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EAN13
9782362800559
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
2 Mo
« Je suis très vieux, j’ai beaucoup voyagé, j’ai épousé vingt-deux femmes, appris quatorze langues et interrogé toutes sortes de savants. Les villageois viennent donc souvent me consulter. Je ne peux pas leur offrir grand-chose, mais je les écoute, je leur donne des conseils. J’enseigne à quelques-uns les secrets des plantes et des mots qui guérissent. Et quand je n’ai rien à faire, j’aime réfléchir sur les transformations du temps ou raconter à mes proches les aventures que j’ai vécues. »
L’auteur prête sa plume à Moussa Djibi Wagne, qui partit un jour de bon matin, sous l’emprise d’une force obscure, abandonnant sa famille et son village des rives du fleuve Sénégal. Comment aurait-il pu savoir qu’il ne retrouverait sa première épouse, son pays natal et sa mémoire qu’après quarante ans d’errance ?
Une nouvelle Odyssée qui remonte jusqu’à l’enfance de cet Ulysse noir, et nous fait partager les tribulations d’un paysan peul de Mauritanie, ses émotions, ses croyances, la situation toujours tragique de son peuple, et sa quête inlassable de la connaissance d’Allah.
Sophie Caratini est anthropologue et écrivain. Après La fille du chasseur (Thierry Marchaisse 2011), elle poursuit ici sa grande trilogie historique sur le choc des mondes — maure, noir et blanc — dont les régions sahariennes ont été le théâtre.
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SOPHIE CARATINI
LES SEPT CERCLES
UNE ODYSSÉE NOIRE
© 2015 Éditions Thierry Marchaisse
Conception visuelle : Denis Couchaux
Mise en page intérieure : Anne Fragonard-Le Guen
Publié avec le concours de la région Île-de France
Éditions Thierry Marchaisse
221 rue Diderot
94300 Vincennes
http://www.editions-marchaisse.fr
Marchaisse
Éditions TM
Diffusion-Distribution : Harmonia Mundi
ISBN (ePub) : 978-2-36280-055-9
ISBN (papier) : 978-2-36280-054-2
Une trilogie coloniale
Note de l’éditeur
Sophie Caratini poursuit ici sa saga anthropologique sur l’empire colonial français. Cette œuvre sans précédent, tout à la fois littéraire et scientifique, croise les destins de trois personnalités représentant les cultures que la colonisation de la Mauritanie a entrechoquées. Elle met ainsi en perspective les différents points de vue – blanc, maure, noir – indispensables à l’analyse de la rencontre coloniale sur le terrain du Sahara et à la compréhension de notre temps, où ne cessent d’affleurer ses effets interminables.
Sont déjà parues, successivement, la biographie d’un jeune officier méhariste français, Jean du Boucher 1 , puis celle de Mariem mint Touileb, née en plein désert dans la tribu maure des chasseurs nomades Nmadi 2 . Et nous publions dans ce volume le témoignage d’un paysan peul, engagé comme tirailleur sénégalais, Moussa Djibi Wagne.
Ces trois récits de vie se recoupent en ce qu’ils ont le même foyer narratif : les unités méharistes de l’infanterie de marine française, qui contrôlaient le territoire septentrional de la Mauritanie ; mais chacun peut être lu indépendamment des autres, et chacun rayonne bien au-delà de ce moment colonial particulier. Ces textes ont aussi la même structure singulière : ils sont écrits à la première personne, et l’auteur anthropologue, à qui le narrateur ou la narratrice s’adresse, n’y apparaît qu’en creux. Aucun appareil savant n’y figure.
Qu’on ne s’y trompe pas cependant, les personnages sont des personnes et leurs propos, authentiques, résultent d’une transposition littéraire d’entretiens effectifs. De surcroît, chaque manuscrit a été soumis, avant publication, pour accord ou modification, à son protagoniste (ou à ses proches dans le cas de Moussa, décédé en 2007, bien avant la fin du travail d’écriture). En choisissant de s’effacer de la narration, l’auteur a pris certes le risque de semer le doute, voire le trouble, dans l’esprit de certains de ses lecteurs, mais c’était là le meilleur moyen de mettre en valeur la force exceptionnelle des paroles ainsi recueillies.
Enfin, l’anthropologue jusque-là silencieuse reprendra bientôt la parole. Comme les trois mousquetaires étaient quatre, cette Trilogie coloniale comportera en effet un quatrième et ultime volume, où Sophie Caratini montera à son tour sur scène, avec armes et bagages, pour dévoiler les coulisses de cette aventure scientifique, humaine et littéraire au long cours.
Thierry Marchaisse
1 La dernière marche de l’empire, une éducation saharienne , publié avec la collaboration de Thierry Marchaisse, Paris, La Découverte, 2009. Une nouvelle version augmentée de ce texte paraîtra prochainement aux éditions Thierry Marchaisse.
2 La fille du chasseur , éditions Thierry Marchaisse, 2011.
Poèmes et proverbes peuls
Écho douloureux des violences subies par les Peuls de Mauritanie de 1989 à 1991, des fragments de poèmes viennent scander chaque fin de chapitre. Ils sont tirés des recueils de Bios Diallo, Les pleurs de l’Arc-En-Ciel , l’Harmattan, 2002 et Les os de la terre , L’Harmattan, 2009. Nous remercions chaleureusement l’auteur et son éditeur de nous avoir autorisés à les citer en toute liberté.
Les sentences d’ouverture des chapitres ont été recueillies et traduites par Henri Gaden (1867-1939), saint-cyrien, officier de l’armée d’Afrique et finalement gouverneur des colonies à Saint-Louis. Elles sont tirées de ses Proverbes et Maximes Peuls et Toucouleurs , Institut d’Ethnologie de Paris, 1931.
À Moussa Djibi Wagne
In memoriam
Prologue
Hier, je t’ai mal reçue. Je t’ai dit que le livre que tu voulais écrire ne m’intéressait pas, que mes années passées à nomadiser dans le nord de la Mauritanie avec l’armée française ne m’avaient rien apporté, et qu’en publier le récit ne serait d’aucune utilité pour ma descendance. Je t’avais donné mon accord le mois dernier, quand tu étais venue avec Amy Barry. C’est vrai. Mais entre-temps, l’imam de la mosquée m’a mis en garde : il m’a dit que je ne devais pas te parler, que les gens d’ici ne racontent pas leurs histoires, surtout à un étranger ; que ça ne se fait pas.
C’est mon beau-fils, le fils de ma femme ; je vis chez lui, il me respecte. Il a argumenté, insisté, il a même amené ses amis et ils ont fini par me convaincre. Je ne te l’ai pas dit tout de suite, mais tu n’as pas mis longtemps à t’apercevoir que j’avais changé d’avis ; j’ai bien vu que tu étais contrariée. Moi aussi, ça m’a mis mal à l’aise, il n’est pas dans mes habitudes de manquer à mes devoirs d’hospitalité, et encore moins de faillir à ma parole.
Cette nuit, j’ai beaucoup réfléchi. Je me suis dit que si j’acceptais finalement de raconter ma vie, ou même une partie de ma vie, je serais obligé de décrire ma famille, mes amis, mes voisins, les gens que je connais. Et si je fais ça, je vais tous les impliquer. C’est pour ça qu’ils ne veulent pas. Dans la vallée, les gens sont très liés, tu sais, la parole de l’un engage tous les autres. Alors écrire un livre sur moi va bien au-delà de ma personne, forcément. Ça peut créer la pagaille. D’ailleurs ça a déjà commencé puisque certains ont voulu m’empêcher de te parler.
D’un autre côté, toi, tu n’as pas hésité : tu m’as confié des choses très personnelles sur ta vie, sur ton enfance, tes parents, et sur ton travail chez les Maures. Tu as essayé de m’expliquer pourquoi tu étais venue ici en me racontant l’histoire de ce marin mauritanien qui s’est réfugié chez toi, en France, quand les Maures ont commencé à massacrer les Noirs, en 1989 ; et celle de ton amie sénégalaise, peule elle aussi, que tu as recueillie ensuite avec ses enfants.
Quelque chose m’a touché dans ce que tu m’as dit, quelque chose dont je n’ai pas réussi à me débarrasser. J’ai passé des heures à me tourner et retourner sur ma natte, sans arriver à trouver le sommeil. Au moment où j’allais abandonner tout espoir de m’endormir, Allah m’a visité. Il m’a dit que ta venue était un grand événement, une bonne fortune dont je devais me réjouir plutôt que de t’éconduire avec mauvaise humeur. Il m’a fait comprendre mon erreur. Personne n’est à l’abri des erreurs.
Aujourd’hui, je veux te faire oublier le mauvais accueil que je t’ai réservé. Ce n’est pas ainsi qu’un musulman doit recevoir un hôte étranger. Vraiment pas. Pardonne-moi d’avoir si mal agi. D’abord, je dois égorger un mouton en ton honneur. Il sera petit, parce que je ne suis pas riche, mais c’est indispensable. J’ai envoyé mon fils en chercher un. Dis-moi quand tu veux le manger, demain ou après-demain ? Le matin ou le soir ? Veux-tu venir ici le partager avec moi, ou préfères-tu que je te fasse porter le plat dans la maison où tu habites ?
Je n’avais pas compris ce que tu voulais faire, à quoi ce livre pourrait servir. C’est aussi pour ça que je me suis mal comporté. Amy a bien fait de te conduire vers moi. Elle sait que je ne suis pas comme les autres : je raconte volontiers mes histoires, c’est plutôt rare, par ici. Peut-être parce que je suis resté si longtemps absent, pratiquement la moitié de ma vie : j’ai passé quarante ans au Nigéria. J’ai quitté mon pays à trente ans ; trente et un pour être exact. C’est jeune. Je suis revenu à l’âge de la vieillesse.
En 1949, quand je suis parti, les Français étaient encore là ; alors ce qu’ils ont apporté, ce qu’ils ont emporté, et ce qu’ils ont laissé, je peux te le raconter parce que je l’ai vu de mes propres yeux. Et pas seulement vu : s’ils ne m’avaient pas capturé pour m’obliger à faire mon service, je n’aurais pas appris le métier de soldat. J’aurais vécu au village, auprès de mes parents. Au lieu de ça, je me suis engagé dans la Garde. Non, tu te trompes, la Garde n’était pas la police, c’était la gendarmerie, c’était l’armée. Et j’y serais sans doute resté s’il n’y avait eu cette bagarre avec mon brigadier-chef…
À l’armée, que ce soit chez les méharistes ou dans la Garde, j’ai constaté que les Français ne s’intéressaient pas du tout à nos coutumes, qu’ils ne cherchaient ni à les comprendre, ni à en tenir compte ; d’ailleurs aucun d’entre eux n’a jamais parlé notre langue, alors que certains ont appris l’arabe des Maures.
Chez nous, dans la vallée, chacun a sa place, une place qui lui est assignée dès la naissance par ses ancêtres, son lignage et son village ; par son âge aussi, et selon que c’est un homme ou une femme. Comme ils n’en tenaient pas compte, les Blancs ont souvent mis les gens dans des positions inversées, donc intenables.
Au village, si ton père, ton grand frère ou même le petit frère de ton père est injuste envers toi, tu n’as pas le droit de te rebiffer, tu dois faire ce qu’il te dit et continuer à le respecter. Dans l’armée française au contraire, si un officier apprend que ton chef te maltraite, il peut décider de te rendre justice, et même de le punir, quitte à apporter le déshonneur et donc le chaos dans toute la famille.
Je vais te donner un exemple : imagine qu’un commandant punisse la faute que ton brigadier-chef a commise envers toi, et que celui-là se trouve justement être le frère ou le cousin germain de ton père. Eh bien, tu ne vas rien gagner du tout, au contraire : la honte de ton par