Les HIJRAS
143 pages
Français

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Description

Les hijras, souvent appelés « transgenres » par les Occidentaux, constituent une communauté distincte dont les fondements identitaires transcendent les seuls aspects liés à l’orientation sexuelle. Ce « troisième sexe » est présenté avec beaucoup de finesse dans ce livre qui examine, entre autres choses, les structures familiales, la perception du vieillissement, les questions liées aux droits de la personne et les rituels de toutes sortes – de la naissance à la mort en passant par l’intégration à la communauté, le mariage ou la castration.
Prenant appui sur des études de terrain et des entretiens, on y décrit un monde complexe et étonnant de gens qui vivent en marge de la société tout en luttant pour la légitimité d’un statut qui leur permettrait d’en faire pleinement partie. Trois récits témoignent particulièrement des pratiques quotidiennes des hijras et de leur philosophie et apportent ainsi à cette étude l’éclairage précieux d’une expérience directe.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 octobre 2018
Nombre de lectures 2
EAN13 9782760638860
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mise en page: Véronique Giguère
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Boisvert, Mathieu, 1963-, auteur
Les hijras: portrait socioreligieux d’une communauté transgenre sud-asiatique /
Mathieu Boisvert.
(Matière à pensée)
Comprend des références bibliographiques.
Publié en formats imprimé(s) et électronique(s).
ISBN 978-2-7606-3884-6
ISBN 978-2-7606-3885-3 (PDF)
ISBN 978-2-7606-3886-0 (EPUB)
1. Transgenres - Inde - Mahārāshtra. 2. Eunuques - Inde. I. Titre.
HQ77.95.I4B64 2018 306.76’8095479 C2018-940271-7
C2018-940272-5
Dépôt légal : 3 e trimestre 2018
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
© Les Presses de l’Université de Montréal, 2018
Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

Imprimé au Canada


Remerciements
On ne peut mener seul une telle entreprise!
Je tiens donc à souligner le concours de mes collègues du Dépar tement de sciences des religions et de mon institution de rattachement, l’Université du Québec à Montréal. Ces deux instances m’ont toujours donné carte blanche quant aux sujets de mes recherches et aux déplacements que ceux-ci impliquaient; je leur en suis profondément reconnaissant.
J’ai pu réaliser cette recherche grâce au concours financier de l’Insti tut indo-canadien Shastri, du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du gouvernement du Québec et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Merci également aux Presses de l’Université de Montréal d’en soutenir la publication.
En territoire indien, la professeure Veena Poonacha du Research Centre for Women’s Studies de la Shreemati Nathibai Damodar Thackersey Women’s University (Mumbai) et le Humsafar Trust de Mumbai ont grandement facilité les démarches pour établir les liens avec la commu nauté hijra et trouver des traductrices et des interprètes. Également, la famille de Tulsidas Komarpanth, modeste famille de pêcheurs, m’a offert les repas et l’ « ombre » nécessaires dans le petit village de Talpona (Goa) pour la rédaction d ’une grande partie de ce manuscrit.
Je veux aussi remercier mes chers collègues et collaborateurs, collaboratrices à ce projet, sans lesquels il n’aurait pu s’accomplir : Karine Bates ( professeure d’anthropologie, UdeM), Yves Jubinville (professeur à l’ École supérieure de théâtre, UQAM), Isabelle Wallach (professeure de sexologie, UQAM), Vincent Brillant-Giroux ( étudiant au doctorat en anthropologie, UdeM), Audrey Charland ( étudiante à la maîtrise en sciences des religions, UQAM), Marie-Lune Contré ( étudiante à la maîtrise en travail social, UQAM), Giroflé Chrétien-Arsenault (étudiante à la maîtrise en sciences des religions, UQAM), Maude Vaillancourt ( étudiante à la maîtrise en sciences des religions, McGill), Mathilde Viau-Tassé ( étudiante à la maîtrise en droit, UQAM), ainsi que nos deux interprètes indiennes, Utkarsha Kotian (SNDT Women’s University) et Hema Pisal (Pune).
On ne peut passer sous silence les 26 participantes sans qui cette recherche serait inexistante. Et, finalement, à Agathe et à Sérapion.


Remarques préalables
Tous les termes de langues sud-asiatiques (hindi, sanskrit ou autres) apparaissent en caractères italiques et demeurent invariables au pluriel, à l’exception du terme hijrā/hij ḍ ā (marathi/hindi) qui, dans ce livre, est utilisé comme un terme français s’accordant en nombre.
La translittération des termes sud-asiatiques est conforme à l’alphabet international pour la translittération du sanskrit.
L’utilisation du féminin et du masculin est directement liée au genre auquel s’identifie la personne au moment précis où se déroule l’action. Pour une même personne, donc, le genre peut être différent d’une période à une autre de sa vie.
Nous avons remplacé les noms des participantes à cette recherche par des pseudonymes afin de préserver leur anonymat. Deux exceptions cependant à cette règle: Laxmi Narayan Tripathi et Gauri ont demandé à ce qu’on donne leur nom réel.


Introduction
En avril 1985, alors que je terminais un diplôme de langue indienne à l’Université de Mumbai, mon professeur de l’ époque, encore tout jeune, m’invita à son mariage à Delhi. Lors de l’une des célébrations, qui réunissait les familles du marié, de la mariée et les amis des deux clans, un groupe d’hommes habillés en femme, parlant fort, tapant des mains d’une façon particulière et semblant invectiver les personnes présentes se sont manifestés. Tandis qu’ils se rapprochaient du couple pour lequel la cérémonie était organisée, leur ton se faisait plus violent et revendicateur. Le père du marié s’avança vers eux et leur remit une liasse de roupies. Les intrus – car c’est ainsi que je les voyais – se calmèrent, s’approchèrent du couple, et la personne qui me semblait être l’aînée du groupe, la liasse de billets dans sa main droite, fit avec cette même main des gestes au-dessus de la tête de la mariée et du marié, ce que j’interprétai comme un genre de bénédiction. Ils quittèrent par la suite les lieux aussi rapidement qu’ils étaient arrivés. Ce fut mon premier contact, il y a plus de trente ans, avec des hijras.
Les hijras de la région de Delhi font toujours une apparition durant les cérémonies de mariage ou dans les jours suivant une naissance. Elles auraient le pouvoir de bénir le couple nouvellement marié ou l’enfant qui vient de voir le jour. Cette bénédiction se monnaie; la famille doit rétribuer le groupe hijra de façon acceptable et, généralement, une négociation complexe s’engage pour déterminer le montant qui convient. Si les deux parties ne peuvent trouver un terrain d’entente et que les membres du groupe hijra ne sont pas satisfaits – ce qui est rarement le cas –, la bénédiction se transforme en mauvais sort: le premier enfant mâle issu de cette union, ou bien le nouveau-né faisant l’objet de la négociation, deviendra lui-même hijra. Nul ne souhaite à ses enfants un tel avenir.
Au fil des années, ma carrière universitaire m’a amené à effectuer plusieurs recherches de terrain en territoire sud-asiatique, essentiellement sur les communautés monastiques/ascétiques hindoues et sur les réseaux de pèlerinage dans divers endroits en Inde. Ici et là, je remarquais des membres de cette communauté hijra. Dans des lieux de pèlerinage, bien entendu, mais également dans les trains ou bien à des carrefours routiers, ces communautés sollicitaient de petites sommes d’argent en échange de bénédictions. Ma curiosité envers elles augmentait d’année en année. Qui donc étaient ces gens, sensiblement ostracisés et marginalisés, mais simultanément enveloppés d’une certaine aura qui, dans l’imaginaire indien, leur donnait une ascendance, un pouvoir certain sur ceux qui n’appartenaient pas à leur groupe? C’est ainsi qu’en 2013, je décidai d’entreprendre une recherche sur les hijras au Maharashtra.
Les hijras
Plusieurs des participantes à ce projet nous ont expliqué que le mot «hijra» provient du mot arabe « هجرة » ( hi ǧ ra ; hégire), terme qui désigne l’exil de Mohammed de La Mecque vers Médine en 622, moment représentant l’an zéro du calendrier musulman. Alors que, pour Mohammed, l’hégire marque le début d’un déplacement géographique, pour les hijras, ce même terme ferait référence à un déplacement d’un tout autre genre: d’un statut d’homme à celui de femme. On l’associe également à d’anciens concepts sanskrits, présents dans les Veda , les Śāstra , les grandes épopées tels le Rāmā ya ṇ a et le Mahābhārata . Pensons, entre autres, aux concepts de klība , de śanda , de napu ṃ saka ou tritīyāprak ṛ ti ), ou bien à certains personnages divins comme Ardhanārīśvara – Śiva sous sa forme androgyne, tel qu’il est représenté dans l’une des grottes de l’ île E l e phanta, près de Mumbai. Plusieurs hijras affirment que lorsque Rāma quitta le royaume d’Ayodhya pour ses quatorze années d’exil, il dit aux gens de la ville qui le suivaient sur la route: «Que tous les hommes et toutes les femmes retournent à Ayodhy a . » Hommes et femmes obéirent , seules demeurèrent près de lui les hijras, celles qui n’ étaient ni homme s ni femmes 1 . Amara Das Wilhelm, dans son livre intitulé Tritiya-Prakriti: People of the Third Sex , rapporte – sans trop de distance critique – plusieurs de ces histoires mythologiques telles qu’elles se déploient dans les textes sanskrits 2 . Mais ces histoires anciennes représentent des catégories de genre très différentes de ce qui pourrait convenablement correspondre aux hijras actuelles.
Lawrence Preston souligne qu’au début du xviii e siècle, plusieurs officiers de la Compagnie britannique des Indes orientales connaissaient l’existence d’une communauté appelée «hijra» ou «hijda» en Inde occidentale, communauté d’ « eunuques» qui avait acquis des droits héréditaires sur les revenus de l’Empire marathe. Graduellement, les Britanniques ont conquis ce territoire marathe, les droits des hijras ont été abolis et celles-ci auraient été contraintes à la mendicité, à la prostitution et à d’autres « basses » fonctions pour assurer leur survie. Le Criminal Tribes Act de 1871 a par la suite criminalisé le statut d’ « eunuque», associant ces gens à d’autres castes de Thugs ou de malfaiteurs. Étaient alors considérés comme « eunuques» tant les hommes qui se travestissaient en femme que ceux qui, à la suite d ’un examen médical, «apparaissaient impotents» (Reddy, 2005, p. 26). Cette description convoque autant le physiologique – le fait de ne pouvoir se reprodui

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