Le Verbe contre la barbarie
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Description

« À nos enfants, nous devons apprendre que la langue n’est pas faite pour parler seulement à ceux que l’on aime, mais qu’elle est faite surtout pour parler à ceux que l’on n’aime pas. C’est en leur transmettant avec autant de bienveillance que d’exigence les vertus pacifiques du verbe que l’on peut espérer qu’ils en viennent aux mots plutôt qu’aux mains. » A. B. Un livre militant qui nous exhorte, toutes et tous, à jouer notre rôle dans ce combat pour la transmission d’une langue commune. Un livre lucide et inspiré qui nous parle de nous, de nos enfants, de demain. Professeur de linguistique à l’université Paris-Descartes, conseiller scientifique de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, Alain Bentolila est l’auteur de plusieurs ouvrages qui font autorité, parmi lesquels Tout sur l’école. Il a reçu le prix Essai France Télévisions pour cet ouvrage. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 novembre 2016
Nombre de lectures 4
EAN13 9782738158765
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ALAIN BENTOLILA
LE VERBE CONTRE LA BARBARIE
Apprendre à nos enfants à vivre ensemble
© ODILE JACOB, JANVIER 2007 15, rue Soufflot, 75005 Paris
ISBN : 978-2-7381-5876-5
www.odilejacob.fr
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5, 2° et 3° a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Table

Avant-propos
Chapitre premier. Comment l’enfant en vient aux mots
Comprendre avant même de parler
Avoir du goût pour l’autre
Découvrir le bruit des mots
Découvrir le sens des mots
Affronter l’arbitraire des mots
Apprendre à tenir des propos sur le monde
Apprendre ce que parler veut dire
Apprendre ce que lire veut dire
Apprendre à mettre en scène
Trouver goût aux mots
Un enfant n’apprend pas tout seul
Chapitre II. Quand l’école prend le relais
L’école, oui, mais à quel âge ?
Tous égaux devant la langue ?
Insuffisance linguistique et exclusion culturelle
L’apprentissage de la lecture
Le respect de la langue maternelle
Échec linguistique et échec scolaire
Chapitre III. Quand les mots viennent à manquer
Parler beau n’est pas parler juste
Des mots trop flous pour dire le monde
Du ghetto à l’impuissance linguistique
De l’impuissance linguistique à la violence
Contre la crédulité, la résistance intellectuelle
Chapitre IV. Imposer son intelligence au monde
Le verbe créateur
La grammaire libératrice
L’intelligence du monde
Une parole responsable
Parler à ceux que l’on n’aime pas
Droits et devoirs de parole
Le verbe et l’action
Le propre de l’homme
Chapitre V. Le verbe et le sacré
Le droit de comprendre
Sous le masque du sacré
Courir devant les cornes de la mort
DU MÊME AUTEUR
Chez Odile Jacob :
Chez d’autres éditeurs :
 
Avant-propos
Lorsqu’il conquiert le langage, un enfant reproduit en quelques années le parcours que les premiers « hommes parleurs » ont mis infiniment de temps à tracer. C’est dans leurs pas qu’il met les siens, ce sont les mêmes impasses dont il s’échappe, c’est la même ambition qui le porte. Chaque enfant, balbutiant ses premiers mots, célèbre le projet de l’homme d’imposer par le verbe sa pensée au monde. Créateur bien plus qu’imitateur, découvreur plutôt que suiveur, il construit sa langue et ne reproduit pas servilement celle des autres. Bien sûr, il s’appuie sur le modèle d’une langue constituée, mais ce modèle, il ne le décalque pas, il le comprend dans ses finalités et ses mécanismes. Il n’obéit pas à une programmation génétique, il répond par son intelligence créatrice à l’appel ancestral du verbe. Dans cette quête, il devra être accompagné de médiateurs à la fois bienveillants et exigeants qui éclaireront son chemin, lui désigneront les voies sans issue, l’inciteront à repousser avec courage les limites confortables de la connivence et de la proximité. Car la langue n’est pas faite pour parler à un autre moi-même, celui qui pense comme moi, qui a vécu où j’ai vécu, qui croit en le même dieu que moi. La langue n’est pas faite pour parler à ceux que j’aime ; elle est faite, j’ose le dire, pour parler à ceux que l’on n’aime pas , pour leur dire des choses qu’ils n’aimeront sans doute pas, mais qui nous permettront peut-être de nous reconnaître « hommes de parole ».
Mais lorsque la parole et l’écriture ont perdu leur pouvoir de transformer pacifiquement le monde et les autres, d’autres moyens s’imposent pour imprimer sa marque : on altère, on meurtrit, on casse parce que l’on ne peut se résigner à ne laisser ici-bas aucune trace de son éphémère existence. La violence est ainsi l’inéluctable conséquence de l’incapacité de mettre en mots sa pensée en y mettant de l’ordre ; seuls les mots organisés apaisent en effet une pensée sans cela chaotique, tumultueuse, qui se heurte aux parois d’un crâne jusqu’à l’insupportable et qui finit par exploser dans un acte incontrôlé de violence. Le flux contrôlé des mots, la succession tranquille des phrases diffèrent le passage à l’acte ; ils donnent une chance à deux intelligences d’en rester aux mots plutôt que d’en venir aux mains. C’est sans doute à long terme le moyen le plus efficace et le plus honorable de rompre l’infernale succession des poussées de violence que toutes les mesures ponctuelles ont tant de mal à endiguer.
 
Chapitre premier
Comment l’enfant en vient aux mots

Comprendre avant même de parler
À 3 mois et demi, ma fille aînée décida qu’elle ne voulait plus manger. Cela avait commencé un matin par ce que je crus n’être qu’un caprice : elle repoussait de la main son biberon, refusant de laisser pénétrer sa tétine dans sa bouche. J’insistai, rien n’y fit. Elle avait commencé sa bataille. Jour après jour, elle refusa de s’alimenter, n’acceptant en forme de trêve éphémère que quelques cuillerées d’eau sucrée. Et moi, je me laissais entraîner dans cette bataille à laquelle je ne comprenais pas grand-chose, tentant vainement de fléchir sa volonté toute neuve, de la plier à la mienne aveugle et têtue. L’angoisse et la colère mêlées avaient scellé ma bouche et tari mes mots ; l’idée même de parler à ce bébé de quelques mois qui me défiait de ses grands yeux bleus, jour après jour, me semblait incongrue. Son refus muet me paraissait définitif, sans appel, hors de portée de mes mots. Cela dura une, puis deux semaines ; la situation devenait dangereuse. Ma fille maigrissait mais ne fléchissait pas ; pas véritablement abattue, mais simplement décidée à ne rien avaler ou presque.
Un soir, je me trouvais dans mon bureau, l’esprit taraudé par l’idée qu’il faudrait bientôt songer à l’hospitalisation. Soudain, émergeant de l’obscurité silencieuse, j’entendis une voix : quelqu’un parlait dans la chambre de ma fille, de l’autre côté du couloir. Le débit était lent ; chaque mot soigneusement détaché ; le ton était un mélange subtil de douceur et de conviction. Chaque fois que la voix de sa mère faisait une pause, je percevais le gazouillis de sa fille. Je prêtai l’oreille ; un sentiment étrange entre anxiété et espoir faisait se serrer ma gorge :
« Tu sais, ta maman ne t’a pas abandonnée ; non, elle n’a pas voulu te laisser toute seule. Pas du tout. Mais maman devait aller travailler, tu sais ; parce que beaucoup de mamans travaillent. Toi aussi, plus tard, quand tu seras grande, il faudra que tu ailles travailler. Mais ta maman t’aime ; elle t’aime plus que tout au monde. Elle ne veut pas que tu sois malheureuse. Alors je vais te faire une promesse, une grande promesse… » Là, elle fit une pause, comme s’il lui en coûtait de poursuivre. « … Je vais m’arrêter de travailler. À la fin du mois, je vais m’arrêter pour rester tout le temps avec toi. Je vais le faire parce que je sais que c’est ce que tu veux ; je sais que tu veux que je reste avec toi. Mais, alors, toi aussi tu dois me faire une promesse : tu vas recommencer à manger ; je veux que tu manges parce que je t’aime, parce que tout le monde t’aime, parce que tout le monde veut que tu vives avec nous. »
J’étais bouleversé par la profonde sincérité de ces paroles ; mais, en même temps, j’étais sidéré par cette foi invraisemblable et totalement irrationnelle dans le pouvoir du verbe. Quoi ! Cette petite fille de quelques mois, à peine capable d’un informe gazouillis, se voyait adresser un discours qui n’avait lésiné ni sur le lexique ni sur la grammaire. Qu’avait-elle bien pu en comprendre ? Ma réponse cynique et froide de jeune linguiste fut : « Sans doute pas grand-chose. »
Le lendemain matin, ce bruit si particulier de succion, dont j’avais perdu l’habitude et l’espoir, me fit me tourner vers le fauteuil en osier qui se trouvait juste sous la fenêtre. Dans la fragile lueur du jour qui se levait, je vis ma fille sur les genoux de sa mère, qui buvait goulûment son biberon. Sa mère s’en alla travailler et elle continua de manger ; un jour, puis deux, puis trois… À la fin du mois, comme elle l’avait promis, sa mère renonça à son travail.
Nous n’avons, pendant de longues années, jamais évoqué cet épisode de notre vie familiale. D’abord, il faut avouer que je n’étais pas très fier d’avoir accepté avec autant de tranquillité satisfaite le sacrifice d’une mère forcée de choisir entre sa vie professionnelle et la vie de son enfant. Passif et complice, j’avais été le spectateur d’un drame dont le dénouement heureux ne m’avait rien coûté, mais que quelqu’un d’autre avait payé fort cher. Et puis la façon dont les choses s’étaient déroulées posait un vrai problème au linguiste. Je suis resté longtemps persuadé que ce qui avait « marché », c’était, sans nul doute, le ton de la voix maternelle, ce débit si particulier, cette force de conviction qui portait le discours. Je me refusais obstinément à envisager que ma fille eût pu comprendre quoi que ce soit au discours qui lui avait été adressé. Ce n’est que bien des années plus tard que je trouvai le courage d’aborder ce sujet : « Tu te souviens de ce que tu avais dit une nuit à Vanessa quand elle refusait de manger ? »
Elle me regarda avec cet air à la fois étonné et irrité qui signifiait : « Tu as attendu si longtemps pour me poser cette question ? » Elle détestait par-dessus tout ce genre d’entrée en matière artificielle. Parler pour ne pas dire grand-chose lui était insupportable.
« Bien sûr que je m’en souviens ; comment aurais-je pu l’oublier ? D’ailleurs, moi je n’oublie rien de ce qui fait ma vie. Je me rappelle chacun des mots que j’ai dit ce soir-là.
— Mais, dis-moi, quand

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