Les Sens du rire et de l humour
109 pages
Français

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Les Sens du rire et de l'humour , livre ebook

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Description

« Le rire est la cascade sonore par laquelle on reprend son souffle après qu’il a été coupé, légèrement, par une surprise agréable, un trait (d’esprit mais pas toujours), une différence vivace, un entre-deux qui, nous ayant un peu ouvert, nous a permis d’entrecouper le ronron, le sérieux-sériel du travail, la longue continuité avec soi-même. Le rire libère ou plutôt décharge une curieuse charge signifiante dont on a reçu le choc… » D. S. C’est ainsi que Daniel Sibony, tout en intégrant les approches de Bergson sur le rire de situation, de Freud sur la levée du refoulement, et de Baudelaire sur le grotesque, donne au rire une dimension et une portée symboliques, transmetteuses de vie, qui engagent notre rapport à l’être, aux autres, à nous-mêmes. En quoi son approche est nouvelle. En passant il prend appui sur un vaste éventail d’exemples, de Devos à Woody Allen, du rire d’Abraham aux Marx Brothers, de l’humour juif ou anglais au rire de la joie ; et il le fait avec la finesse du psychanalyste. Daniel Sibony a notamment publié Don de soi ou partage de soi ?, Lectures bibliques et un roman, Marrakech, le départ.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 février 2010
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738198082
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© ODILE JACOB, FÉVRIER 2010
15, RUE SOUFFLOT, 75005
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9808-2
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
À Charlotte dont l’éclat de rire vient de loin.
Introduction

Le rire est une secousse plaisante qui déstabilise, mais sans laquelle on serait stable en continu, identique à soi-même, dans un ennui inébranlable. Ce petit ébranlement dont on se remet – en principe, cela ne va pas jusqu’à la syncope – est en fait une cascade de secousses où l’on se quitte et se retrouve toutes les demi-secondes, à peu près, le temps d’un souffle ou de quelques inspirations. Devant un sens caché ou malicieux, devant une autre face des choses, le rire surprend et emporte. Car c’est plus drôle, quand le monde est à double face, plus trompeur aussi, mais le rire comporte une tromperie surmontée aussitôt que perçue.
Rencontrer la double face de nos petites réalités, ou son propre double, cela fait rire dès que ce n’est plus inquiétant. Le rire est une affaire de rencontre, y compris avec soi ; on y fait couple, on y est au moins deux ; même le sens se dédouble. Corps et âme s’entrechoquent, faisant parfois vriller un certain vide, un drôle d’éclat qui les relie et les distingue.
Et il y en a, des rires, on n’a que l’embarras du choix. J’ai en tête le rire nerveux de certaines patientes qui essaient de masquer l’angoisse et qui la signalent davantage ; le rire fou, éclatant, qui ne marque rien de comique mais célèbre une délivrance, qui l’indique comme possible et parfois la met en acte ; le rire du grotesque, qui évoque l’exultation des accouchées quand un bout de vie autonome a jailli de leur ventre. Et ce rire lointain qui semble venir d’un autre monde, d’une autre réalité, comme d’un rêve (curieux lien entre le rire et le rêve). Parfois, analyste et patient(e) rient en même temps, comme saisis et dépassés par un même rire venu de loin, qui montre le passage soudain, le dévoilement inattendu. Ce même rire éclate quand, sur fond d’ennui, une histoire vive est relancée, comme un jaillissement fécond sur fond de stérilité.
On nous dit que certains rient « pour résister », qu’ils ont un « rire de résistance ». Pourquoi pas ? Le rire est aussi une façon de résister – à la contrainte, à l’état neutre – mais en passant, ce n’est pas son but. Du reste, en a-t-il un ? Un rire véhément qui se donne des objectifs est un faux-rire. Certes, on résiste au pouvoir imposteur par le rire, la dérision, la moquerie ciblée. Molière face aux dévots et aux pédants, à l’avarice, l’hypocondrie, l’hypocrisie… On rit de l’autorité obtuse qui empêche de vivre, mais est-ce en vue de résister ? Si l’on pouvait rire en vue d’être heureux, cela se saurait. Pour rire, il faut déjà un peu de bonheur, de bonne rencontre, de bon hasard. On ne rit pas pour quelque chose, on rit. On peut rire du pouvoir, ou plutôt de sa bêtise, mais ce qui a pouvoir sur nous, malgré nous, un symptôme par exemple, ce serait si bon d’en rire, et ce n’est pas le cas. Ce sont d’autres qui tentent de nous faire rire avec, sans toujours réussir. Si l’on pouvait, par le rire, se libérer de ses tares, on l’aurait déjà fait. Le rire « fait du bien » dans l’instant, mais il n’est pas fait pour servir, même s’il « change les idées », secoue les poumons et améliore les endorphines…
 
Pour Bergson, le rire est le choc entre l’humain et l’automate (« lorsqu’à la place de l’humain surgit l’automate »… ; mais l’inverse est aussi vrai). Pour Freud, c’est le choc entre le visible et le refoulé. En fait, ces deux points de vue ne sont pas si différents, et j’aimerais les intégrer dans une approche plus vaste : le rire comme entrechoc ou événement entre deux niveaux d’être, de pensée, d’expression . Pour élargir la perspective, j’utilise certaines notions qui parcourent toute mon œuvre : l’entre-deux , le jeu avec le cadre et les frontières , les cassures de l’identité , l’événement d’être qui la secoue – en apparence et parfois en profondeur – jusqu’à la faille inéluctable. Alors, le rire apparaît comme un coup heureux dans le jeu des entre-deux 1 .
Car rire suppose de se donner du jeu, un jeu où l’on peut se faire plaisir à certains moments aigus. Le rire, comme le jeu, est universel même si ses voies d’accès sont singulières. On ne joue pas, on ne s’amuse pas de la même façon au Moyen Âge et aujourd’hui, dans une tribu d’Afrique et en Europe ; mais partout on joue, on aime jouer ou voir jouer, et capter des surprises qui font crier de joie, notamment des coups subtils où l’un des deux est trompé dans son assurance. Certains se promènent dans le langage en étant plus centrés que d’autres sur l’esprit de jeu, le jeu des mots pour commencer, mais aussi des corps, des textes, des contextes – qui accouplent des textes pour faire jouer les entre-deux, et jouir du double sens, de l’anachronisme, de l’utopie, de l’absurde. D’autres, dont la promenade langagière est plus ardue, apprécient le jeu en tant que spectateurs, ils guettent les coups heureux où se rejouent des envies de tromper, de mentir, de gagner malgré tout, de relever le drapeau de leur narcissisme en berne. Toutes ces envies archaïques ou raffinées que la vie a frustrées se satisfont par le jeu, même au niveau du semblant. Et dans ce vaste espace du jeu, le rire est un moment aigu, il porte à son comble l’envie de se distraire, de couper un peu les traits, les liens qui vous tirent et font de vous une bête de trait ; il coupe juste le temps de souffler, et vous fait respirer fort dans un spasme assez curieux.
 
Nous aurons donc à questionner le sens du rire. Il y a longtemps, dans un texte sur ce thème 2 , je m’expliquais avec Bergson, qui s’est fixé sur le rire de situation  ; avec Baudelaire, qui a pointé le rire du grotesque – distinct du précédent qu’il nomme rire significatif  ; avec Freud aussi 3 , pour qui la force du mot d’esprit tient au fait qu’il lève un refoulement, de sorte qu’au fond il entrechoque deux niveaux d’idées, conscient et inconscient. Mais cet entrechoc peut aussi angoisser ou sidérer ; pourquoi fait-il rire ?
La question du sens comporte celle du non-sens, de l’absurde, de la loi. Elle touche aussi à la présence en tant qu’elle est au-delà du sens : quand deux êtres sont ensemble, deux corps sont présents et plus ils évacuent le sens, plus il y a du rire possible. Il suffit qu’ils n’aillent pas dans le même sens pour produire de belles secousses, des trouées dans la lourdeur. Cela met entre eux un vide de sens, un appel d’air, de quoi respirer autrement.
 
Baudelaire, lui, déplorait le rire moqueur, « la faiblesse se réjouissant de la faiblesse 4  ». En fait, on allège la sienne en la raillant chez l’autre. On se masque au moyen de l’autre  ; et cet autre, revêtu de nos tares, on l’agite comme un guignol devant le destin avec l’idée de l’écarter, de le conjurer. Le rire a des accents d’exorcisme.
Pour Baudelaire, le rire naît du choc entre deux infinis, celui qui sépare l’homme de Dieu et celui qui le sépare de l’animal. Mais l’homme est lui-même l’entrechoc fugace de ces deux infinis. Disons plutôt que le rire éclate entre ce qui nous dépasse et ce qu’on dépasse. Cela aussi fait un large entre-deux , où l’on aimerait qu’il y ait du jeu, avec des coups surprenants. Justement, à l’image de l’homme, le rire est à la fois brut et subtil , poussif et inspiré , créateur de bêtises et bêtement récréatif .
Avec de bonnes alternances : il y a un temps pour rire et un pour pleurer ; même si le rire et les larmes se rejoignent quelque part. Il y a un temps pour bâtir et un pour détruire, mais l’acte de bâtir parvient à être indépendant de l’autre acte qu’il a pourtant requis. De même, le rire et le sérieux, ou le rire et la tristesse constituent des entre-deux qui ne cessent d’agir l’un sur l’autre. Ils se supposent l’un l’autre pour jouer à se faire faux bond. On peut rire sur fond de désespoir, lequel se retrouve au fin fond de certains rires.
 
Quant à mettre la main sur la cause du rire, à la répéter quand on veut pour obtenir le bon effet, beaucoup devront y renoncer ; ils n’auront pas le mécanisme. Qu’ils appliquent tous les procédés comiques, le rire ne s’ensuit pas forcément. Les techniques pour faire rire sont nécessaires mais largement insuffisantes. L’acteur comique ou le bouffon le savent ; alors, ils comptent sur l’effet de groupe, sur la contagion, pour forcer le rire par d’autres voies ; des voies de garage bien souvent, où l’on peut faire l’idiot à fond. Et quand on s’offre à éponger la bêtise ambiante, on peut être bien reçu.
Mais le rire signe d’abord une liberté ; il faut y être disposé ; il y faut l’étincelle, l’événement, la surprise, et d’autres ingrédients. Le rire est surdéterminé ; quand ça prend , tous les éléments se tiennent et sont indispensables. Encore faut-il une certaine forme ; si elle manque, la chose qui en a fait rire d’autres nous laisse froids (mauvais récit d’une histoire drôle). Il faut une justesse, une légèreté, une rigueur de la rencontre où l’on trébuche sur soi-même et sur ses doubles.
Car dans le jeu de la vie, aux abords du rire, avec sosies, caricatures, contrefaçons, on joue à être l’autre , à se prendre pour soi… se prenant pour l’autre. Miroitement duel seul, à deux ou en groupe.
 
Et qui dit deux, dit aussi appel du sexe : le rire comporte du sexuel, dans ses variant

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