Le Grand basculement
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Le Grand basculement , livre ebook

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Description

De toutes parts, des forces profondes entraînent l’humanité sur des pentes dangereuses. Notre nombre. Les inégalités qui nous minent. La nature qui nous trahit. Les rapports de classe, évanouis dans le brouillard d’intérêts aveugles. Les déséquilibres d’une mondialisation génératrice d’exclusions nouent chaque jour les fils d’une question sociale globale, où les pauvres sont mis en concurrence entre eux. Faute d’enclencher des mécanismes d’enrichissement durable pour tous, la planète ne pourra pas supporter la charge humaine et écologique de l’humanité, qui dérivera inexorablement dans un monde de conflits et de violence. Qui gagnera dans la guerre, ouverte ou latente, qui se fait jour ? Peut-elle encore trouver une issue coopérative ?Cette brillante synthèse montre l’imbrication des problèmes économiques, environnementaux et sociaux auxquels les pays riches et les pays pauvres sont confrontés de manière solidaire. Elle trace les directions que pourrait suivre une véritable politique sociale mondiale pour résoudre les contradictions dans lesquelles nos sociétés se sont enfoncées. Jean-Michel Severino est directeur de recherches à la Fondation pour la recherche sur le développement international (FERDI). Ancien vice-président de la Banque mondiale et ancien directeur général de l’Agence française de développement (AFD), il dirige aujourd’hui un fonds d’investissement destiné aux PME africaines. Olivier Ray est économiste, spécialiste des questions internationales. Tous deux sont les auteurs du Temps de l’Afrique.  

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 octobre 2011
Nombre de lectures 6
EAN13 9782738185532
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , SEPTEMBRE  2011
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN 978-2-7381-8553-2
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Introduction

La scène se passe dans le monde réel.
Nous sommes au début de notre siècle, dans la salle cossue du conseil d’administration d’une importante banque, lambrissée de bois clair et pourvue de tous ces aménagements qui donnent le sentiment vertigineux du pouvoir, du savoir et de la richesse : écrans de vidéoconférence, traduction simultanée, ordinateurs personnels et smartphones manipulés durant les réunions – sans guère de discrétion.
Quinze hommes et femmes – surtout des hommes, à vrai dire, blancs –, aux apparences professionnelles impeccables, sont assis autour d’une grande table plantée de micros : le comité des engagements débat des investissements du mois.
L’ordre du jour de cette institution spécialisée dans le financement de projets économiques dans les pays en développement comprend une prise de participation dans un important projet industriel situé au Maghreb. L’affaire est intéressante, claire, bien structurée. À la clé, de nombreux emplois dans ce pays au chômage élevé. Ils seront raisonnablement payés au regard des salaires locaux. Ils renforceront les capacités technologiques du pays d’accueil, pauvre, et de son tissu industriel. L’impact sur les finances publiques du pays sera important en termes de revenus, ce qui permettra de contribuer à financer le vaste programme de dépenses sociales que le gouvernement a engagé, dans un contexte où une part de la population n’a toujours pas accès à l’eau, à la santé primaire et à l’éducation secondaire.
Un administrateur s’oppose à cette opération : il estime qu’il s’agit d’une délocalisation rampante. Non que le promoteur, lequel s’associe en l’occurrence avec un important industriel local, démantèle une quelconque usine en France. Toutefois, il apparaît au fil de la discussion qu’une fraction significative de la production sera exportée en Europe, remplaçant les lignes de production d’une unité située dans une région sinistrée du Nord. Le sort de cette dernière est très incertain : on imagine un ralentissement progressif sur plusieurs années, puis, à moins que de nouveaux développements n’interviennent, une fermeture. Une discussion confuse s’installe, sur la nature des emplois créés à l’étranger, et sur le risque indirect de destruction d’emplois en France.
C’est alors qu’un autre administrateur indépendant, muet depuis le début du débat, prend la parole : « Collègues, les Arabes, vous les voulez où ? Chez eux ou à Marseille ? »
Un long moment de silence glacé suit cette intervention. Il est à l’origine de ce livre.
Nous connaissions tous les protagonistes. Au sud de la Méditerranée, dans le pays en question, des interlocuteurs sérieux, un industriel compétent et un peuple désespérément en recherche de mieux-être, frustré par l’ampleur des inégalités dont il est victime. L’écart des revenus entre les deux rives de ce que l’on nomme improprement notre « mer commune », alors qu’elle l’est si peu, est le plus élevé au monde entre deux territoires voisins, de l’ordre de 1 à 4 en moyenne 1 . Les tensions sociales sont fortes, les crispations politiques vives. La croissance économique et la redistribution sociale y sont impératives pour éviter la montée des antagonismes et, peut-être, le conflit et le terrorisme.
Sur la rive nord, des acteurs schizophrènes : des entreprises à la recherche de leur survie économique, détruisant pour ce faire sur leur propre sol les emplois et les salaires qui forment pourtant la demande de leurs produits ; des familles rejetant l’immigration, mais recherchant activement nounous africaines, plombiers polonais et informaticiens asiatiques ; des citoyens-consommateurs condamnant les délocalisations, mais choisissant les produits made in China dans leur grande surface préférée ; un gouvernement s’offusquant de l’effritement de l’industrie nationale, mais conscient de la nécessité pour ses voisins immédiats d’accéder à leur tour à la prospérité – et décidé à promouvoir leur croissance rapide, y compris en mobilisant l’argent du contribuable à travers l’aide au développement. Les Américains ont cette expression : «  Damned if you do, damned if you don’t.  »
Et, en fin de compte, ce goût de cendres dans la bouche. Au Sud, ces insupportables images de pauvreté devant les yeux. Celle des grands pauvres des pays du Sud, ces scènes de misère absolue, à laquelle aucune charité ne peut mettre fin, et que seule la croissance peut éliminer. Quelle croissance, dans un environnement saturé par l’homme ? Au Nord, le désespoir. Celui des bassins industriels en friche. Celui de banlieues abruties par le chômage et en proie à la violence – où les tensions sociales s’accumulent le long de lignes de faille absurdes. Ce sentiment, au fond, que la globalisation a instauré une guerre entre pauvres : les pauvres du Sichuan, du Rif ou de Ferkessédougou contre les pauvres de Roubaix, d’Arles ou de la Seine-Saint-Denis.
Les choses n’étaient pas censées se passer ainsi.
S’en souvient-on ? Il y a vingt ans à peine, le « dernier homme 2  » naissait dans les hourras et les feux de joie déclenchés par la chute du mur de Berlin. L’historien américain Francis Fukuyama annonçait la fin d’une histoire que personne ne pouvait regretter, faite de conflits sanglants et de pauvreté. La démocratie occidentale avait enfin abattu ses derniers adversaires. Le marché se répandait désormais comme un feu de forêt, à la conquête du plus récalcitrant des empires, diffusant la prospérité partagée. La Birmanie, Cuba, le Venezuela et la Corée du Nord, derniers vestiges de cet interminable épisode que l’on appelait l’histoire, étaient la preuve par l’absurde du succès de la démocratie libérale – ce système économique et politique supérieur, dans lequel l’humanité s’installerait pour l’éternité. Certes, l’Afrique connaissait l’ajustement structurel, mais ce dernier aurait une fin, tandis que l’ouverture des frontières dans un monde global fournirait des opportunités inconnues jusqu’alors. Les économies émergentes d’Asie en montraient d’ailleurs le chemin. Leur développement tenait lieu de réussite incontestable.
Les pays de l’ancien « tiers-monde » connaissaient désormais la voie vers la prospérité, théorisée par la Banque mondiale dans un ouvrage au titre éloquent : Le Miracle asiatique 3 . Et, de fait, plusieurs centaines de millions d’hommes et de femmes sont sortis de la pauvreté en seulement deux décennies. Sans surprise, ce nouveau Graal de la croissance économique s’imposa rapidement comme la base de la prescription économique des grandes institutions internationales. L’accès de l’Afrique au sud du Sahara à une croissance plus rapide au tournant du siècle est en quelque sorte venu consacrer cette vision optimiste.
Cette vague d’euphorie a fait long feu.
Voici le dernier homme mort. Son corps meurtri repose dans les décombres des Tours jumelles. Victime de l’excès d’enthousiasme de la chute du mur de Berlin et des années fastes de la mondialisation, sa bourse s’est évaporée dans la crise des subprimes . Son logement a pourri sous les eaux boueuses de la tempête Katrina. Ses derniers compagnons n’ont pas résisté aux assauts successifs de la crise alimentaire et des pandémies nées avec le nouveau millénaire.
Certains se sont empressés de l’enterrer : preuve de l’irrésistible désir de vie de l’histoire, le « choc des civilisations 4  » fut érigé en nouveau modèle, moins glorieux mais tout aussi réconfortant. Dans une ère de mutations déstabilisatrices, l’annonce du conflit inéluctable entre « nous » et « eux » est une forme de réponse à l’angoissante question du « qui sommes-nous ? » 5 . Mais le fossoyeur du dernier homme faisait erreur. Car les « civilisations » ne sont qu’un épiphénomène, une superstructure, pour reprendre le vocabulaire d’un XIX e  siècle dont nous allons reparler. Les religions forment un voile : il révèle et maquille à la fois les forces profondes qui entraînent l’humanité sur des pentes dangereuses – celles qui débouchent sur des ajustements darwiniens, où seuls les plus forts parviennent à survivre.
Quelles sont ces forces profondes ? Notre nombre. Les inégalités qui nous minent. La nature qui nous trahit – en retour. Les rapports de classes, évanouis dans le brouillard d’intérêts aveugles.
L’histoire reprend son cours – non sans rappeler des épisodes précédents. Comme nos sociétés industrielles au XIX e  siècle, l’humanité est confrontée en ce début du XXI e  siècle à une vaste question sociale. L’injustice et l’inégalité sont de nouveau le lieu commun de notre planète, tandis que l’homme s’enferre dans une crise environnementale sans solution évidente. L’obscurité de notre destin, la fin de la croyance naïve que nous avons eue en l’éternité de la croissance et en la fin de la pauvreté suscitent une anxiété grandissante parmi les perdants de la globalisation – alimentée par une décennie de crises politiques, climatiques, alimentaires, sanitaires et financières – comme parmi les gagnants, qui craignent le déclassement. Les prétextes idéologiques ne manquent pas pour donner respectabilité, armature intellectuelle et vision aux innombrables protestations issues de cette « classe » hétéroclite et difforme, qui recrute au nord

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