72
pages
Français
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2010
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Publié par
Date de parution
25 mai 2010
Nombre de lectures
3
EAN13
9782738198068
Langue
Français
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Date de parution
25 mai 2010
Nombre de lectures
3
EAN13
9782738198068
Langue
Français
© ODILE JACOB, MAI 2010
15,RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN 978-2-7381-9806-8
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Pour Élisabeth, Cécile, Béatrice, Karima, Marianne, Josiane, Nour, Farida, etc., qui m’ont enrichie de leur courage et qui m’ont permis d’écrire ce texte.
« You’re a stressed out single mother Who has clearly been harassed Well you can’t predict the future For you can’t erase the past Cuz your baby is growing Anywhere but up So join the line and get the dole For the stressed out single mothers. »
Mika, Lonely Alcoholic
Introduction
« Honte de ce que je suis devenue…
Honte de ce que je fais…
Honte de me montrer devant mes enfants…
Honte d’exister et de causer autant de peine
aux gens que j’aime et qui m’aiment…
Je n’ose voir personne…
Je suis seule à présent. »
À écouter de tels propos, on pourrait penser entendre une criminelle, une femme dangereuse… Mais non, c’est seulement que « honte » est le mot le plus récurrent lors des premières consultations médicales d’alcoologie. Socialement, l’alcoolisme n’est pas encore reconnu comme une maladie. Celui des femmes, en particulier, est souvent assimilé à un vice ou à une tare. « Chez un homme, c’est moche, mais chez une femme, c’est carrément dégoûtant ! » Vous êtes qualifiées de « pochetronnes », de « soûlardes », « ivres, elles ne se maîtrisent plus… ». Pour faire bref, vous êtes considérées comme des moins que rien, sans respect pour vous-mêmes. De fait, être alcoolique se double alors de la difficulté d’être une femme. Il faut bien reconnaître que la représentation sociale des femmes est teintée de mépris depuis des siècles, à travers des dits penseurs comme Clément d’Alexandrie, qui il y a déjà plus de mille ans écrivait : « Toute femme devrait être accablée de honte à la pensée qu’elle est femme. » Imaginez la honte d’être une femme alcoolique de surcroît, encore au XXI e siècle : les mentalités évoluent lentement.
Ce sont celles qui ont pu surmonter cette honte qui franchissent, un jour, le seuil de ma consultation. Cela n’empêche pas néanmoins un premier contact laborieux, mêlé de gêne et d’exigence. Les premiers mots ont souvent du mal à sortir. On lit dans votre regard débordant de larmes : « Si je suis là, en consultation d’alcoologie, c’est bien parce que je bois. Alors commencez la première, ça me facilitera les choses. » Dans ce cas bien sûr, il faut vite désamorcer. Chacun le fait à sa façon. Quoi qu’il en soit, il est fondamental de commencer par vous expliquer que vous souffrez d’une maladie pour laquelle on dispose de moyens thérapeutiques, maladie qui touche de plus en plus de femmes, ce qui corrige indiscutablement la croyance effrayante que vous êtes seule dans votre cas. Ouf, la tension retombe. Vous percevez à ce moment-là que le médecin peut TOUT comprendre : la solitude, les problèmes relationnels, affectifs, professionnels, la prise de poids, les cernes, le visage bouffi, la culpabilité du réveil, etc. C’est ainsi que commence une aventure, certes pas des plus tranquilles, ni des plus faciles, mais si enrichissante humainement. La relation vous sera un cheminement aussi passionnant que révoltant marqué régulièrement par le constat de l’inégalité de traitement et de l’injustice qui accable encore les femmes de nos jours. L’alcoolisme des femmes est à mon sens un indicateur de la santé psychologique des femmes modernes et donc de notre société actuelle. S’il augmente, car les derniers chiffres le montrent, c’est que la gent féminine se porte mal et que par conséquent notre société va mal. Persiste un refus manifeste d’ouvrir les yeux sur la lourdeur des tâches que l’on exige des femmes aujourd’hui. Cette situation est inhumaine. Elle est trop peu dénoncée, et trop peu de solutions sont à l’étude pour y remédier. Les derniers chiffres de l’INED 1 montrent que 80 % des tâches domestiques sont à la charge des femmes alors qu’elles sont plus de 80 % à travailler. D’autres chiffres montrent que les entreprises qui tiennent compte de l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle sont encore bien trop rares. Comment faisons-nous, nous les femmes, pour tenir ? Eh bien, certaines ne résistent pas ! Elles prennent des médicaments, de la cocaïne, de l’alcool…
Devant cette évolution inquiétante, je considère que nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion de fond sur la place de la femme dans le monde moderne pour lui garantir plus d’épanouissement, d’harmonie, mais aussi de réussite dans la sphère à la fois familiale et professionnelle. Les femmes modernes montrent ceci de particulier qu’elles s’investissent dans leurs ambitions professionnelles autant que familiales. Mais concilier les deux reste encore difficilement compatible et, pour parvenir à de hautes performances, nombreuses sont celles qui se « dopent », avec de l’alcool par exemple. Certains hommes sont dans le même cas. Seulement homme et femme ne sont pas égaux devant l’alcool. Pourquoi un homme qui « tient bien l’alcool » se voit-il gratifié d’un qualificatif superlatif, alors qu’une femme qui « boit trop » est dégradée de son statut de femme ? Ce paradoxe très étroitement intriqué à l’identité de la personne qui boit m’a poussée à réfléchir et à écrire sur ce sujet, sur cette question humaine qui me tient à cœur par ailleurs. Elle est à l’origine de nombreuses situations psychosociales lourdes de conséquences parfois. Les femmes qui souffrent d’alcoolisme sont confortées dans un statut de fautives qui doivent se cacher, de peur de révéler leur « vice honteux ». Alors même qu’elles sont malades et sont en droit d’être soignées comme tout malade !
En écrivant ce livre, j’espère contribuer à lever le tabou sur un trouble dont souffrent des femmes de tous âges et de tous milieux sociaux. Je voudrais, devant vous, être le porte-parole de ces mères de famille, de ces « madame Tout-le-monde » : secrétaires ou actrices, femmes à la recherche d’un emploi, assistantes sociales ou cadres supérieures, médecins, infirmières, chefs d’entreprise, retraitées, etc. Je voudrais faire savoir qu’elles existent et qu’elles boivent seules, le soir chez elles, en cachette dans l’indifférence générale. Elles se lèvent le lendemain, submergées par la culpabilité, mais elles parviennent à faire bonne figure toute la journée, à être performantes, à être à l’écoute des autres, à être présentables. On l’ignore, mais au fond d’elles, la douleur est telle que, pour l’apaiser, elles n’envisagent qu’une alternative : à peine « cette comédie journalière » terminée, s’isoler chez elles pour boire et s’assommer, dormir pour oublier, tant la vie est dure à assumer. Je voudrais qu’à travers ces lignes on s’imprègne bien d’une vérité encore peu véhiculée : l’alcoolisme est une maladie clairement identifiée, avec des caractéristiques cliniques, des facteurs déclenchants, des symptômes de début, des complications psychiques et organiques, des complications sociales, familiales, professionnelles, financières et parfois juridiques. Il s’agit d’un trouble médical dont on étudie les caractéristiques génétiques, biologiques et neurologiques. Aujourd’hui, nous disposons de nombreux moyens pour prendre en charge les personnes qui en souffrent : ils sont médicamenteux, psychothérapiques, sociaux et associatifs. Les patients peuvent être suivis en ambulatoire ou en hospitalisation, dans le cadre de cures et de postcures. Pour finir, la maladie alcoolique entre dans le cadre des pathologies enseignées par la médecine, science qui n’autorise aucun jugement moral : il n’y a pas et il n’y aura jamais, pour nous, professionnels de santé, de maladie honteuse.
J’exerce en tant que médecin psychiatre dans une structure consacrée à l’abus de toxiques sous toutes ses formes. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui les addictions. J’y anime une consultation d’alcoologie, plutôt orientée vers les problèmes des femmes. Ce choix soulève quelque perplexité dans mon entourage. « Pourquoi as-tu choisi de devenir psychiatre et pourquoi t’occuper des alcooliques ? » C’est une question qui est fréquemment adressée aux médecins, sans doute un peu pour sonder notre degré d’abnégation et la sincérité de notre vocation ou peut-être aussi pour évaluer notre empathie avec le malheur des autres. En ce qui me concerne, ma motivation a toujours été de m’occuper des alcooliques et des toxicomanes. Je me suis intéressée très tôt à la question de la dépendance et de ses répercussions, notamment après la lecture d’un ouvrage devenu un livre culte pour ma génération. L’Herbe bleue , un livre qui traite non seulement de la dépendance et de ses origines, mais aussi de ses conséquences psychiques, sociales et affectives. Pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est le journal intime d’une jeune fille anonyme qui a sombré à l’âge de 15 ans dans les drogues dures. Elle écrivait : « Hier, je me croyais la personne la plus heureuse de la terre, de toute la galaxie, de toute la création. Était-ce seulement hier ou bien à des millions d’années-lumière ? Je pensais que l’herbe n’avait jamais eu d’odeur aussi verte, que le ciel n’avait jamais été aussi haut 2 … » C’est au cours d’une soirée où, en mal d’amitié, elle était allée chercher des rencontres qu’elle a goûté aux drogues et que sa vie a basculé. Elle parle à son journal comme à un confident, décrivan