Les Filles et leurs mères , livre ebook

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1998

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« C’est par l’observation de leurs exploits sans nombre que j’en ai appris le plus sur elles comme sur moi-même. C’est par le recueil de leur parole que j’ai réussi à m’interroger sur les points communs de leurs comportements. Ce sont elles qui, se confiant, m’ont amené à me pencher sur le fond de leur condition. » A. N. Mais l’amour maternel a aussi son envers : le pouvoir que, par-delà les années, les mères gardent sur leurs filles, influant ainsi sur leur vie tout entière. C’est ce monde des relations mères-filles qu’Aldo Naouri a choisi d’explorer, livrant ainsi, pas à pas, ses réflexions et ses expériences de praticien. Pédiatre, spécialiste des relations intrafamiliales, Aldo Naouri a notamment publié, aux Éditions Odile Jacob, Le Couple et l’Enfant
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Publié par

Date de parution

01 mai 1998

Nombre de lectures

0

EAN13

9782738179005

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

DU MÊME AUTEUR
aux éditions Odile Jacob
De l’inceste , avec Françoise Héritier et Boris Cyrulnik, 1994.
Le Couple et l’enfant, 1995.
Questions d’enfants, avec Brigitte Thévenot, 1999.
Retrouvez les Éditions Odile Jacob sur le site www.odilejacob.fr Nouveautés, catalogue, recherche par mots clefs, journal
© O DILE J ACOB, MARS  2000
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
ISBN  : 978-2-7381-7900-5
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Avertissement

On pourra se sentir étonné ou irrité à la lecture de cet ouvrage par le nombre de références à mes écrits précédents. Cela s’explique par le fait que j’explore l’univers des relations familiales depuis plus de vingt ans et que je ne supporte pas de me répéter. Or, comme je ne peux éviter de repasser par des notions dont j’ai déjà démonté les mécanismes et que j’ai longuement analysées ailleurs, les implications que j’en retire pourraient paraître arbitraires ou péremptoires si je n’invitais pas ainsi le lecteur à aller vérifier, s’il le veut, le bien-fondé de ce que j’avance.
Je souhaiterais qu’on ne voie pas dans ce défaut, si tant est que ce soit possible, la moindre trace d’affectation.
... je suis une fille sans mère... pardon, je voulais dire : une mère sans fille.
(entendu en consultation)
Une rencontre

C’était il y a longtemps. Une fin de matinée comme tant d’autres. Le téléphone qui sonne au moment où je m’apprête à repartir pour une seconde tournée de visites. J’en suis tout près. Je décroche. Des sanglots me cueillent. Amples, violents, irrépressibles. Je les écoute de longues secondes avant de comprendre que c’est un homme qui pleure – ce qui ne me dit pas pour autant de qui il peut s’agir. Je risque un timide et prudent nouvel « allô ! ». Les sanglots reprennent de plus belle, laissant cependant place, entre deux hoquets, à mon nom formulé sur le mode de l’interrogation. Je reconnais alors la voix. Et l’accent. Aucune autre parole n’a encore été proférée, mais je devine déjà de qui, et surtout de quoi, il peut s’agir. Je me mets à rapidement imaginer ce que je vais entendre. Et je sens mon irritation monter à l’endroit de ces formules stupides qui nous viennent toujours si vite à l’esprit dans ce type de circonstances. Parce que je l’ai compris, et ça ne peut pas être autre chose. Elle est sûrement morte. Elle vient peut-être même à peine de mourir. Un peu vite sans doute. Car rien dans son état de ces dernières semaines ne pouvait le laisser présager. Mais ce ne serait pas la première fois que l’évolution d’une maladie de ce type créerait la surprise.
J’observe le silence un moment encore. Puis, comme rien ne vient, je prends le risque d’émettre un nouvel « allô ! » à peine chuchoté. Les sanglots redoublent alors de force et il me hurle : « Mon fils, Docteur... mon fils Raoul... Raoul, hier au soir... »
Avant même de tenter d’imaginer ce qui a pu arriver à ce fils que je ne connais pratiquement pas, je profite des pleurs qui interrompent le flux verbal pour essayer désespérément de retrouver au moins son âge ou son rang dans la fratrie. Mais je n’en ai pas le temps car il poursuit : « il a volé ma voiture... ma voit... et un fusil... Et il est parti... comme ça, sans permis, sans rien, en pleine nuit... Il a pris la direction de la maison de mes parents... » Je me prépare à l’annonce de l’accident, et je me sens plongé dans une indicible horreur en pensant à l’accumulation incompréhensible de malheurs qui touche cette famille, quand il m’assène : « il s’est arrêté sur le bord de la route... à cent cinquante kilomètres de Paris... et il s’est tiré une balle dans la tête... »
J’en reste sans voix. Écrasé.
Sur fond de mon silence, il répète plusieurs fois de suite ce dernier fragment de phrase jusqu’à épuiser ses sanglots. Je ne l’interromps pas – et comment d’ailleurs aurais-je pu le faire ? Au bout d’une ou deux minutes, il parvient néanmoins à se ressaisir. Et d’une voix hoquetante mais presque calme, il poursuit : « ma femme... elle n’en sait rien encore... elle est pas là... elle est hospitalisée depuis hier... pour sa chimio... je n’sais pas comment... je n’sais pas comment... on peut lui annoncer ça... j’ai peur qu’elle puisse pas encaisser... j’ai peur qu’ça l’achève... j’me sens pas de taille pour aller le lui annoncer... j’ai pensé que vous... il faut que vous... il faut que vous... vous y alliez... c’est vous qui devez aller tout lui dire... vous la connaissez, vous saurez comment faire... c’est votre métier... moi j’pourrai pas... » Puis, comme j’essaye un « mais », il reprend, pleurant de plus belle : « je vous en supplie, Docteur, faites ça pour nous... »
Ses sanglots qui reprennent le font sourd à tout ce que j’essaye de lui dire. Si bien que je vais passer de longues minutes à le calmer, à lui parler le plus doucement et le plus simplement possible, lui dire dans quelle profonde horreur je suis moi-même trempé, dans quelle sympathie je me trouve avec lui, dans quelle douleur m’a mis cette effroyable nouvelle. Je ne cesse pas de lui parler. Je me laisse aller. Ça me fait du bien. Et il est probable que ça lui en fait aussi. Avons-nous autre chose à faire dans ce type de circonstance que de nous parler ou en tout cas de tenter de le faire ?
Au bout d’un moment, il ne pleure plus et je ne l’entends plus renifler. J’essaye alors de lui expliquer que c’est à lui, et à lui seul, que revient la démarche qu’il me demande d’accomplir, même si j’en conçois l’indicible difficulté. J’ai beaucoup de peine à le convaincre, et encore plus à lui faire admettre que mon refus d’accéder à sa demande ne procède pas d’une lâche dérobade mais du strict respect de la dimension de l’événement. Je lui dis qu’il s’agit de son fils, de leur fils à tous les deux, de ce fils qu’ils ont fait à deux, qu’ils ont élevé à deux, qu’ils perdent à deux et qu’ils doivent pleurer à deux, ensemble et en même temps. Il ne démord pas de sa position et il insiste, entre autres choses, sur les précautions que les circonstances, qui l’écrasent et qui l’effrayent, paraissent lui imposer. Pour le rassurer sur ce point, je finis par lui promettre de passer dans le service où sa femme est hospitalisée pour avertir les soignants de ce qui vient d’arriver et arrêter avec eux une ligne de conduite. J’ajoute que je situerai cette visite dans la même dimension que celles qu’il m’était arrivé de faire d’autres fois, mais qu’il était exclu que je dise à son épouse quoi que ce soit de ce qui est arrivé. Pour finir, je l’engage à aller la voir quand il se sentira prêt à le faire et à s’habituer à l’idée de ce qui l’attend. Ma fermeté, doublée de la concession que je lui ai faite, semble lui convenir.
Il mettra cependant quarante-huit heures avant d’affronter l’épreuve.
Pour ma part, je m’acquitte sans tarder de ma mission auprès de la surveillante et des médecins du service qui s’en trouvent retournés, comme on peut l’imaginer. Puis je me rends dans la chambre de cette femme en sachant que, quoi que je fasse et quel que puisse être le degré de ma sympathie à son endroit, je ne parviendrai d’aucune façon à atténuer la cruauté de ce qu’elle allait éprouver et qui est certainement la calamité la plus insupportable que puisse vivre un être humain.
Elle m’accueille avec un regard surpris derrière le sourire que je lui connais depuis toujours et, mi-ravie mi-préoccupée, elle s’étonne tout de suite de ma présence : « Il est arrivé quelque chose à la maison ? » me demande-t-elle, ajoutant aussitôt : « sans quoi, comment auriez-vous su que j’étais là ? » Je joue sur l’ambiguïté de sa question et sur le fait que je n’ai jamais manqué de lui rendre visite toutes les fois que, depuis de longs mois, elle était hospitalisée pratiquement à date fixe. Je lui réponds que j’étais un peu perdu dans mon agenda et que, comme je passais dans le coin, j’ai couru ma chance et je suis monté m’enquérir de son éventuelle présence dans le service. Je ne crois pas que mon pieux mensonge soit parvenu à lui donner le change. Mais, non sans raison, je n’ai pas voulu aller plus loin. Elle a joué le jeu de son côté, en me parlant de sa maladie et de son traitement. Elle a même voulu me montrer comment elle était parvenue à reconstruire sa silhouette en se cousant un petit coussinet d’éponge à l’intérieur de son peignoir. Puis nous avons parlé quelques minutes de choses et d’autres avant que je ne prenne congé d’elle. Pouvais-je faire plus ?
J’ai mis plusieurs jours à m’extraire d’un certain état de sidération. Et j’y étais encore quand la surveillante du service m’a appelé à ma consultation le surlendemain de ma visite : « Vous m’aviez avertie que c’était une personne hors du commun. Je l’ai vérifié. J’étais à l’entrée de la chambre tout le temps que son mari a pris pour lui raconter ce qui s’était passé. Il avait beaucoup de peine à parler tellement il pleurait. Elle, elle n’a pas eu une larme. Elle est restée très longtemps, assise, sur le bord de son lit. Immobile. Le regard perdu dans le vague. Puis elle s’est levée. Sans dire un mot. Elle s’est mise à s’habiller. Et elle s’est presque excusée auprès de moi. Elle m’a dit qu’elle devait partir pour assister aux obsèques. Je l’ai raccompagnée. Sur le pas de la porte, elle s’est retournée, elle m’a regardée droit dans les yeux et elle m’a dit d’une voix ferme et sur un ton presque sec : “C’est quand

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