Simone de Beauvoir et les femmes aujourd’hui
86 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Simone de Beauvoir et les femmes aujourd’hui , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
86 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Signataire en 1971 du Manifeste des 343 en faveur de l’avortement libre, Claudine Monteil a eu la chance de militer aux côtés de Simone de Beauvoir pour les droits des femmes. S’adressant à celle qu’elle a si bien connue, elle fait le point sur la marche des femmes vers plus d’autonomie et un plus grand épanouissement dans un monde plus juste. Croire en son talent, en sa force : n’est-ce pas ce qui compte plus que jamais ? C’est en tout cas le message que distillent les portraits et les parcours que propose ici Claudine Monteil, ceux de femmes d’Europe, d’Inde, d’Afrique ou des États-Unis, agricultrices ou entrepreneures, charcutières ou diplomates, artistes ou médecins, femmes de pêcheurs ou scientifiques, qui révèlent ce qu’être femme veut dire soixante ans après la publication du Deuxième Sexe. Historienne et biographe, Claudine Monteil a notamment publié Les Amants de la liberté. Sartre et Beauvoir dans le siècle et Les Sœurs Beauvoir. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2011
Nombre de lectures 5
EAN13 9782738187451
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , SEPTEMBRE  2011
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-8745-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
À la mémoire de ma mère, Josiane Serre, qui a aidé tant de femmes à construire leur vie.
Paris, le mercredi 28 octobre 2009
Chère Simone,
Un vent froid souffle sur la rue Schœlcher, balayant les feuilles des arbres du cimetière Montparnasse. Elles volent, virevoltent jusqu’aux volets bleu-gris égratignés de votre appartement. Les voitures passent à toute allure devant vos fenêtres mal entretenues, sans ralentir devant la plaque portant votre nom. C’est là, sous cette plaque qui n’existait pas alors, que je parcourais, tremblante, d’un pas rapide et nerveux le trottoir du 11 bis . C’est là que je scrutais avec ma montre d’étudiante l’heure qui me permettrait de sonner à votre porte du rez-de-chaussée, bloquée entre la loge de la concierge et la cage de l’ascenseur.
Dans quelques jours, soixante années se seront écoulées depuis la publication du Deuxième Sexe et donc depuis ma naissance. À mon tour, je serai cette vieille dame que je vous croyais être le jour de notre première rencontre, en 1970. Vous n’entriez pourtant que dans votre soixante-troisième année.
Je vous demande d’excuser cette réflexion sur votre âge d’alors. Je venais de fêter mes 20 ans. Les lendemains de Mai 68 nous accablaient de leur lot de désillusions et de rêves interrompus. L’air était à la révolte des jeunes femmes devant ce mur insupportable érigé depuis des siècles qui nous encerclait dans une ségrégation tolérée, plus sournois que le mur de Berlin, celui des hommes.
Lorsque vous avez ouvert la porte ce jour-là, ce n’est pas une vieille dame que j’ai découverte. Devant moi se tenait une femme d’une beauté à couper le souffle et d’une vitalité qui ne tarderait pas à épuiser la jeune étudiante enthousiaste que j’étais. Entre vous et moi, quarante-deux ans de différence, deux générations, se sont évanouis en quelques instants.
Aujourd’hui, c’est à mon tour d’être une dame d’un âge certain. Virevoltante. Enthousiaste. Débordée de projets. Rieuse. En vie. Parfois, des jeunes gens bondissent à ma vue dans le métro et m’offrent leur siège. Non, je ne suis pas vieille, ai-je envie de leur dire en m’asseyant, souriante et pourtant soulagée de ne pas rester debout parmi la foule. Comme vous êtes dans mes pensées ! Vous l’avez toujours été, vous le savez bien, votre force m’habite, me nourrit le matin au réveil et par-delà les heures qui passent. Parfois, vous êtes si présente que j’ai envie de prononcer votre nom à voix haute pour que nos droits ne soient pas étouffés. Je vois le monde à travers vous, épaule contre épaule. Vous m’avez tant appris, tant donné durant seize années et vous me manquez. J’ai envie de reprendre cette conversation interrompue voici vingt-trois ans, en 1986, lorsque vous êtes partie rejoindre Sartre à Montparnasse. Comme lui, vous avez traversé la rue, et aujourd’hui mon immeuble regarde le cimetière où vous reposez.
Il me reste une solution. Vous écrire. Vous raconter l’histoire des femmes et celle des hommes en ce XXI e  siècle que vous ne connaîtrez jamais, alors que tant d’êtres humains s’inspirent de votre vie. L’air que l’on respire est imprégné de votre force, de votre rayonnement, même si des millions d’entre nous ne le savent pas ou veulent l’ignorer. Disparue, vous nous parlez encore. Si vivante que mes poumons, en songeant à vous, pourraient en éclater.
Certes, vous ne répondrez pas à mes lettres. J’ai pourtant besoin de vous, de vous narrer le monde, de le penser à travers votre inspiration et votre regard incisif. Pour le transmettre à mon tour à celles et ceux d’aujourd’hui qui peuvent encore agir sur le cours de ce siècle. Et un jour peut-être, si vous le permettez, je m’assiérai sur le banc installé devant votre tombe où de jeunes Japonaises et autres étrangères vous écrivent des petits mots d’amour. Je vous chuchoterai ces missives comme si je vous confiais leur secret.
Vous souvenez-vous comme nous aimions parler des États-Unis, ce pays qui vous offrit l’une de plus vos belles histoires d’amour ? Vous êtes enterrée avec la bague mexicaine de votre amant, Nelson Algren et, durant les seize dernières années de votre vie, je vous ai vue la porter à votre majeur de la main gauche.
Vous vous inquiétiez des bombes qui soufflaient les cliniques de femmes en Californie, en Floride et dans d’autres États. Saccagées, ces cliniques ont peu à peu fermé. Des médecins pratiquant l’IVG ont été assassinés. Oh, juste quelques lignes dans la presse américaine, et si peu dans les médias français. Les meurtres de voyous et les braquages de casinos fascinent plus. La violence contre les femmes n’intéresse guère. Elle suscite une écoute de quelques instants. Polie. Indifférente.
Pourtant, votre combat n’a pas été vain. Subsiste, magnifique, dynamique, la clinique de Chico au nord de la capitale de la Californie, près de Sacramento. Des jeunes femmes ont pris le relais. De partout accourent des femmes en détresse aussi bien que des vedettes d’Hollywood, qui disposent pourtant d’une médecine de pointe à Los Angeles, à huit cents kilomètres plus au sud. Elles sont les arrière-petites-filles du Deuxième Sexe et conservent le tableau qu’Hélène de Beauvoir, votre sœur, avait offert à la clinique de Los Angeles.
À San Francisco se prépare un musée international des œuvres et des créations de femmes du monde entier. Pourquoi un tel musée ?, m’auriez-vous demandé. Pourquoi, en effet, séparer les œuvres des femmes, les parquer dans un endroit à part ? Vous en connaissez la réponse. Environ 8 % des œuvres exposées dans les musées ont été réalisées par des femmes. Soit 92 % d’œuvres masculines mises en valeur ! Les créations des femmes sont toujours reléguées dans l’ombre. Il faut donc y remédier.
Récemment, trois cents conservateurs de musée, la plupart des femmes, se sont retrouvés au Metropolitan Museum of Art de New York pour aborder la question. Elles sont déterminées à faire cesser ce scandale. En attendant, il faut réagir et innover. Non loin de la Maison Blanche, le National Museum of Women in The Arts reçoit la visite de nombreux groupes scolaires. Peu à peu, aux États-Unis, naît l’idée que les femmes artistes doivent se prendre en main et ne plus avoir peur d’apparaître dans la lumière.
Maria Shriver-Schwarzenegger, nièce de John Kennedy et épouse de l’ancien gouverneur de Californie 1 , a organisé en octobre 2009 près de San Francisco une conférence rassemblant dix mille femmes et intitulée Women’s Conference Empowerment. L’expression n’est pas aisée à traduire : « La responsabilisation des femmes ». Elle est pourtant fidèle à l’un de vos objectifs : s’inspirer des actions des autres femmes en les prenant comme modèles. Prendre ce que l’on nous refuse. Imaginer les outils de notre propre vie, dans l’indépendance et la dignité.
Cette conférence, à l’inverse de ce qui se passerait en France, a eu droit à un long développement dans l’émission la plus regardée le matin aux États-Unis. Good Morning America a effectué deux reportages sur le sujet présentant des femmes des partis politiques, démocrate et républicain. Cela n’aurait sans doute pas correspondu à votre point de vue, vous qui n’accordiez qu’à la gauche la bonne idée de défendre les femmes et leurs droits. Or le monde a changé et doit changer. Nous devons nous réjouir que les différentes familles politiques s’intéressent enfin à l’autre moitié de l’humanité. C’est le signe même du succès de vos idées. Élargir la responsabilisation à l’ensemble des femmes, ne plus se cantonner dans un parti politique. Et tant pis si certaines restent aliénées et ne comprennent pas les mécanismes d’oppression. Ne soyons pas maximalistes. Le simple fait que des femmes de différentes familles politiques souhaitent vivre leur vie, effectuer des choix, est une avancée.
Avancer. C’est ce à quoi nous nous attelons. D’un continent à l’autre et dans le microcosme des cellules familiales. Progresser n’est pas une mince affaire. Les retours en arrière sont fréquents. Le viol, par exemple. Nous avons accompli des progrès sur cette question alors que jadis, dans les années 1970, les victimes avaient en général tort. Pire, les plaintes des femmes, sans compter leur souffrance, n’étaient pas retenues. Parfois moquées. Les violences contre les femmes sont plus graves que jamais, déclariez-vous dans la presse en 1974. L’obsession du contrôle masculin se manifeste aujourd’hui encore soit par la violence conjugale, soit par les assassinats et agressions dont le Mexique est un exemple flagrant. À la frontière avec les États-Unis, des centaines de femmes sont carrément massacrées pour cause de non-collaboration avec les narcotrafiquants. On retrouve leurs cadavres. Tuées pour le plaisir, par le machisme avide d’exprimer sa présence. Quelques articles mentionnent ces hommes, des rapports des Nations unies en font état.
Et pourtant, nous avançons et nous allons encore progresser. Pas à pas. Même s’ils doivent chacun prendre des années. Ces lettres, je l’espère, le prouveront.

Paris, le lundi 9 novembre 2009
Chère Simone,
Il m’est difficile d’imaginer que vous n’avez pas vécu la chute du mur de Berlin de 1989. Aujourd’hui, nous commémorons le vingtième anniversaire de cet événement qu

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents