Ne demandez pas pourquoi, demandez comment
248 pages
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Description

S’interroger sur le pourquoi des choses n’est pas toujours pertinent quand on veut comprendre les grands sujets de l’existence et des relations humaines dans le monde d’aujourd’hui. Pour le sociologue David Lepoutre, mieux vaut, pour obtenir des explications éclairantes, se demander comment se déroulent les faits dans le temps et examiner, pour cela, les processus qui débouchent sur les situations et les problèmes du présent. Partant d’une vingtaine de grands livres, classiques ou inconnus, en sociologie, en ethnologie ou en histoire, voici un ouvrage qui vous emmène en voyage au pays des sciences sociales pour parler avec vous, comme si vous étiez sur le terrain, de destin personnel, de pouvoir politique, de famille et d’éducation, de travail et d’argent, de sexe et de drogue, de santé, d’alimentation, de maladie et de bien d’autres choses encore... Une invitation à réfléchir autrement au monde qui nous entoure et à redécouvrir le plaisir de comprendre. David Lepoutre est sociologue. Professeur à l’université Paris-Nanterre, membre du laboratoire « Institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société » (CNRS/université Paris-Nanterre), il est notamment l’auteur de Cœur de banlieue (European Amalfi Prize for Sociology and Social Sciences), qui est devenu un classique en ethnologie et en sociologie. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 novembre 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738147387
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , NOVEMBRE  2020
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4738-7
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
À Blandine.
Prologue

Les enfants demandent souvent « Pourquoi ? » et leurs questions parfois nous embarrassent. Le sociologue Howard Becker raconte, dans son ouvrage Les Ficelles du métier (Becker, 2002), que, lorsqu’il menait son enquête sur des joueurs de jazz, fumeurs de marijuana, dans les années 1950, il préférait demander aux musiciens : «  Comment avez-vous commencé à fumer de l’herbe ? » Cela s’avérait autrement plus efficace pour obtenir des récits comportant toutes sortes de détails intéressants, susceptibles d’enrichir sa compréhension, que de leur poser le genre de question abrupte : « Pourquoi vous fumez du shit ? »
Cela ne vaut pas que pour les conduites déviantes. Si vous demandez à un médecin pourquoi il a choisi son métier, il cherchera probablement des raisons légitimes, telles que la vocation, le désir de soulager les souffrances et de soigner. À moins qu’il ne force le trait dans la direction opposée et vous réponde que c’est le pur effet du hasard, voire principalement une motivation pour l’argent. Tandis que, si vous lui demandez comment il est devenu médecin, il vous expliquera plus facilement ce qui lui a donné l’idée, la succession des décisions, les circonstances de son choix, la réussite du concours de fin de première année, les affres des études interminables, le choix d’une spécialité en fonction de son rang au concours de l’internat, etc. Vous accéderez alors au processus concret, aux interactions qui ont dicté ses décisions et qui l’ont conduit progressivement à sa profession. D’une façon générale, le comment est souvent plus pertinent que le pourquoi, parce qu’il renvoie à la manière dont les choses se déroulent dans le temps et à la complexité des phénomènes, tandis que le pourquoi renvoie à la recherche trop souvent simpliste des causes, voire de la cause principale.
Ne demandez pas pourquoi, demandez comment  : tel est le titre de ce livre que j’ai donc emprunté à Howard Becker. Et c’est pour cela que les titres des dix-neuf chapitres qui suivent commencent tous par « Comment ». D’ailleurs, cela me fait penser à une autre question qui peut vous intéresser : comment ce livre a-t-il pris naissance ?
Les Ayères-du-Milieu sont un hameau d’alpage verdoyant, dans la commune de Passy, en Haute-Savoie. Il n’y a pas si longtemps, les paysans-éleveurs de la vallée y séjournaient en estive, avec familles et troupeaux. Mais leurs descendants ont quitté le monde de l’élevage et occupent des emplois dans les vallées urbanisées de la région ou ailleurs. Certains ont conservé ces maisons d’altitude au confort rustique, qui leur servent pour les week-ends ou les congés de la belle saison. En amont du hameau, les grandes pentes d’herbe fleuries au mois de juin, qui servent de pâtures aux vaches laitières, sont adossées au massif préalpin, ici constitué par des roches sédimentaires spécialement instables. La grande falaise noire du Dérochoir, qui porte bien son nom, fut le théâtre, au cours des siècles, de plusieurs éboulements de fin des temps, qui ont laissé dans le paysage des chaos rocheux spectaculaires.
En août 1997, avec mon épouse et notre première fille qui venait de naître, nous avons loué dans ce hameau un minuscule chalet, sans eau courante ni électricité, qui fit le bonheur de nos premières vacances de parents. Nous faisions chauffer l’eau glacée de la fontaine dans une bouilloire, pour préparer le bain du nourrisson. Il n’y avait pas autre chose à faire que jouir du temps présent, profiter de l’air frais des alpages et contempler la vue imprenable sur le mont Blanc, au sommet duquel étaient visibles à la jumelle, tous les matins, les cohortes d’alpinistes se hissant sur le toit de l’Europe.
À Passy, je venais de soutenir ma thèse de doctorat et j’étais encore loin de penser à ce livre. Mais, cet été-là, mon chemin de lecteur connut un tournant décisif avec la découverte de l’ouvrage de Stephen Jay Gould, La vie est belle (Gould, 1998 [1991]). Dans cet ouvrage plein d’humour et de poésie, le géologue-historien des sciences raconte l’épopée d’une révolution scientifique silencieuse qui eut lieu dans les années 1970. Trois paléontologues inventifs ont analysé un ensemble de fossiles d’animaux marins à corps mou datant de la première grande période d’explosion de la vie animale multicellulaire sur terre, il y a cinq cent trente millions d’années. Ces « fossiles de Burgess », extraits au début du XX e  siècle dans une carrière de schiste des montagnes Rocheuses canadiennes, avaient initialement été interprétés par leur découvreur, un éminent patron scientifique américain, qui avait classé tous ces animalcules dans des embranchements déjà connus de la taxinomie animale.
Deux décennies de patientes descriptions anatomiques, menées avec un esprit de rigueur et de précision sur les pièces à conviction de ces fabuleuses archives du passé, ont permis de remettre totalement en cause l’interprétation d’origine. En fait, la plupart de ces organismes appartiennent à des groupes zoologiques qui étaient jusqu’alors totalement inconnus. Et, pour ceux qui s’apparentent à des groupes existants, nombre d’entre eux présentent des différences anatomiques si importantes que cela obligea les chercheurs à créer de nouvelles sous-catégories. Dans le long processus évolutif ayant conduit jusqu’à nous, presque tous les embranchements et sous-embranchements présents dans la faune de Burgess ont disparu au fil des âges, sans laisser aucune lignée héritière.
En bref, cela signifie que la diversité des formes de vie n’est pas plus étendue actuellement qu’elle ne le fut dans ces temps anciens. Au contraire, à certaines échelles, la disparité s’est beaucoup amenuisée, par le fait des extinctions de masse – comme celle qui entraîna la disparition des dinosaures, il y a soixante-cinq millions d’années et comme celle qui semble nous menacer dangereusement dans les temps à venir. Cela montre que le processus de l’évolution ne correspond pas du tout à une marche inexorable vers la complexité et le progrès, telle qu’on se le représentait auparavant. Il n’y a pas eu d’abord les animaux à corps mou, puis les vertébrés, puis les poissons, puis les amphibiens, puis les reptiles, puis les mammifères, puis les primates, puis nous les humains. L’histoire de la vie sur terre s’apparente plutôt à une succession de longues séquences de diversification, interrompues par des décimations massives et brutales, largement gouvernées par la loterie. L’évolution, même si elle obéit à des principes établis, comme celui de la sélection naturelle, chère à Darwin, est globalement définie par la contingence. Si l’on déroulait à nouveau le film de l’histoire de la vie sur terre avec un seul changement quelque part, le résultat final serait tout à fait différent. Et nous ne serions pas là pour en parler.
Je ne risque pas de vous convaincre du bien-fondé de ce puissant résultat théorique avec trois paragraphes résumant un volume de 480 pages, au contenu aussi dense que passionnant. Mais Gould réussit à le faire, lui, grâce à son exceptionnel talent de conteur, son art consommé de la description et de l’explication, qui transforment la lecture d’un essai scientifique en une aventure captivante. Son livre, monté comme une pièce de théâtre, est une initiation à la paléontologie, à l’anatomie, à la taxinomie ; une fenêtre ouverte sur la fantastique variété des formes de vie, grâce aux descriptions des spécimens fossiles et à l’iconographie extraordinaire des étranges merveilles de Burgess, dont certaines mériteraient de figurer au panthéon de la science-fiction. Il est enfin une introduction vivante au fonctionnement de la recherche, à ses aspects psychologiques et sociaux, à la dimension de liberté, de beauté et de fragilité de la science. Oui vraiment, la vie est belle !
Qu’est-ce que cela change de concevoir l’évolution comme un ensemble d’événements qui s’enchaînent de manière logique, explicables rétrospectivement, mais impossibles à prévoir et non reproductibles ? Que nous importe de savoir que ce processus de trois milliards et demi d’années ne correspond ni au modèle en forme de cône renversé d’un accroissement continu de la diversité, ni à celui d’une échelle ascendante de la complexité et du progrès qui tendrait inexorablement vers Homo sapiens  ?
Je me rappelle que cette lecture, faite en compagnie de mon épouse et d’un petit bébé, dans un alpage aux nuits remplies d’étoiles, me fit voir d’une façon nouvelle notre destin d’être humain. Le livre de Gould contribua aussi à renouveler ma manière d’appréhender les faits sociaux dans le sens d’une place beaucoup plus grande accordée à l’histoire et aux processus. Sans compter un changement notable dans ma façon de mener mon existence, avec l’intégration systématique dans l’action des imprévus, des incertitudes et des surprises, autrement dit la contingence.
Dès lors, je n’ai plus jamais lu comme avant. Lire des livres est une activité soumise à des conventions très fortes. Où lisons-nous ? Au lit avant de dormir, dans les transports, en vacances. Que lisons-nous ? Des auteurs connus, quelques nouveautés, des livres prêtés par des proches. Même à l’université, le confor

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