Qu est-ce qu une femme désire quand elle désire une femme ?
167 pages
Français

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Qu'est-ce qu'une femme désire quand elle désire une femme ? , livre ebook

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Description

Occulté depuis l’Antiquité, le désir de la femme pour la femme ressurgit constamment au cours de l’histoire, malgré sa répression, sa négation ou la fausse indifférence qu’il suscite aujourd’hui. Marie-Jo Bonnet interroge son statut dans la Bible, la psychanalyse, la famille et le politique ; elle se demande pourquoi il n’a pas de place ni d’identité propre dans la Cité, alors qu’il n’est frappé d’aucun interdit de type religieux ou profane. Créateur et spirituel, serait-il un instrument de libération politique ? À cet égard, elle livre une analyse originale de l’expérience du MLF, des débats récents autour de l’homosexualité, de la lesbophobie persistante. Mais le désir quel qu’il soit est avant tout une expérience singulière et complexe. Elle dresse ainsi un tableau inédit des différentes figures de l’amour lesbien à travers la littérature, chez des auteurs classiques comme Marguerite Yourcenar, Violette Leduc, Simone de Beauvoir et Djuna Barnes, plus récents comme Monique Wittig, Anne Garreta et Christine Angot, ou plus inattendus comme Madame de Sévigné. Historienne, écrivain, Marie-Jo Bonnet a notamment publié Les Relations amoureuses entre les femmes (xvie-xxe siècle) et Les Deux Amies. Essai sur le couple de femmes dans l’art.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 mai 2004
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738186232
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Marie-Jo Bonnet
QU’EST-CE QU’UNE FEMME DÉSIRE QUAND ELLE DÉSIRE UNE FEMME ?
© O DILE J ACOB , MAI  2004 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
ISBN : 978-2-7381-8623-2
www.odilejacob.fr
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2º et 3º a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Je remercie chaleureusement Jean-Luc Fidel de m’avoir encouragée à écrire ce livre dans un climat de liberté intellectuelle qui est l’esprit même des Éditions Odile Jacob.
 
À la mémoire de Germaine Barbey-Letac (1892-1973), ma grand-mère, qui m’a appris à lire et transmis le Magnificat …
 
… et aux femmes du MLF qui ont ouvert une nouvelle voie.
 

 
« Car voilà que désormais toutes les générations me proclameront heureuse ;
parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses ; (…)
Il a déployé la force de son bras,
il a dispersé les hommes au coeur orgueilleux.
Il a renversé les souverains de leurs trônes et élevé les humbles,
il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides. »
 
Évangile de Luc, 48-53

« Elles disent, prends ton temps, considère cette nouvelle espèce qui cherche un nouveau langage. Un grand vent balaie la terre. Le soleil va se lever. Les oiseaux ne chantent pas encore. Les couleurs lilas et violet du ciel s’éclaircissent. Elles disent, par quoi vas-tu commencer ? »
 
Monique W ITTIG , Les Guérillères , 1969
Introduction

Est-ce un signe des temps d’aborder cette question difficile, exigeante, complexe, que l’on ne se pose généralement pas à propos du désir hétérosexuel, voire du désir de maternité : qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ?
Comment répondre de manière satisfaisante ? Certaines diront qu’elles désirent l’égalité et des relations de réciprocité. Pour d’autres, c’est leur féminité qu’elles cherchent à travers celle de la femme 1 , ayant été privées, voire détournées de cette terre archaïque où gisent l’énergie première et les fondements de l’instinctivité authentique. Pour d’autres, il s’agira d’orienter leur cœur, leur esprit, leurs émotions vers les mal-aimées de l’histoire et de la culture patriarcale. Retrouver sa dignité de femme dans les gestes les plus simples de la rencontre avec l’autre. Lui donner notre écoute, notre disponibilité, notre force à travers l’expérience même du corps à corps où se captent et s’échangent les sensations les plus subtiles. Magnétisme de la peau… Apprentissage d’un autre mode de connaissance, de communication entre femmes, de savoir être, savoir aimer et savoir vivre ensemble…
Certes oui, mais plus on réfléchit à ces questions, plus nous devons admettre que les motivations profondes de nos désirs nous échappent. Entre les déterminismes familiaux, religieux, culturels, entre le jeu singulier de nos pulsions et le choix de nos partenaires amoureux, la marge est souvent étroite. Avons-nous même le choix, demanderont les sceptiques ? Dans le contexte hétérosexuel certainement moins que dans la sphère homosexuelle. Car si tout pousse vers l’autre sexe, le désir de la femme pour la femme rencontre a priori , et avant même son passage à l’acte, une opposition farouche lisible autant dans les familles que dans l’environnement socioculturel. Il faudra donc commencer par se demander s’il correspond vraiment à notre désir profond. Car même si le désir pour une femme prend à l’adolescence le caractère d’un impératif catégorique devant lequel le moi se révèle peu de chose, il faut bien lui donner notre accord et en accepter les conséquences perturbatrices. Alors, qu’est-ce qui nous pousse à y aller quand même ? Mystère. Et comment décoder ces pulsions qui se mettent au service d’un désir qui ne marche pas sur les mêmes sentiers que les autres ? Nouveau mystère. Et c’est tant mieux. Car s’il n’y avait pas de l’inconscient dans le désir, il n’y aurait probablement pas de désir. Et je ne parle pas seulement de l’inconscient personnel, alimenté par le refoulé de l’histoire familiale. Je pense aussi à l’inconscient collectif, aux aspirations féminines refoulées par la culture phallique parce que non conformes aux désirs des dominants, et qui cherchent à réémerger dans le présent par le jeu de nos désirs. Les femmes sont certainement plus sensibles à ce monde souterrain qui les porte vers un devenir autre, à ces rêves de leurs ancêtres dont la réalisation était toujours reportée à plus tard et qui ont acquis une telle force de conviction qu’ils se meuvent pratiquement d’eux-mêmes vers celles qui leur sont les plus réceptives.
Le désir de la femme pour la femme travaillerait-il donc au retour du refoulé ? C’est possible, sans oublier l’inconnu qui attire autant que l’inconscient pousse, nous confrontant à des résistances extérieures qui ont partie liée avec ce refoulé. On les range aujourd’hui sous le terme de lesbophobie, oubliant qu’elles sont aussi le levier de l’énergie désirante. Impossible d’étudier l’un sans l’autre, de libérer le savoir censuré sans analyser les obstacles qui s’opposent à son émergence. Voire ce qui le refuse, le nie, le méprise, le combat. Avec le désir lesbien nous sommes dans l’interdit et sa subversion. Dans l’histoire d’un désir qui n’a jamais pu trouver sa place dans la Cité et encore moins dans l’univers symbolique occidental. Renvoyé du modèle phallique au modèle virginal, de l’imitation de l’homme à l’amitié chaste entre filles, dans un Charybde en Scylla excluant la possibilité même d’une troisième voie. Désir du phallus et/ou désir de devenir mère, la société n’a toléré d’autre désir venant de la femme que celui mis au service de la reproduction de l’espèce.
Cette logique du tiers exclu est allée si loin qu’elle a nié toute singularité au désir lesbien. Ainsi, dans l’Antiquité romaine, les femmes qui se désiraient entre elles étaient appelées tribades, mot tiré du grec tribein qui signifie frotter, s’entrefrotter. Les tribades étaient donc des femmes qui s’entre-frottaient. Exit le désir, l’affection, l’amour. Elles furent nommées en fonction d’une technique de jouissance sexuelle qui semble avoir été l’unique et angoissante question que se posèrent les lettrés devant un phénomène qui dépassait leur entendement. Comment peuvent-elles jouir sans homme ? En s’entrefrottant, répondent les Romains, technique de seconde catégorie à ne pas confondre avec la pénétration, voire l’utilisation du godemiché. Plusieurs siècles plus tard (il semble que le désir vagabond n’ait pas choqué le Moyen Âge), les humanistes de la Renaissance se reposent la question et répondent de la même manière, alors que certains d’entre eux, tel Brantôme, utilisent le mot lesbienne pour désigner les femmes de la noblesse qui s’entraiment et vivent ensemble « à pot et à feu ». Mais du désir, il n’en est toujours pas question, tant il va de soi que les femmes sont destinées à être désirées par l’homme pour se marier et lui faire des enfants qui porteront son nom. Les plaisirs lesbiens sont des plaisirs subalternes, des amuse-gueules, dira Brantôme, préparant au seul et authentique « acte » sexuel, la pénétration phallique.
Pendant trois siècles on tolère le plaisir, on nie le désir, jusqu’à ce que l’évolution des mœurs impulsée par les utopistes de l’amour en quête d’un statut politique et social impose au XIX e siècle le renouvellement complet du regard sur l’éros lesbien. On élargit le vocabulaire. Ce sera « femme damnée » et lesbienne, pour les poètes comme Baudelaire, « gougnotte » pour les voyeurs, « uraniste », « invertie », « homosexuelle » pour les médecins psychiatres. Mais quelque mot que l’on choisisse, le désir est toujours hors la loi, si bien qu’au milieu du XX e siècle on ne sait toujours pas si l’homosexualité féminine relève du « mystère de l’homosexualité » ou de l’« énigme de la féminité ». Le principe qu’une femme puisse être reconnue comme sujet de ses désirs, et un sujet dont les choix engagent sa liberté d’être humain, est toujours écarté. La psychanalyse s’étant forgée à une époque où les femmes n’étaient pas reconnues comme sujets politiques, comment pourrait-on leur accorder une liberté érotique démentie par la réalité politique ?
Le savoir sur Éros n’échappant pas au cadre social et politique où il se constitue, la psychanalyse n’a fait que consolider la norme sexuelle dont elle avait hérité et qui s’est construite historiquement autour d’un double modèle : le modèle phallique qui veut que le phallus soit le signifiant du désir, et le modèle maternel qui veut qu’une femme qui n’a pas d’enfant n’ait pas pleinement réalisé sa féminité. En conséquence de quoi une femme ne saurait désirer autre chose que le phallus avec lequel elle conçoit les enfants du père. Comme c’est le père qui transmet son nom, c’est lui qui s’approprie la fonction symbolique et institutionnelle, éloignant un peu plus les femmes d’une généalogie symbolique qui ne peut s’incarner ni du côté de la maternité ni du côté d’un éros lesbien réduit au quasi-silence par un système de représentation symbolique qui ne sait jamais où le situer.
Nous partons donc du constat que, dans la Cité, le désir de la femme pour la femme n’a pas de place et pas d’identité propres. Ni du côté des femmes ni du côté des hommes. Non seulement l’éros lesbien est exclu de la symbolique « commune » de l’amour, y compris pour Sappho, comme nous le verrons en étudiant l’héritage antique, mais désirer une femme est pour une femme une trans

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