Soigner les drogués : Du sevrage aux salles de shoot
111 pages
Français

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Soigner les drogués : Du sevrage aux salles de shoot , livre ebook

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Description

Pourquoi des salles de shoot ? Comment comprendre que l’État organise pour les uns une consommation de drogue qui demeure réprimée pour le plus grand nombre ? À travers l’histoire française de la politique de prise en charge des drogués, du tout-sevrage des années 1970 à l’ouverture des salles de shoot, ce livre permet de saisir les motifs et les enjeux de cette évolution. Le docteur Sylvie Geismar-Wieviorka, qui a dirigé pendant plus de vingt ans un centre de soins spécialisés pour les toxicomanes, propose une réflexion apaisée et argumentée sur la meilleure façon de venir en aide aux drogués dans leur diversité. Un outil de réflexion indispensable pour tous ceux que la question des usages de drogues intéresse. Le docteur Sylvie Geismar-Wieviorka est médecin psychiatre. Elle a été directrice d’un des principaux centres de soins français spécialisés dans la prise en charge des toxicomanes (1991-2012). Elle a participé, au cours des années 1990, aux débats et aux travaux qui ont présidé à la mise en place en France d’une nouvelle politique d’aide aux toxicomanes fondée sur la réduction des risques, plutôt que sur l’abstinence à tout prix. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mai 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738160478
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Dr Sylvie Geismar-Wieviorka
Soigner les drogués
Du sevrage aux salles de shoot
© O DILE J ACOB , MAI  2016 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN 978-2-7381-6047-8
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3°a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Avant-propos

En septembre 1991, je suis nommée directrice d’un centre parisien de soins spécialisés pour toxicomanes. À ce titre, j’ai participé aux débats qui ont agité le monde des acteurs du soin aux toxicomanes, les politiques et l’opinion publique. J’ai vu ma pratique clinique et l’institution que je dirigeais considérablement évoluer. La rédaction de ce livre m’amène à revoir ces années de travail auprès des toxicomanes avec un regard distancié (je n’ai plus de responsabilité institutionnelle) et je me rends compte à cette occasion que mon point de vue a changé depuis les années 1990. Je ne suis cependant toujours pas une observatrice objective (à supposer que cela existe), pas plus que je ne me situe comme une militante. C’est pourquoi je pense utile d’éclairer mon propos par une sommaire description de mon parcours, afin que le lecteur sache qui parle et d’où.
Ma nomination à la direction d’un gros centre parisien de soins pour toxicomanes ne s’est pas faite sans difficultés. La structure était en crise, un conflit opposait sa direction à l’association gestionnaire. Comme souvent, le centre était financé par l’État via une association et si la nomination du directeur était en droit du ressort de l’association, elle devait recueillir l’assentiment du représentant de l’État en charge du contrôle de la structure, en l’occurrence la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales de Paris (DDASS). Le directeur était parti dans un contexte conflictuel, la nature du conflit n’étant évidemment pas décrite de la même façon par les responsables de l’association qui avaient œuvré pour son départ et par la partie de l’équipe qui le soutenait et aspirait à prendre la suite. L’association dénonçait de graves carences de gestion, le centre était de fait en déficit. Elle accusait les responsables d’avoir manqué à l’obligation de neutralité figurant dans les statuts de l’association en prenant position publiquement en 1989 au nom du centre contre les projets gouvernementaux 1 visant à développer des structures pour soigner les toxicomanes sous la contrainte.
L’ancienne direction accusait l’association de vouloir contrôler le contenu du travail réalisé et pointait le caractère politique du conflit des années « Chalandon ». Un déménagement était prévu pour des raisons financières, ce à quoi elle s’opposait farouchement. Le conflit était remonté de la DDASS de Paris au cabinet du ministre de la Santé qui avait pris parti pour l’ancienne direction, au nom d’une solidarité politique bien comprise : le gouvernement était à gauche, l’association gestionnaire plutôt réputée proche de la droite, et la direction sortante avait su convaincre les politiques qu’il s’agissait d’un conflit droite-gauche. J’ai fini par être nommée, contre une partie de l’équipe sortante, mais les conditions de cette nomination ont laissé des traces, chez moi comme sans doute chez ceux qui ont combattu ma nomination. Au reproche qui m’était fait d’avoir été soutenue par la droite, dans un milieu professionnel traditionnellement plutôt à gauche, est venu s’ajouter celui de n’être pas du sérail. À mon arrivée, je n’avais aucune expérience des toxicomanes. J’avais certes une formation psychiatrique convenable, j’exerçais depuis une petite dizaine d’années dans des services de psychiatrie publique, en Picardie puis à Paris, mais sans aucune compétence spécifique à faire valoir dans le domaine de la toxicomanie. Circonstance aggravante, je ne suis pas d’obédience psychanalytique, ayant décidé de me former aux thérapies familiales et à l’approche dite « systémique » qui privilégie le travail sur les relations entre les personnes plutôt que sur l’individu.
En 1991, la France commence à mesurer les ravages de l’épidémie de sida parmi les toxicomanes. C’est le moment où la tension entre la manière traditionnelle d’aborder le soin aux toxicomanes (sevrage-postcure-psychothérapie) et les nécessités de limiter les dommages liés à l’usage de drogues commence à se faire jour. Le centre dont je prends la direction en septembre 1991 est un curieux assemblage d’archaïsmes et de pratiques extrêmement novatrices pour l’époque. Sa patientèle correspond pour l’essentiel à la clientèle classique des centres spécialisés de l’époque, celle des héroïnomanes aptes à se présenter comme volontaires pour le sevrage et l’abstinence. Les modalités d’entrée sont fondées sur l’analyse de la « demande » à travers de multiples entretiens, les professionnels sont tous des « thérapeutes », aucune attention spécifique n’est portée à l’état de santé physique des personnes prises en charge, le questionnaire d’entrée ne mentionne même pas le statut sérologique vis-à-vis du VIH. L’unité d’hébergement du centre est plus qu’à moitié vide, car les exclusions pour « défonce » sont fréquentes et les procédures d’admission laborieuses. La précédente direction a ouvert en 1990 une unité unique en France pour accueillir des mères toxicomanes séropositives avec leur nourrisson et le centre dispose, depuis début 1991, de douze places pour dispenser un traitement de substitution par la méthadone à des toxicomanes dépendants des opiacés. Ces nouvelles structures contrastent avec le reste de l’institution qui fonctionne d’une façon classique – une coexistence qui contribue à la division de l’équipe.
Quelques mois après mon arrivée, la fraction de l’ancienne équipe hostile à ma présence et qui avait porté pour l’essentiel les projets novateurs quitte l’établissement pour créer une nouvelle structure avec le soutien des pouvoirs publics. Je peux ainsi me consacrer plus tranquillement à mon travail, qui est de réorganiser le centre, de le doter d’une cohérence qui faisait grandement défaut et d’en rétablir l’équilibre financier. Consciente de devoir apprendre comment travailler avec les toxicomanes, je prévois dès mon arrivée de consacrer une partie significative de mon temps à les recevoir en consultation, pratique que je conserverai jusqu’à mon départ en 2012.
Au début des années 1990, ma compréhension du phénomène de la toxicomanie et de la psychopathologie du toxicomane repose sur mon rapport personnel aux drogues, ma formation de psychiatre, mes lectures, les échanges avec des collègues et la rencontre avec des toxicomanes dans le cadre de mon activité clinique.
Si j’ai, comme beaucoup de personnes de ma génération, fumé de loin en loin un peu de cannabis et consommé deux ou trois fois du LSD, si j’ai eu l’occasion de fréquenter des personnes dépendantes, force est de constater que je n’ai jamais été personnellement fascinée, ni même attirée par la toxicomanie ou les toxicomanes. Se maîtriser, garder le contrôle sont sans doute à mes yeux trop importants pour que je puisse apprécier de laisser une substance chimique s’emparer de mon cerveau et de mes émotions. Même si cela ressemble à un poncif, la culture juive ashkénaze dans laquelle j’ai grandi ne m’a sans doute pas préparée à une vie hédoniste tournée vers la quête du plaisir. Je suis donc a priori clairement différente des personnes que je dois aider. Il y a selon moi un lien entre la personnalité d’un thérapeute, ses choix théoriques et sa pratique clinique. Ce lien n’est pas univoque, chacune de ces dimensions rétroagissant sur les autres. Sans doute ai-je construit ma façon d’intervenir auprès des toxicomanes et mes options théoriques sur le sujet en tenant compte de la distance qui m’en sépare, sans chercher à la combler mais plutôt en l’utilisant. J’ai dès le début défini ma position comme celle d’une clinicienne, dont la fonction est d’aider les toxicomanes qui le demandent à changer. On trouvera dans les ouvrages que j’ai écrits à ce sujet 2 de plus amples développements sur ma façon de penser et d’agir à l’époque. Cette façon de se situer n’exclut pas d’écouter ce que les toxicomanes ont à demander et à dire – il n’est pas interdit d’être empathique –, mais elle constitue indéniablement le sujet toxicomane comme objet de savoir et le praticien comme sujet sachant (ou essayant de l’être). « Et quand bien même le rôle du médecin ne serait que de prêter l’oreille à une parole enfin libre, c’est toujours dans le maintien d’une césure que s’exerce l’écoute », relève Michel Foucault dans sa leçon inaugurale au Collège de France 3 .
J’ai été sensible au courant de l’antipsychiatrie qui s’est développé à la suite de Mai 68 en France, mais surtout en Grande-Bretagne, avec Ronald Laing et David Cooper dont j’avais lu et apprécié les livres. Mais à Paris, à la fin des années 1970, on disait que certains pionniers de l’antipsychiatrie, à force de nier la distinction entre fou et non-fou et d’utiliser des drogues pour partager des expériences de psychoses expérimentales avec leurs patients (même si le terme n’est ici pas adéquat), étaient eux-mêmes devenus fous et recouraient régulièrement aux structures psychiatriques qu’ils avaient dénoncées. Bref, à trop se rapprocher des personnes que l’on est en charge de soigner, on risque fort de se brûler les ailes. Cet exemple m’avait fortement impressionnée et a sans doute conforté mon penchant personne

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