Les Nouveaux Riches
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Les Nouveaux Riches , livre ebook

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Description

Silicon Valley : temple des nouvelles technologies, berceau d’entreprises mythiques comme Hewlett Packard, Intel ou encore Yahoo, symbole du capital-risque, de l’argent facile. Surprise : de tous jeunes millionnaires créent des fondations, financent l’action sociale et s’adonnent au bénévolat. Dans la jungle du business, loin des univers qui lui sont familiers, l’ethnologue retrouve l’esprit du don mis au service d’un capitalisme toujours en quête de profit et de rentabilité. Où l’on découvre les voies inattendues que prend la charité au pays de la libre entreprise. Directeur du Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales du CNRS, Marc Abélès est notamment l’auteur d’Un ethnologue à l’Assemblée.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2002
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738180841
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© ÉDITIONS ODILE JACOB, JANVIER  2002
15 , RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-8084-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Introduction

On a dit que la Silicon Valley produisait soixante-quatre nouveaux millionnaires (en dollars) toutes les vingt-quatre heures, y compris à Noël. Mieux : d’après John Doerr l’un des capitalistes les plus en vue, de la vallée, « c’est en ces lieux qu’on trouve la plus grande création de richesse de l’histoire de la planète ». De quoi faire rêver ! Et il est vrai que le nom seul, « Silicon Valley », évoque un univers où l’innovation est synonyme de réussite et de prospérité. Fini le temps où les inventeurs se débattaient pour survivre, voués à la médiocrité et à l’anonymat : pour nos contemporains, la Silicon Valley représente une sorte de pays de cocagne où les créateurs sont récompensés à la hauteur de leurs ambitions. De tous les coins de la planète, on vient visiter ce lieu unique qui symbolise tout l’éclat de la modernité. Savez-vous que De Gaulle, lors du voyage qu’il effectua aux États-Unis dans les années 1960, demanda à voir la région ? Le général ne manquait pas d’intuition. Aujourd’hui, la Silicon Valley est devenue une région clé de l’économie mondiale, non seulement par ce qu’elle produit, mais dans le contexte du système financier global. La création du Nasdaq, ce nouveau marché où s’apprécient les start-up, est la conséquence directe de l’émergence d’une nouvelle économie axée sur le capital-risque et dont les mouvements sont suivis avec appréhension par tous les boursiers avertis.
Pour ma part, je ne me suis jamais beaucoup intéressé à la Bourse, ni à l’industrie informatique. Certes, j’écris ces lignes à l’aide d’un de ces ordinateurs à pomme dont mes contemporains sont aujourd’hui si friands. Comme eux aussi, je ne cesse de me connecter, je suis un fervent du courrier électronique et je me promène de temps à autre sur la Toile. Mais ma fréquentation du nouveau monde des technologies de l’information demeure pour le moins mesurée. Rien en fait ne me prédisposait à atterrir un jour en Californie, à entreprendre ce voyage au pays des start-up. Mes amis m’avaient prévenu : « Tu ferais mieux de poursuivre tes enquêtes dans la sphère politique. » Après l’Assemblée nationale, certains me voyaient déjà faire mon miel du Sénat. Point trop n’en faut ! Et, surtout, une autre question m’a longtemps tarabusté. Je reviens une fois encore à ma première expérience dans les montagnes du Gemu Gofa, au sud de l’Éthiopie, parmi les Ochollo, car c’est là qu’a pris corps cette interrogation.
Ce qui m’avait surpris en fréquentant cet univers, c’était l’importance accordée au don. Pour accéder au statut envié de dignitaire ( halaka ), il fallait accomplir un ensemble de rites dans le cadre d’importantes festivités au cours desquelles l’impétrant procédait à une distribution somptuaire de produits valorisés, tels que la viande, le beurre et différents breuvages particulièrement appréciés. Il était aussi de mise d’effectuer des prestations en argent. Les Ochollo étaient passés maîtres dans l’économie du don  1 .
Car la distribution de ces biens s’opérait selon des règles complexes : on ne donnait pas n’importe comment et à n’importe qui. Selon qu’on était dignitaire ou simple citoyen, membre de la famille ou lié à elle par des liens d’alliance, membre du proche voisinage ou habitant du quartier, la nature et la quantité des prestations effectuées et les rituels qui les accompagnaient n’étaient pas les mêmes. Une part de mon travail d’ethnologue avait consisté à rendre compte de ces manières de donner qui jouaient un rôle si essentiel dans la vie sociale autochtone. On pourrait parler à ce sujet d’un travail du don, car toute prestation de ce genre s’inscrit dans un véritable cycle. Dans son « Essai sur le don »  2 , Marcel Mauss s’est livré à une œuvre pionnière en mettant en évidence le caractère universel de ces pratiques et la façon dont elles s’exercent aux quatre coins du monde dans des sociétés très différentes. Ses analyses célèbres du potlatch des Indiens d’Amérique du Nord marquent à quel point l’acte de donner est inséparable de la quête du prestige et du pouvoir. Comme l’indique Maurice Godelier : « Le don rapproche les protagonistes parce qu’il est partage, et les éloigne socialement parce qu’il fait de l’un l’obligé de l’autre  3 . » Ce double mouvement par lequel l’acte de donner crée de la relation tout en étant de nature à produire de la hiérarchie et de la dépendance mérite d’être souligné. Chez les Ochollo, il se traduisait par la conscience aiguë d’un décalage entre les donateurs et les donataires, entre ceux qui étaient en mesure d’effectuer un contre-don de nature au moins égale à ce qu’ils avaient reçu et ceux qui n’en avaient pas les moyens.
En même temps, l’économie du don constituait un puissant stimulant, incitant les gens à produire et à accumuler en vue de se livrer à ces dépenses somptuaires au terme desquelles ils acquéraient le titre si envié et le prestige – à défaut d’un réel pouvoir – qui s’y attachait. L’une des questions que je me suis souvent posées en observant ces pratiques avait trait au rôle de la monnaie. Celle-ci avait fait son apparition sans apparemment bouleverser les principes en vigueur, ni les manières de donner. Or la monnaie est inséparable d’une économie basée sur les échanges et axée sur l’équivalence entre ce que l’on donne et ce que l’on reçoit. Voilà qui va à l’encontre de ces pratiques somptuaires où l’acte même de donner est comme une provocation à contre-donner plus, dans une sorte d’inflation qui anime en permanence la société tout entière. Il est remarquable que l’intégration des Ochollo dans l’économie de marché moderne, loin de marquer une rupture, ait au contraire permis un nouveau développement des fêtes traditionnelles, dans un contexte où l’instrument monétaire est affecté uniquement à certaines prestations et perd sa fonction d’équivalent universel pour prendre place dans une logique différente, commandée par les relations de prestige et de pouvoir.
En participant à ces événements récurrents que représentaient les fêtes somptuaires chez les Ochollo, je pouvais constater comment les gens pouvaient tout à la fois partager la rationalité des acteurs de l’économie moderne et se révéler d’excellents commerçants, tout en organisant par ailleurs ces rites sociaux axés sur la dépense la plus extrême. Cette complémentarité avérée entre deux approches aussi différentes de l’échange m’a longtemps intrigué. Elle démentait le grand partage trop souvent affirmé entre nos sociétés et ces univers trop facilement rangés dans la catégorie de l’archaïque. Les Ochollo n’étaient pas des schizophrènes et passaient sans aucune gêne d’une logique à l’autre, se comportant selon les contextes en capitalistes avisés ou en donneurs prodigues. J’en suis alors venu à me demander si cette dimension du don, loin d’être à rejeter au rayon des survivances et d’être le propre d’univers prémodernes, n’était pas également présente dans les sociétés considérées comme les plus « avancées » du monde occidental. Cette interrogation est resurgie beaucoup plus tard, avec force, au cours de séjours répétés aux États-Unis lors de conversations avec mes collègues chercheurs. Ceux-ci me parlaient de la manière dont leurs travaux étaient subventionnés et évoquaient alors le rôle des fondations et de ce qu’on nomme là-bas la « philanthropie ». L’importance des dons, le fait qu’un large secteur des activités, considérées ici relevant du service public soit pris en charge par de généreux donateurs, n’étaient-ils pas paradoxaux dans ce pays qui vit sous l’empire conjugué du marché, du profit et de la rentabilité ?
À mon étonnement, je réalisais donc qu’il existait une véritable économie moderne du don et qu’elle avait pour centre le sanctuaire même du capitalisme. Mais les stéréotypes qui s’attachent aux États-Unis sont si puissants qu’on finit par occulter tout ce qui n’entre pas dans ce schéma préconçu où l’entreprise et le marché apparaissent comme les deux acteurs déterminants de la dynamique sociale. Bizarrement les anthropologues américains eux-mêmes n’ont guère manifesté de curiosité à l’égard de la philanthropie et se sont généralement cantonnés à l’étude des minorités ethniques et de leurs relations avec les autres composantes de la société. Reproduisant une attitude chère aux ethnologues, ils sont allés à la recherche de l’Autre, sans daigner jeter un regard sur cette culture dominante dont ils sont eux-mêmes issus, et qui alimente leur propre vision du monde  4 . Pour ma part, ayant pris conscience de l’extension du phénomène, le regard que je projetais sur la philanthropie était doublement stimulé : d’une part, cette institution illustrait la rémanence des pratiques de prodigalité ; d’autre part, les États-Unis présentaient à cet égard une perspective très particulière. Beaucoup d’autres pays occidentaux, à commencer par la France, semblent rétifs à ces pratiques. D’où cette question : n’y aurait-il pas une exception américaine caractérisée par l’emprise du don et des représentations qui s’y attachent ? Reconnaissez qu’il y a là de quoi attirer le regard et inciter à se déplacer sur le terrain.
C’est ainsi que tout a commencé. Je décidai de troquer mon costume d’

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