Les Secrets de famille
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Les Secrets de famille , livre ebook

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Description

Pourquoi avons-nous parfois le sentiment d’être le jouet d’une histoire qui nous dépasse et nous ramène plusieurs générations en arrière ? Serions-nous, à notre insu, porteurs de secrets anciens qui auraient été tus dans la famille ? Mais si nos ancêtres nous marquaient certes bel et bien, mais pas comme nous le pensons ? Et si cette transmission, dite « de génération en génération », n’était pas ce que l’on croit ? Et si nous la pensions à l’envers, si elle n’était pas dans ce qui nous est dit, ou dans ce qui nous est tu ou refusé, mais dans ce que nous en percevons et faisons ? Une étude passionnante, fouillée et très illustrée, sur le poids que l’on prête aujourd’hui aux ancêtres et à leurs secrets. Psychologue clinicienne, professeur en sciences de l’éducation, Martine Lani-Bayle enseigne à l’université de Nantes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 octobre 2007
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738191151
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , OCTOBRE  2007
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN 978-2-7381-9115-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
À Albert, Adélaïde, Ambre…
« J’ai creusé un trou entre les racines, j’ai plié la photo en quatre et je l’ai mise dans la terre. J’ai rebouché et j’ai replacé la motte d’herbe à sa place. Les arbres ont des pouvoirs. Ils peuvent digérer des choses que nous ne pouvons même pas avaler. Ils les transforment avec leurs racines, et pour finir les vers les mangent. C’est la raison pour laquelle les arbres vivent plus longtemps que les hommes. Les arbres ont plus de temps que nous. »
Marie D ESPLECHIN.
Prélude
Un pas en avant, trois pas en arrière

« Je ne suis finalement que le témoin de quelques secrets égarés dans la banalité du temps. Des puzzles. Des terres perdues. Des silences. Des méconnaissances. Des inconnaissances. Des soupçons. Des fragments de vérité qui font vibrer l’air et produisent des mirages… »
François V IGOUROUX .

Au cœur des familles, il est des non-dits qui circulent en silence et que des événements inopinés activent, suscitant des croyances têtues en l’inéluctabilité de « répétitions ». Comme s’il fallait toujours un « avant » soi pour justifier ce qui aujourd’hui nous atteint…

La chute
Début septembre 2003, je me suis cassé le bras pour m’être inopinément trouvée, alors que je faisais du vélo, entre des rails, et avoir tenté de m’en échapper. Racontant l’épisode en famille (côté maternel), j’entendis : « Tu n’es pas la première à qui pareille mésaventure arrive ! Tu sais ce que l’on peut lire dans le journal de ton arrière-grand-mère ? Qu’elle aussi s’est cassé un bras en tombant de vélo à Versailles… À cause des rails du tramway . »
Une évocation fait souvent associer. Le tramway de Versailles, c’est une partie de mon enfance. La TUV, « transports urbains versaillais », est restée dans ma mémoire , avec la petite machine qui servait à oblitérer les tickets que le contrôleur introduisait lui-même dans l’encoche, avant de faire tourner une manivelle. Plus tard, j’appris que c’était un de mes ancêtres, côté paternel, cette fois, qui avait inventé la machine dont j’entends encore le bruit… Pour le motif de ma présente chute, il ne s’agissait pas des rails d’un tramway disparu, mais d’une ancienne voie de wagons portuaires. Autres temps autres lieux, certes, mais cet accident semblable fit revenir à l’esprit cette arrière-grand-mère maternelle inconnue . À cette évocation d’une expérience commune, cette femme d’un autre temps me parut d’un coup plus proche, quasi familière : j’étais prête à croire que nos gestes étaient liés, cette perspective me plaisait presque. En tout cas, je sentais naître pour elle une curiosité sans précédent : que faisait-elle ce jour-là sur son vélo plutôt que chez elle ? Et comme il devait être difficile de pédaler avec les grandes jupes et nombreuses épaisseurs de jupons de l’époque. On devait, de plus, avoir bien chaud, à s’agiter ainsi vêtue, mais, au moins, voilà une femme qui ne passait pas son temps dans son salon à recevoir pour le thé, ou dans sa chambre en compagnie de ses migraines.
Le plus amusant, c’est que, reparlant de cet épisode dernièrement dans la famille, j’entendis que ce ne serait pas le bras que cette aïeule se serait cassé, mais la jambe. Pourtant, j’avais bien entendu « bras » au téléphone ; en tout cas, c’est ce que j’avais retenu. Et là, je me suis rappelé que le mari de cette ancêtre s’était bien, lui, cassé un bras. C’était lors de son service militaire, en Angleterre. À peine remis, il l’avait ensuite carrément perdu, broyé lors d’un accident de travail (il était tanneur). Or, je n’avais pas été induite à associer ce drame pourtant connu à ma mésaventure présente, sauf à réaliser qu’avoir deux bras est bien pratique : se trouver manchote pendant trois mois est gênant, mais toute la vie, cela devient une autre affaire. Est-ce pour cela que je ne me suis pas identifiée à cet autre ancêtre, alors que je m’étais sentie toute prête à me rapprocher de l’expérience encore ignorée de son épouse ? Ou parce que les circonstances de l’accident de mon arrière-grand-père étaient fort différentes et qu’une femme s’identifie plus facilement à une autre femme ?

Les contresens du temps
Il est clair, dans un tel rapprochement, que le temps s’inverse, la conséquence (découvrir après un choc qu’une ancêtre est tombée dans des circonstances analogues) devenant la cause de la chute (je tombe parce qu’ une ancêtre est tombée dans des circonstances analogues non dites). De la sorte, on a toujours raison : vu le nombre exponentiel des ancêtres, il s’en trouve toujours un, ou plusieurs, à avoir, avant nous, et dans les banalités de la vie quotidienne, commis un acte proche de ce que l’on fera un jour, à notre tour. En effet, agit-on jamais d’une façon vraiment, totalement nouvelle ? Surtout quand il s’agit d’actions humaines courantes, d’accidents possibles, d’occurrences probables ?
Mathématiquement, on peut calculer ce potentiel innombrable qui nous précède directement : deux géniteurs, quatre grands-parents, huit arrière, seize arrière-arrière, trente-deux quadrisaïeuls. Si on se limite à un tel empan mémoriel qui nous fait remonter d’environ un siècle et demi, ce qui reste acceptable. Mais cela fait, déjà, un pool de soixante-deux personnes – en l’occurrence, cent vingt-quatre bras et cent vingt-quatre jambes. Un siècle de plus, et nous sommes face à mille vingt-deux personnes en effectifs cumulés 1  ! Et je ne compte là que les ancêtres directs, pas les collatéraux proches ni les parentés spirituelles ou de cœur, tout aussi, voire parfois plus marquants, puisque volontaires ou choisis. Comment imaginer, devant un tel panorama, que je sois la première à avoir ouvert la voie en me cassant un membre ? Si j’ai envie de m’effrayer, je peux aussi me rappeler, je viens de le dire, que l’un d’eux, Léon 2 , a carrément perdu son bras, après se l’être cassé.
Si je poursuis, je peux aussi répertorier ce que nous savons dans la famille des autres accidents plus ou moins graves subis par mes ancêtres, afin de me faire une idée plus claire de ce qui serait répétable : alors, il m’est possible, preuves à l’appui, de constater le nombre d’événements susceptibles de m’arriver quasi tous les jours parmi la gamme de possibles à décliner tout au long de la vie. Et, si je pars d’un autre bout, à savoir ce qui m’est déjà arrivé de mémorable, nul doute que je ne trouve quelque ascendant qui m’en ait fauché la primeur. Sur cent vingt-quatre (en se bornant toujours au tout début de la remontée) à avoir vécu chacun plusieurs dizaines d’années, cela fait un répertoire d’événements considérable, effectifs pour eux et potentiels pour moi.
Ai-je même fait quoi que ce soit de neuf qui n’ait été pratiqué avant moi ? Puis-je seulement être une inventeuse de comportement, une initiatrice ? Une quelconque première fois demeure-t-elle « possible » ? Et si l’on (se) doit (d’)éviter tout ce que nos « précédents » ont fait de malencontreux, que reste-t-il, pour soi, comme expérience de vie ? Voilà qui réduit singulièrement les perspectives. D’autant que je peux aussi, vers l’aval, m’inquiéter de ce que mes propres descendants vont pouvoir faire de leur vie. Me cassant le bras et par là, reproduisant un geste familial car déjà éprouvé en son sein, j’assigne ainsi quelque prédisposition renforcée à la chute pour un futur être pas encore né. Ou alors, j’induis une faiblesse à avoir un accident de quelque ordre qu’il soit au même âge ou à la même époque, chez tel hypothétique descendant…

Il faudrait qu’on en cause…
L’être humain aime bien se sentir « causé » par quelque chose, que ce soit l’atavisme ou les étoiles via un horoscope attrapé dans la presse. Peut-être cela l’aide-t-il à se défaire de la responsabilité de ses propres actes, à s’en déculpabiliser ? L’homme recherche les pré-dictions, les pré-voyances, sans doute aussi pour diminuer les marges d’incertitudes de lendemains trop mouvants. Ce ne sont pas les météorologues qui nous contrediront. Mais la prophétie en matière humaine est fâcheusement autoréalisatrice, et c’est en cela surtout qu’elle se donne raison : on a tendance, malgré soi, à faire ce dont on est persuadé (même en l’ignorant) de la réalisation. Ce que l’on redoute acquiert une réelle prédisposition à s’effectuer car, à son insu, la personne convaincue se met en état pour qu’il ait lieu : plus la croyance est forte, plus les possibles sont verrouillés et plus les prédictions ont de chances de se produire . S’autoengendrant de la sorte avec efficacité, une croyance se renforce au point d’en devenir arrogante. Le « quel maladroit ! » convaincu se fait vite convaincant ; il précède la maladresse redoutée en la provoquant, et non le contraire – c’est ce qu’on appelle, quand elle agit en différé, l’« anxiété anticipatrice ». A posteriori , le récit récapitulant l’événement inverse l’ordre des successions, donnant raison à la prévision – « je vous l’avais bien dit ! » en est l’incontestable constat.

L’angle mort du passé
D’où nous viennent donc ces fâcheuses prophéties ? Et jusqu’où peuvent-elles remonter, accompagnant insidieusement notre héritage de la vie ? Pourquoi, quand il nous arrive quelque chose, avons-nous tendance automatiquement à chercher d’abord

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