Renouveler la démocratie : Éloge du sens commun
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Description

Comment sortir du « tout se vaut » qui fait le lit du n’importe quoi ? Comment renouer avec l’idée qu’il existe une rationalité commune à tous, par-delà les clivages individuels et culturels ?C’est le fondement même de la vraie démocratie. Pour Raymond Boudon, le relativisme ambiant fournit un terreau favorable à une conception cynique des relations sociales et politiques, à la réapparition des fondamentalismes. Il nourrit le désarroi. Il légitime les confusions entre la morale et la politique, la foi et la raison, le privé et le public. La démocratie n’est plus alors qu’un système dominé par les conflits d’intérêts et la raison du plus fort. Face à cette perte de repères, on comprend que les élites semblent comme égarées et se laissent surtout guider par les minorités actives et par l’opinion. Une analyse en profondeur des sources de la crise politique que traverse notre civilisation. Raymond Boudon est membre de l’Académie des sciences morales et politiques et professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne. Il a notamment publié L’Inégalité des chances, L’Art de se persuader, Le Juste et le Vrai, Déclin de la morale, déclin des valeurs ?, ainsi que Tocqueville aujourd’hui, Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme et Y a-t-il encore une sociologie ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 octobre 2006
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738189431
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , OCTOBRE  2006
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN 978-2-7381-8943-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Toute la science n’est rien de plus qu’un raffinement de la pensée de tous les jours.
Albert E INSTEIN
Avant-propos

Les grandes idéologies positives ayant été écartées, elles ont laissé la place à une idéologie négative : le relativisme. Il traite les notions de vérité et d’objectivité comme des illusions et voit les valeurs comme arbitraires ou purement conventionnelles. Il met toutes les cultures sur un pied d’égalité. Il nie qu’une œuvre d’art puisse être objectivement grande, une institution objectivement bonne ou une théorie objectivement vraie. Il va même parfois jusqu’à considérer dans ses versions les plus radicales les théories scientifiques et les mythes comme des points de vue également valides entre lesquels il serait impossible de trancher. Il inspire une conception cynique de la vie publique. Il considère la notion de l’intérêt général comme un leurre qui dissimulerait une réalité prétendument plus profonde : celle des conflits entre groupes sociaux. Il veut que la vie sociale et politique ne soit faite que d’affrontements, que ceux-ci aient leur origine dans l’incompatibilité des « identités culturelles » ou dans la confrontation des intérêts de classe. Sur toutes ces questions, il se félicite de tourner le dos au sens commun, dont il interprète les certitudes et les espérances comme autant d’illusions.
Comme toute idéologie largement répandue, le relativisme n’est certainement pas sans exercer une profonde incidence sur la vie de la Cité. Faisant office d’un redoutable trou noir pour la pensée et pour l’action, il fournit, par le vide que crée son absence de contenu, un terreau favorable, non seulement à une conception cynique des relations sociales et politiques, mais à la réapparition des intégrismes et des radicalismes de toutes sortes à laquelle on assiste aujourd’hui. Il nourrit le désarroi intellectuel. Il légitime toutes les confusions : entre la morale et la politique, entre la morale et le droit, entre le droit et la politique, entre la science et la religion, entre la foi et la raison, entre l’émotion et l’argumentation, entre le privé et le public. Et j’en passe. Il autorise la substitution de l’affrontement à la discussion. Il conduit à une vision de la démocratie comme un système d’organisation politique reposant en fin de compte avant tout sur le principe de la raison du plus fort. Il réduit le rôle du politique à celui d’un « gestionnaire », soucieux avant tout d’éviter les conflits sociaux, conflits de classes ou conflits produits par la juxtaposition des « identités culturelles  », et se donnant pour tâche principale d’imaginer les « compromis » ayant les meilleures chances d’être acceptés.
On ne peut s’attendre à ce qu’une telle vision de la démocratie exerce une grande force de séduction. Elle n’est certainement pas celle du public dans son ensemble, mais elle donne l’impression de ne pas être sans influence sur les élites politiques et médiatiques des sociétés démocratiques.
C’est pourquoi le relativisme contribue sans doute à expliquer, à côté d’autres facteurs, le divorce entre l’opinion et le monde politique que chacun s’accorde à reconnaître. Il rend aussi en partie compte de la distance, dont témoignent toutes les enquêtes, qui s’est établie entre les intellectuels et la presse et l’opinion publique , un peu partout dans le monde occidental. Il explique que des lois soient votées dans les pays démocratiques qui contredisent les principes fondamentaux de la démocratie, ou que ces principes soient considérés comme définissant une « culture  » parmi d’autres. Est-ce bien, comme l’assure le célèbre politologue américain Samuel Huntington, sous l’effet du sociocentrisme qui sévirait en Occident que l’on considère les valeurs démocratiques propres à la « civilisation » occidentale comme des valeurs universelles ? La catégorie même de l’universalité ne fait-elle vraiment, comme il l’affirme sur le ton de la conviction dictée par l’évidence, que traduire le particularisme de la « civilisation » occidentale ? Pourtant, un tel diagnostic comporte une conséquence à la fois inévitable et difficilement acceptable : si le « culturalisme » représente une vérité ultime, il faut se résigner à ce que le respect des droits de l’homme ne soit inscrit que dans la « culture » de quelques nations, élues sans doute par la main de la Providence.
Des philosophes politiques contemporains suggèrent de mettre à jour la théorie de la démocratie afin de l’adapter à l’ère de la globalisation et de la percée des « identités culturelles », sans parvenir à convaincre qu’ils en proposent un véritable renouvellement. La raison en est sans doute qu’il n’y a pas grand-chose à rajouter à la théorie politique libérale issue des Lumières, celle à laquelle Montesquieu , Constant , Tocqueville , Stuart Mill et bien d’autres ont apporté des contributions décisives. Elle a insisté sur l’importance des contrepouvoirs . Ils se développent. On ne compte plus les organes de médiation ou d’alerte (les whistle blowers des Américains), les « observatoires » ou les « autorités » indépendantes qui sont créés jour après jour ici et là afin d’adapter les démocraties au déploiement de la modernité. Quant à l’intervention dans le jeu démocratique des groupes d’influence de toute nature, elle n’est en aucune façon une nouveauté, contrairement à ce que voudraient laisser entendre les théoriciens de la « démocratie participative ».
Cette dernière notion est de caractère, à vrai dire, plus incantatoire qu’opératoire. Elle prétend identifier un saut qualitatif qui nous conduirait d’une forme dépassée de la démocratie, la démocratie représentative, à une forme moderne ou post-moderne de démocratie, où chacun aurait le droit à la parole et aurait la capacité d’être entendu. Le tableau idyllique des relations sociales qu’elle évoque ainsi n’est évidemment qu’une fiction. En fait, la notion de « démocratie participative  » propose d’institutionnaliser discrètement l’action des minorités actives : de donner à leur voix, à leurs vœux et à leurs attentes un caractère quasi officiel, avec la conséquence que les instances représentatives auraient l’obligation de les reconnaître. De nouveau, derrière la notion de la « démocratie participative » se profile la vision relativiste d’une Cité composée d’une juxtaposition de « communautés » et de groupes d’intérêt latents ou patents, et d’une vie politique réduite à rechercher des compromis efficaces entre les exigences de minorités actives se présentant comme les porte-parole de ces « communautés  » et de ces groupes d’intérêt .
La difficulté est que la convergence entre les objectifs de ces groupes d’influence et l’intérêt général n’a rien de nécessaire. Mais, on l’a dit, la notion de l’intérêt général n’a pas de sens dans une vision relativiste de la politique . Il s’ensuit que, là où domine cette vision, la tyrannie des minorités actives apparaît comme redoutable. Certainement plus redoutable que la tyrannie de la majorité qui alarmait tant Alexis de Tocqueville. Car le développement des contrepouvoirs limite le pouvoir de la majorité politique. Quant à l’opinion publique prise dans son ensemble, elle traduit les conceptions, les motivations et les intérêts les plus divers. De plus, elle se compose toujours pour partie de « spectateurs  » qu’à la suite d’Adam Smith on peut présumer « impartiaux », car non directement concernés par tel ou tel sujet émergeant sur la scène politique et n’étant pas pour autant sans opinion sur ledit sujet. Par contraste, les minorités actives ne se préoccupent par définition que de défendre des intérêts ou des visions particularistes.
Le problème politique central de notre temps n’est donc pas de développer les contrepouvoirs . Ils sont certes indispensables à l’approfondissement de la démocratie, comme la théorie politique libérale l’a unanimement et amplement affirmé. Mais ils se développent plus ou moins spontanément un peu partout. Le problème n’est pas non plus d’institutionnaliser de façon plus ou moins subreptice l’influence des minorités. Elles se chargent de se faire entendre. Il est plutôt que, sous l’effet de la « perte des repères » induite par le relativisme, les principes fondamentaux de la démocratie ne sont plus l’objet du respect qu’ils méritent et aussi que, toujours sous l’effet du relativisme ambiant, les élites politiques et médiatiques se laissent surtout guider par les minorités actives et par l’opinion… politique et médiatique. Le relativisme impliquant l’ égalité de tous les principes ou, ce qui revient au même, l’absence de tout principe, la vie politique qu’il inspire ne peut être faite que de conflits et de tentatives d’apaisement des conflits à coups de compromis. À quand le vote d’une loi contre le blasphème par exemple pour mettre fin par un compromis aux caricatures qui blessent certains croyants ?
Pourquoi le relativisme est-il solidement installé aujourd’hui, au point d’être repérable derrière toutes sortes de prises de position et d’apparaître comme le dénominateur commun d’innombrables productions intellectuelles ? D’où provient l’autorité dont il jouit dans les sociétés occidentales modernes ? Pourquoi y représente

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