par leur servitude. Ce qui d’ailleurs n’a pas plu à tout le monde, car je semblais déprécier les opprimés, alors que je dénonçais leurs blessures communes. Mon critique suggérait, je suppose, que je me contredisais ou que j’avais changé d’avis, ce que j’aurais reconnu, si c’était vrai. Or je venais juste de montrer au contraire que les échecs actuels des décolonisés, que je décrivais, loin d’infirmer les carences du colonisé, les prolongeaient et s’expliquaient, partiellement au moins, par elles. Plus généralement, les fameuses proclamations : «  Black is beautiful !  », « Je suis fier d’être juif ! », « Je suis fière d’être femme ! » sont de naïves compensations de vaincus. Si l’on peut y trouver quelques avantages, il faut une loupe pour les apercevoir, alors que les inconvénients en sont gros comme des montagnes.
Un professeur d’université américaine, Johan Sadock, a signalé dans un article de revue une erreur du même genre commise à mon propos. L’excellent essayiste palestino-américain Edward Saïd, décédé depuis, m’assimilait, pour m’en féliciter, à un Occidental qui, par générosité, à l’instar de Jean Genet, aurait rejoint le camp des Orientaux. Je ne mérite pas cet éloge, si éloge il y a, qui risque de donner une idée fausse de mon itinéraire : né à Tunis, de langue maternelle et longtemps de nationalité tunisiennes, sans jamais renier mon terreau natal ni mes persistants attachements, j’ai plutôt effectué l’itinéraire inverse. Ce dont je n’ai ni à me vanter ni à m’excuser. Je ne suis d’ailleurs pas le seul ; les nouvelles générations de Maghrébins et d’Africains, qui ont rejoint l’Europe ou les États-Unis, nous ont largement suivis. Je suis devenu un écrivain d’expression française, comme la plupart de nos cadets, qui avaient commencé par nous le reprocher. Dans sa préface à une récente édition algérienne de mon Portrait du colonisé (pirate, soit dit en passant ; il en a également omis, je ne sais pourquoi, la préface de Sartre et la mienne), le président de l’Algérie, Abdelaziz Bouteflika, m’a reproché d’avoir quitté mon pays natal ; je lui ai suggéré de se demander plutôt pourquoi tant d’écrivains du tiers-monde ont fui leurs pays respectifs.
Enfin, pour terminer cette hypothétique énumération des raisons qui m’ont poussé à rédiger ce testament, peut-être n’ai-je obéi qu’à un moteur plus caché : comment vaincre (illusoirement) la mort ; peut-être aurai-je ainsi quelques chances de durer. Curieux souhait, de la part d’un incroyant, qui pense qu’il n’existe pas d’autre vie que celle-ci ! Que m’importe ce qui arrivera à mes œuvres une fois que j’aurais disparu ?
Je ne sais comment m’expliquer là non plus. Peut-être parce que je me considère confusément comme un élément dans une espèce de corps collectif, qui a vécu avant moi et qui vivra après. Ce qui ne me satisfait pas davantage ; je me méfie même de ce genre de considérations. C’est pourquoi je me suis aussi proposé ceci : cet espoir me fait croire que je suis digne maintenant d’être utilisé plus tard. Dans son petit livre sur la vieillesse, Cicéron se donnait une justification similaire 

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