La Bretagne
269 pages
Français

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Description

Eugène Loudun (1818-1898)
" A une époque où les nations européennes se transforment si rapidement et tendent à une unité qui leur imprimera une physionomie uniforme, c'est un spectacle digne d'intérêt que celui d'un peuple qui a gardé son caractère propre, et, au milieu d'un changement général, est demeuré le même. C'est le spectacle que présente la Bretagne..."


Eugène Loudun, de son vrai nom Eugène Balleyguier, fut journaliste, critique d'art, historien et écrivain. Dans cet ouvrage, l'auteur semble vouloir laisser un témoignage de cette Bretagne déjà ballottée entre la tradition et le progrès. Descriptions : paysages et êtres humains, scènes de vie, scènes historiques... une balade au bout du monde.


Edition 1864.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 octobre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374630830
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Bretagne
Paysage et récits


Eugène Loudun


Octobre 2015
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-083-0
couverture : pastel de STEPH’
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 84
Préface

À une époque où les nations européennes se transforment si rapidement et tendent à une unité qui leur imprimera une physionomie uniforme, c’est un spectacle digne d’intérêt que celui d’un peuple qui a gardé son caractère propre, et, au milieu d’un changement général, est demeuré le même. C’est le spectacle que présente la Bretagne.
Non pas que la Bretagne ait été entièrement insensible au mouvement qui emporte le reste du monde ; depuis près d’un siècle déjà, elle a subi de nombreuses altérations. Des cinq départements bretons, le Finistère presque seul a conservé intacts ses costumes et sa langue ; il est le plus éloigné, le bout de la terre, comme le dit son nom ; le progrès moderne ne l’a pas encore atteint. Ailleurs, dans l’Ille-et-Vilaine, les Côtes-du-Nord, le Morbihan même, le pays du combat des Trente, des pèlerinages et des chouans, les hommes presque tous ont quitté la braie celtique pour le pantalon des villes ; il n’y a plus que les femmes qui portent encore l’antique costume et la coiffure pittoresque. C’est que la femme, gardienne du foyer, est aussi celle qui abandonne la dernière les anciens usages et les traditions de la famille ; dans le costume elle met du sentiment ; le quitter, c’est rompre avec le passé, avec sa race et ses aïeux : quand toutes les femmes d’un pays ne tiennent plus à leur costume, ce pays ne mérite plus de nom particulier, il en change.
La langue s’est un peu mieux maintenue ; on la parle encore dans les bourgs et les villages ; c’est en breton que se fait le prône le dimanche, en breton l’allocution du recteur aux mariés. Déjà aussi, pourtant, la vieille langue se perd : le bourgeois des villes ne la comprend plus ; le paysan parle le breton et entend le français ; ses rapports journaliers avec l’étranger lui ont appris la valeur de ce nouvel idiome. Chaque jour, s’en va un de ces vieux Bretons qui ne parlaient que la vieille langue, et il n’est pas remplacé. Il ne se reverra plus, ce temps où deux troupes de Bretons ennemis, de la Grande et de la Petite-Bretagne, s’arrêtaient tout à coup sur le champ de bataille, entendant résonner des deux côtés les mots de la même langue, et se reconnaissaient et s’embrassaient : frères de la même race, issus de la même terre (1) . Dans les cimetières qui ceignent toutes les églises de campagne, on ne voit plus que rarement sur les tombes nouvelles une inscription en langue bretonne ; elle disparaît aussi, cette coutume nationale qui distinguait le paysan breton jusque dans la mort, qui l’isolait des étrangers indifférents et réservait pour ses enfants seuls la connaissance de sa vie et de son nom. Bientôt cet âpre et poétique langage sera devenu le domaine des savants et l’occupation des académies, et, déjà, comme cédant à un fatal pressentiment, un pieux et noble fils de l’Armorique s’est empressé de recueillir les poésies de ses bardes (2) , chants mélancoliques de prochaines funérailles, voix des ancêtres qui ne sera plus comprise de leur postérité muette.
Ainsi se modifient ou s’effacent les traits extérieurs de ce vieux peuple, et le chemin de fer qui s’avance, prêt à lancer ses wagons comme une flèche au cœur de l’Armorique, consommera le changement : il ne faut pas s’en étonner ; les costumes, les villes, la langue, les institutions, formes variables, peuvent être ou ne pas être ; mais ce qui n’a pas changé en Bretagne, c’est ce qu’il y a de plus intime dans un peuple, la religion, et la religion est l’essence du génie breton. Les sauvages comme les Turcs, dit Chateaubriand, n’étaient attentifs qu’à mes armes et à ma religion ; les armes, qui protègent le corps de l’homme, la religion qui est son âme même. C’est à ce point de vue que la Bretagne a été peinte dans ce livre ; la Bretagne est religieuse, c’est ce qui fait qu’elle est encore la Bretagne.
I
Foi et poésie des Bretons

Le Grand-Bé. – Les croix. – Les églises. – Les clochers.

La baie de Saint-Malo est toute parsemée de rochers sur lesquels on a construit des forts qui protègent la ville de leurs feux croisés ; le Grand-Bé est un de ces îlots ; naguère il était armé de canons ; aujourd’hui, le fort abandonné tombe en ruines, et, à l’extrémité de son cap, de loin on aperçoit une croix se dessinant sur l’azur du ciel. Cette croix attire tous les regards, et c’est vers cette croix, dès que la mer basse laisse à découvert la grève de sable et de granit, que tendent les pas des voyageurs.
Après avoir monté une pente raide et âpre, on atteint un plateau nu, aride, où quelques moutons trouvent à peine à brouter une herbe rare ; on tourne à travers un défilé de rochers, et, sur la pointe la plus escarpée, tout à coup on se trouve devant une pierre et une croix de granit. C’est le tombeau de Chateaubriand.
Il n’est pas de plus poétique tombeau : adossé au vieux monde, il regarde le nouveau ; il a sous lui l’immense mer, et les vaisseaux passent à ses pieds ; point de fleurs, point d’herbe alentour, pas d’autre bruit que le bruit de la mer incessamment remuante, qui, dans les tempêtes, couvre cette pierre nue de l’écume de ses flots.
Là, il avait choisi sa dernière place, là, les discours s’échangent : on se demande quelle pensée l’inspira quand il déclara ne vouloir même pas que son nom fût inscrit sur sa tombe. Ceux-ci y voient un sentiment d’humilité, ceux-là d’orgueil ; il y a, ce me semble, l’un et l’autre, et cette humilité et cet orgueil ont une même source, un grand désenchantement. Cet homme qui avait vu tant de projets avortés, tant d’ambitions déçues ; ce voyageur qui avait parcouru l’univers, visité l’Orient, berceau de l’ancien monde, et les déserts de l’Amérique où naît le monde nouveau ; ce poète qui pouvait compter les cycles de sa vie par les révolutions, était envahi, à la fin de ses jours, par une tristesse sans repos. Lui qui, dans sa jeunesse, avait préludé par des Considérations sur les révolutions, il se complut, en ses dernières années, à écrire la Vie du réformateur de la Trappe ; le silence et la solitude du cloître étaient en harmonie avec la tristesse de son âme. Après avoir été chargé des plus importantes missions, avoir rempli les plus hauts emplois, vu à l’œuvre les hommes les plus habiles et les plus puissants, une fois retiré du cercle tournoyant du monde, il avait été pénétré d’une accablante vérité : combien peu vaut l’homme, combien peu il fait, combien moins encore il réussit en ce qu’il tente. Ce qui cause la joie, l’orgueil, l’enivrement du monde, le faisait sourire ; il avait pour tous les hommes un égal dédain, et ce dédain il ne s’en exceptait pas lui-même ; il savait, selon le mot d’un ancien, qu’il y a peu de différence d’un homme à un autre homme (3) .
Par humilité donc, il ne veut pas sur son tombeau d’inscription, pas de nom : qu’importe qui lira son nom ! les hommes sont petits, et il est l’un d’eux ! – Mais, par orgueil aussi, il veut une pierre nue : cette pierre, elle sera visitée des voyageurs de toutes contrées ; ils viendront la regarder, et diront : Chateaubriand ! Ce nom, il sera prononcé sur les flots par ceux qui arrivent et par ceux qui partent pour les régions lointaines ; il prétend obliger les hommes à savoir qui il est.
Ainsi, ô instabilité continue de l’âme humaine ! en lui s’unissent les sentiments les plus contraires, le désenchantement de la gloire, et la croyance en l’immortalité d’un nom ; le dédain du scepticisme, et la soif des applaudissements ; une impression d’humilité de chrétien, et un instinct de souverain orgueil.
La vérité, pourtant, est là : cette croix, signe de l’éternité sur cette pierre marque de la mort, est l’immuable témoignage de l’inanité de l’orgueil humain. Mais elle a aussi une autre signification : Chateaubriand ne voulut sur son tombeau qu’une croix, de même que Lamennais, son compatriote, ordonna qu’elle ne fût pas plantée sur le sien, tous deux obéissant à la même préoccupation, dans la négation comme dans la foi. La croix, dominant la tombe où repose le poète breton, est le symbole du génie de sa patrie, de la catholique Bretagne.
La foi, en Bretagne, a un caractère particulier, elle s’allie à une poésie propre au génie breton : les objets matériels parlent en ce pays, les pierres s’animent, les campagnes ont une voix qui révèle l’âme de l’homme conversant avec Dieu. Ce n’est pas une imagination, personne ne s’y peut tromper : dès que l’on entre en Bretagne, la physionomie du pays change, et le signe de ce changement est la croix. Sur les chemins, à tous les carrefours, s’élève une croix. Il y en a de toutes les époques, depuis le XII e siècle jusqu’au XIX e ; il y en a de toutes les formes ; là, simples croix de granit exhaussées de quelques marches ; ici, croix portant sur leurs deux faces l’image du Christ et de la Vierge, sculptures grossières, mais toujours empreintes d’un sentiment sincère. La sainte Vierge, les Bretons ne comprennent pas seulement sa tendresse, ils sentent sa douleur, ils la partagent, ils l’expriment avec une énergique vérité. Voyez ce tableau de la Vierge tenant son fils mort sur ses genoux, dans l’église de Saint-Michel, à Quimperlé ; c’est une peinture primitive, par une main inhabile qui ignorait les ressources de l’art ; le dessin en est incorrect ; mais quelle expression de douleur ! Le peintre voulait rendre la vive souffrance de la mère : la bouche est tordue, les yeux sont fixes, la prunelle est presque seule indiquée ; cette fixité du regard est saisissante, elle vous arrête, on reste là à regarder, on oublie que c’est une représentation, on voit la Vierge elle-même, immobile dans sa douleur, ne pouvant plus exprimer sa plainte, comme pétrifiée, et pourtant vivante.
À côté, appuyée contre le mur, est placée une statue de la Vierge, conçue au contraire dans un sentiment délicat et tendre : elle a cette attitude penchée, cette tête

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