Temps inquiets : Réflexions sociologiques sur la condition juive
191 pages
Français

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Description

Nous vivons aujourd’hui au temps de l’inquiétude, celle que suscitent les actes d’agression contre les juifs et le sentiment profond d’une remise en cause du pacte passé avec la République française. Comment en est-on arrivé là ? Faut-il y voir les effets de la porosité de l’interminable conflit israélo-arabe et la diffusion d’un antisionisme politique ? Est-ce la présence d’une forte population musulmane en mal d’intégration et, plus encore, les menaces d’un antisémitisme rouge-brun, alliées aux effets d’un fondamentalisme islamiste ? Il ne s’agit pas seulement de regarder en arrière. Dominique Schnapper rappelle ce principe selon lequel, dans notre histoire, les menaces contre les juifs ont de tout temps précédé le naufrage de la démocratie. Elle nous donne par sa réflexion les éléments pour combattre les passions mauvaises dès lors que l’intérêt commun succombe aux assauts des prétentions identitaires et pour nous permettre de nous accorder sur les fondements d’une culture commune. Sociologue, directrice d’études à l’EHESS, ancienne membre du Conseil constitutionnel, Dominique Schnapper est actuellement présidente du Comité des sages de la laïcité au ministère de l’Éducation nationale. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages de sociologie, notamment De la démocratie en France. République, nation, laïcité (Odile Jacob, 2017) et Puissante et fragile, l’entreprise en démocratie avec Alain Schnapper (Odile Jacob, 2020). 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 novembre 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738152800
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , NOVEMBRE 2021
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5280-0
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
In memoriam As ever A.
Introduction

Nous sommes entrés avec le XXI e  siècle dans un autre moment de l’histoire, celui des incertitudes et des interrogations sur l’avenir des démocraties et le destin des juifs. Plus que les autres, les juifs dont la conscience historique est particulièrement aiguisée vivent aujourd’hui dans l’appréhension et craignent une nouvelle montée des périls. Si la conférence de presse du général de Gaulle, le 27 novembre 1967, qualifiant les juifs de « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur », avait ouvert « le temps du soupçon » 1 , nous sommes aujourd’hui dans les temps de l’inquiétude. Pour essayer de comprendre comment on en est arrivé là, le retour sur les dernières décennies donne matière à réflexion. Sur des sujets qui suscitent plus souvent les passions et les émotions, il importe d’affirmer les droits de la connaissance rationnelle et d’opposer aux passions tristes la rigueur de la connaissance.

Le temps de l’inquiétude
Les textes qui suivent ont été écrits au cours des quarante dernières années en réaction à l’actualité, qu’il s’agisse d’événements politiques ou de la parution d’un ouvrage provoquant des réactions fortes dans l’opinion.
L’article sur le vote juif, par exemple, écrit en 1983 avec Sylvie Strudel, alors jeune étudiante, répondait au mythe du « vote juif » qui avait été invoqué, sur le modèle américain, par certains responsables d’organisations appelant au « vote-sanction » contre Valéry Giscard d’Estaing lors de l’élection présidentielle de 1981. Si les résultats de l’époque ne sont évidemment plus d’actualité, le raisonnement reste fondé et il permet de comprendre qu’aujourd’hui encore il est illusoire de parler en France de vote juif au sens où on l’entend aux États-Unis (où d’ailleurs il risque aussi de s’épuiser).
Quelques années plus tard, Le Débat conflictuel de 1989 était un écho direct aux controverses qui, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution, avaient secoué le monde des intellectuels juifs à propos de la personnalité de l’abbé Grégoire et du sens de l’Émancipation. Ils soulevaient à nouveaux frais la question qu’avait suscitée la citoyenneté accordée aux juifs par la modernité politique imposant la fin de la dimension politique du peuple. Le « peuple » devait désormais être réinterprété en termes spirituels et intellectuels. Mais cette réinterprétation n’était-elle pas contraire au judaïsme ? Pouvait-il se concevoir uniquement dans sa dimension religieuse ou spirituelle ?
C’est à la suite des événements sanglants de 2015 et de l’anniversaire des 70 ans d’existence de l’État d’Israël qu’ont été organisés au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (MahJ) deux colloques, le premier sur l’antisémitisme français en 2016, le second sur Israël en 2018 ( Contradictions et destin du sionisme ) . L’amitié de Danielle Cohen-Levinas m’a conduite à relire à l’occasion d’un autre colloque du MahJ quelques textes peu commentés d’ Emmanuel Levinas, israélite français et à préciser les analyses de mon livre récent sur la démocratie et les juifs 2 .
D’autres articles ont été rédigés à l’occasion de publications scientifiques, l’ouvrage de Sergio Della Pergola et Doris Bensimon ( Les Limites de la démographie des juifs de la diaspora ) ou les livres devenus classiques de Michael Marrus et Robert Paxton sur la politique du gouvernement vichyssois ( Hitler n’était pas français ). Le projet de publier un ouvrage en l’honneur d’un sociologue ignoré en France, mais important, Edward Shils, qui fut mon ami, m’a conduite à esquisser la comparaison du destin des juifs en France, aux États-Unis et en Argentine, ce qui deviendra trente ans plus tard La Citoyenneté à l’épreuve. Quant à l’article sur le Venezuela, il est le fruit du hasard d’un voyage.
Ces études, de nature et de structure différentes, complètent les ouvrages que j’ai publiés sur la condition juive, Juifs et Israélites (1980) 3 , La Condition juive en France. La tentation de l’entre-soi (2009) en collaboration avec Chantal Bordes-Benayoun et Freddy Raphaël 4 (grâce à la générosité de la Fondation Balzan) et, plus récemment, La Citoyenneté à l’épreuve. La démocratie et les juifs (2018) 5 . Elles me donnaient chaque fois l’occasion de remettre en perspective ces travaux plus théoriques. C’était aussi les mettre à l’épreuve puisque dans les sciences humaines toute proposition théorique se nourrit de l’expérience historique et des avancées de la recherche.
Relues aujourd’hui, elles portent témoignage de la transformation de la situation politique et de la condition des juifs au cours des dernières décennies ainsi que des limites de la connaissance que les chercheurs peuvent prendre du contemporain 6 . Quelques éléments en particulier soulignent l’entrée dans les temps inquiets.
En 1982, au Venezuela, j’avais rencontré une communauté prospère dans une société prospère et apaisée, où l’antisémitisme semblait inexistant ou, en tout cas, marginal. Elle ne posait pas de bornes à l’élaboration d’une culture juive nationale. On connaît la situation dramatique actuelle qui démontre comment des gouvernements parviennent à tyranniser et à affamer leur peuple. C’est une mise en garde pour tous les démocrates. La sérénité et la prospérité ne sont jamais acquises une fois pour toutes. La démocratie et la vie juive libre sont également fragiles.
La relation enthousiaste à l’État d’Israël qui unissait au cours des années 1970-1980 la ferveur de tous les juifs français, qu’ils fussent laïcs ou religieux, jeunes ou vieux, modestes ou bourgeois, engagés dans les organisations ou marginaux, a progressivement laissé la place aujourd’hui à une solidarité qui se maintient, mais sous une autre forme.
Les appréciations sur l’antisémitisme, de leur côté, doivent être relues en tenant compte de la date à laquelle elles ont été écrites. J’ai longtemps argué que l’antisémitisme du présent devait être apprécié historiquement et que, jusqu’à la fin du siècle dernier, l’antisémitisme, toujours vivace dans certains milieux, était devenu politiquement marginal, qu’il n’était pas un problème politique ( a political issue ). J’ai la faiblesse de penser que la transformation, décrite dans l’article L’Antisémitisme en France en 2019 , témoigne d’abord de l’évolution de la démocratie et que la naïveté de l’observateur n’est pas directement en cause. Peut-être aurais-je pu prévoir l’extension qu’il prend aujourd’hui. Mais elle est si étroitement liée à un délitement de la société démocratique que je qualifie d’« extrême » 7 qu’il était difficile de se représenter à l’avance la décomposition des institutions et des pratiques démocratiques auxquelles nous assistons. L’antisémitisme qui s’étend actuellement en est un signe sans équivoque. Toute crise d’antisémitisme traduit une crise de la démocratie.

Méthode
Étant donné la sensibilité du problème et le malaise que suscitent les travaux historiques et sociologiques consacrés à la condition juive, j’ai tenté de maintenir la rigueur du projet sociologique, ce qui impose de présenter quelques réflexions de méthode. Les sciences humaines, disent leurs adversaires, traitent plus de leurs méthodes que de leurs résultats : il faudrait que les chercheurs « trouvent »… C’est ne pas comprendre que, dans nos disciplines, l’éclaircissement des méthodes est une condition nécessaire du projet de connaissance rationnelle. C’est ignorer, plus profondément, que la réflexion sur la méthode n’est pas séparable de la réalité, comme le démontre l’analyse présentée dans Les Limites de la démographie des juifs de la diaspora . La méthode est plus que la méthode : la réflexion critique sur les pratiques des démographes et des sociologues est une manière de définir sociologiquement ce qu’est l’identité des juifs dans la diaspora démocratique.
Tout milieu social est spontanément réfractaire à l’analyse sociologique qui tend à l’objectiver, mais c’est particulièrement le cas des juifs. Or, il importe, pour faire avancer la connaissance, de passer de la littérature identitaire et normative, qui dit ce que devrait être le judaïsme (diasporique ou centré autour d’Israël, identitaire, essentiellement religieux, culturel ou politique, etc.), à l’analyse des conditions sociales et des cultures des juifs dans diverses configurations historiques. Ce passage de ce que, en paraphrasant Auguste Comte, on pourrait appeler de l’âge métaphysique à l’âge scientifique, les historiens, étant donné leur point de vue à contextualiser leurs informations et leurs analyses, le franchissent plus facilement que les sociologues travaillant sur la judaïcité contemporaine 8 .
La difficulté du projet sociologique tient d’abord à leur condition dans l’Occident chrétien qui a transformé les juifs en sociologues de leur judéité et du judaïsme. La distinction entre le discours spontané et celui du sociologue reste difficile à maintenir. Ce dernier risque à tout moment de confondre le témoignage que le sujet donne sur sa propre judéité et sur le judaïsme avec l’analyse qui tend à l’objectiver. Le sociologue se doit de rester vigilant et de préciser le statut des discours qu’il recueille.
C’est d’autant plus nécessaire que la

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