Les Arrangements de la mémoire
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Description

 Jacques Hochmann croit à « l’importance du récit intérieur dans la constitution de l’identité ». Il défend une psychiatrie humaniste, nourrie de psychanalyse, refusant de réduire la souffrance psychique à des facteurs neurobiologiques et comportementaux. Selon lui, la tâche du psychiatre est de comprendre la déraison apparente de ceux qu’on appelait autrefois les fous en lui donnant un sens et des raisons. Chaque histoire est singulière : pour soigner, il faut du sur-mesure. L’ouvrage illustre ce parti pris : plutôt qu’un traité abstrait, il propose un récit biographique, reliant les expériences de l’homme aux pratiques et aux choix du psychiatre, et retraçant l’évolution de sa discipline. C’est à la fois le roman d’une vie et une traversée de la psychiatrie, marquée par les années de formation dans les institutions quasi carcérales des années 1950-1960, puis par la découverte de Palo Alto et des idées libertaires d’une Amérique alors ouverte à toutes les expériences. Au fil des pages, avec des portraits très personnels – de théoriciens comme Carl Rogers ou de patients –, et au gré des tentatives pour faire évoluer les pratiques, on voit à l’œuvre cette psychiatrie respectueuse des gens, soucieuse de réintégrer la folie dans le cadre d’une humanité pleine et entière plutôt que de la rejeter vers l’aliénation ou la dégénérescence. Une (auto)biographie magnifiquement écrite. Un grand manifeste humaniste. Jacques Hochmann est psychiatre et psychanalyste. Il est membre honoraire de la Société psychanalytique de Paris, professeur émérite à l’université Claude-Bernard et médecin honoraire des Hôpitaux de Lyon. Parmi ses publications : Histoire de l’autisme, Pour soigner l’enfant autiste, La Consolation, Une histoire de l’empathie, Les Antipsychiatries, une histoire, Théories de la dégénérescence, d’un mythe psychiatrique au déclinisme contemporain.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 avril 2022
Nombre de lectures 2
EAN13 9782415000707
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , AVRIL  2022
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-4150-0070-7
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
À mes enfants. À mes petits-enfants. À mon arrière-petite-fille.
« Ce n’est pas l’homme en général que guérit le médecin, mais l’homme particulier, mais Callias ou Socrate, ou tout autre individu semblable, qui se trouve être un homme ; si donc quelqu’un possède la théorie sans l’expérience, et connaît le général sans connaître le particulier dont il se compose, celui-là se trompera souvent sur le remède à employer ; car ce qu’il s’agit de guérir, c’est l’individu. »
A RISTOTE .
Prologue


« Feu M. Pascal, qui savait autant de véritable rhétorique que personne en ait jamais su, portait cette règle jusques à prétendre qu’un honnête homme devait éviter de se nommer, et même de se servir des mots de je et de moi . »
Antoine A RNAULD et Pierre N ICOLE , La Logique ou l’Art de penser .

Entré il y a quelque soixante ans en psychiatrie, je me suis fait, progressivement, une idée de la folie, de la souffrance qui l’accompagne et des moyens pour la soulager. Cette représentation s’appuie sur des hypothèses dérivées de la clinique par des praticiens inscrits pour la plupart dans la filiation de la psychanalyse. Mais, si la psychanalyse, sous ses avatars, demeure une tentative inégalée de compréhension, dans ses ressorts les plus secrets, de ce que Freud a appelé « appareil psychique », et si les psychothérapies inspirées par la psychanalyse permettent d’aborder avec une certaine efficacité les difficultés qu’un sujet peut rencontrer dans le fonctionnement de cet appareil – un produit de l’évolution des espèces particulièrement vulnérable –, je crois que les théories auxquelles un psychiatre se réfère, que les techniques qu’il utilise, sont des outils choisis sous la pression des aléas de son existence, au service d’une adaptation réciproque, bricolée et plus ou moins réussie, du thérapeute et de son client. Un médecin du XIX e  siècle, Ernest-Charles Lasègue, affirmait que ce qu’on appelait alors le traitement moral était impossible à systématiser, car cette forme ancienne de psychothérapie n’était que l’expression de chaque thérapeute et variait d’un médecin à l’autre. En dépit des efforts de Freud et de ses successeurs pour donner au traitement psychique une méthodologie réglée et pour élaborer « une nouvelle science » à partir du dispositif expérimental des cures, la position de Lasègue reste pertinente. La conduite d’une ou d’un thérapeute – quelle que soit sa formation – est en grande partie déterminée par des rencontres qui l’affectent parce qu’elles font écho, dans la femme ou l’homme qu’elle est ou qu’il est, à des émotions enfouies. « Comme la coupe sur le sein d’une amante », pour reprendre, dans un autre contexte, une belle métaphore d’Anatole France, ces choix peuvent aussi témoigner d’une contre-identification destinée à marquer sa différence par rapport à ceux ou à celles qui l’ont formé.
Persuadé de la part occupée par mon histoire dans ma conception du soin psychiatrique, j’ai voulu exposer le développement de cette conception en même temps que narrer en pointillé la construction, dans son polymorphisme, de ce qu’il est convenu d’appeler ma personnalité. Raconter sa vie est un exercice qui combine exhibitionnisme et narcissisme. Même s’il admet sa vanité, l’autobiographe n’échappe pas à l’ambition de se montrer sous un jour favorable, en luttant contre l’oubli, surtout s’il a la conviction que sa disparition physique ne laissera pas échapper de lui une âme à laquelle le salut éternel ou la damnation serait promis. Dans le miroir qu’il se tend à lui-même, il ne peut s’empêcher de chercher un plaisir de durer. Il y a certes quelque chose d’antinomique à récuser tout fantasme d’immortalité et à remplir ainsi, pour quelque temps, le vide laissé par la désintégration de son corps, imposant aux survivants un reflet de ce qu’on croit ou voudrait avoir été. Ce ne peut être un exercice de vérité. L’identité est une « synthèse de l’hétérogène », selon la formule de Paul Ricœur. J’ajouterai qu’elle n’est, pendant une existence, qu’un artifice changeant pour aider à vivre le mieux possible dans un compagnonnage en zigzag avec soi-même et avec les autres.
Ce compagnonnage, en ce qui me concerne, a été sans cesse dérangé par l’encombrant voisinage de la folie. Dérangé, je l’ai été par la folie nazie, enfant juif caché, pendant une partie de la guerre, sous une fausse identité. Je l’ai été ensuite par la découverte de l’extermination d’une partie de ma famille, par la crainte du retour des persécutions et par un sentiment d’étrangeté qui majoraient, chez moi, le dérangement banal des modifications pubertaires. Mes premiers contacts avec une psychiatrie qui négligeait alors le ressenti douloureux du sujet fou et ne songeait qu’à le faire taire ont accentué mon malaise premier devant l’oppression et l’inégalité sociale. Dérangé par les remous de la contre-culture découverte aux États-Unis et par ses éclaboussements sur les événements de Mai 68, j’ai cru trouver sur le chemin d’une révolution à la fois institutionnelle et intime les étapes d’un ordre nouveau. Depuis la Libération, la psychiatrie connaissait, dans des lieux privilégiés, une période de remise en cause où dominait la préoccupation de libérer le malade mental de la contention imposée par l’intolérance à la folie, d’écouter dans sa parole l’expression de sa subjectivité et de reconnaître les effets de cette expression sur la relation tissée avec lui, une relation que de nouvelles molécules rendaient plus aisée en facilitant l’abord des sujets les plus délirants et les plus agités, en adoucissant leur angoisse et leur dépression. Des psychiatres militants avaient alors l’appui des familles avec lesquelles ils coopéraient, celui des pouvoirs publics qui soutenaient leur aggiornamento et, plus largement, jouissaient d’une bonne image dans l’opinion travaillée par une libération des mœurs, par une critique du modèle patriarcal de la famille et des valeurs qui lui étaient attachées. Il s’est ensuivi, avec une multiplication des agents, une diminution significative du recours à la contrainte, une division par quatre ou cinq des lits hospitaliers au profit des soins de proximité. Il s’est ensuivi également un développement des traitements ambulatoires des enfants, des adolescents et même des bébés en souffrance psychique, répondant à une demande explosive. Je me suis plongé dans les courants impétueux qui ont traversé alors la discipline. J’ai connu aussi quelques désillusions. Avec l’aide d’aînés et de collègues, avec le soutien d’une cure psychanalytique, j’ai pu participer à l’élaboration d’éléments de doctrine qui m’ont permis d’affronter des paradoxes dérangeants. Contrairement à la médecine somatique fondée sur l’exploration de plus en plus fine des mécanismes organiques pathologiques, la psychiatrie reste, pour l’essentiel, une médecine sans lésion connue. Reconnaissant au fou une dimension de sujet et une logique à sa folie, elle vise néanmoins à lui faire abandonner cette logique et à assujettir sa subjectivité à une norme qui lui reste étrangère. Ayant pour but principal l’aide à un individu en souffrance, elle ne peut se soustraire à une mission de contrôle social. Derrière ces paradoxes se dissimule l’énigme d’une manière d’être qui suscite, chez celui qui l’approche de près, à la fois une fascination trouble et un rejet. J’ai cru surmonter ces sentiments en m’orientant secondairement avec passion vers le soin aux enfants fous, au prix de bouleversements dans ma propre vie affective. Parallèlement, l’écho des progrès qui affectaient le champ voisin des sciences cognitives et des neurosciences m’a entraîné dans un débat avec la philosophie de l’esprit, dérangeant certaines de mes certitudes psychodynamiques. Après avoir connu une neurologie qui prétendait coloniser une psychiatrie limitée au gardiennage des fous, je garde de mon passage dans l’équipe du grand neurophysiologiste Michel Jouvet et de mon amitié avec son élève Marc Jeannerod une curiosité pour les avancées dans la connaissance du fonctionnement cérébral. J’espère que les précisions actuelles et à venir sur ce fonctionnement pourront changer le pronostic de certaines souffrances et rendre plus confortable l’existence de ceux qui en sont affligés. Pourquoi ai-je cependant abandonné la recherche en neurosciences ? Pourquoi ne suis-je pas devenu comportementaliste, pourquoi après y avoir été exposé à Palo Alto, en Californie, ai-je laissé de côté le systémisme ? Pourquoi, sans jamais m’écarter de la perspective phénoménologique et de la psychologie sociale, est-ce dans la psychanalyse que j’ai trouvé les vibrations harmoniques qui me convenaient ? Pourquoi une psychanalyse privilégiant les partages d’émotion et l’intersubjectivité m’a-t-elle plus attiré que la mystique transgénérationnelle ou la sécheresse structuraliste ? Cela tient sans doute à la séduction exercée sur moi par certains analystes, soit rencontrés dans leur réalité physique, comme René Diatkine, Paul-Claude Racamier ou Roger Misès, soit lus, comme Donald Winnicott, Heinz Kohut, Serge Viderman ou surtout Wilfred Bion. Cela tient encore à l’influence d’un philosophe, Paul Ricœur, et d’un psychologue humaniste, Carl R

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