L Immigration dans les campagnes françaises
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L'Immigration dans les campagnes françaises , livre ebook

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Description

De 1851 à 1975, cinquante millions d’immigrants se seraient succédé sur le sol français. Belges, Italiens, Espagnols, Polonais sont venus par vagues successives combler les vides laissés dans les champs par l’exode rural. Alors que ses voisins européens devaient sacrifier leur agriculture à leur industrie, ces immigrés de la terre ont permis à la France de préserver son agriculture tout en développant ses usines. Ronald Hubscher, notre meilleur spécialiste de l’histoire rurale, reconstruit cette face cachée de l’immigration en France. Il reconstitue les réseaux familiaux, villageois ou professionnels qui l’ont canalisée, l’ambivalence de leur accueil, la formation d’une société originale, leur refus de l’intégration et leur retour à leur terre d’origine. Avec ce regard neuf sur l’immigration, c’est toute la question de l’identité française qui se pose à nouveaux frais. Ronald Hubscher est professeur émérite à l’université Paris-X-Nanterre. Il est l’auteur de Les Maîtres des bêtes. Les vétérinaires dans la société française XVIIIe-XXe siècle.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 octobre 2005
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738187253
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , OCTOBRE  2005
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-8725-3
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Introduction

Accords de Schengen 1 , sommets de Barcelone et de Feira au Portugal 2 , rencontres informelles des ministres de la Justice, de l’Intérieur ou des Affaires étrangères des Quinze : autant de preuves de l’attention portée à la question de l’immigration devenue un enjeu majeur des politiques européennes. Si elles témoignent d’un souci commun de contrôle et de régulation des flux migratoires, dans la pratique les mesures restrictives restent difficiles à appliquer et sont porteuses de contradictions 3 . Comment les concilier avec la promesse de la libre circulation des ressortissants des pays de l’Est qui se pressent aux portes de l’Union européenne ? Contradiction encore entre la volonté de limiter l’immigration, la rigueur accrue à l’égard des personnes en situation irrégulière 4 , et l’obligation au dire des experts de recourir massivement à la main-d’œuvre étrangère dans un futur proche 5 . En réalité, tous ces problèmes ne datent pas d’aujourd’hui où trop de personnes semblent les découvrir ; de fait ils surgissent de façon itérative depuis plus d’un siècle.
Certes, l’Espagne et l’Italie , pour prendre ces deux exemples, ont une courte expérience en la matière : jusque dans les années 1970, elles étaient des pays de forte émigration avant d’importer par la suite une nombreuse main-d’œuvre. La France, en revanche, possède une longue pratique de la venue de travailleurs étrangers dont la présence prend une véritable visibilité autour des années 1840 6 . Le courant migratoire grossit fortement sous le Second Empire sans être cependant comparable à l’afflux massif d’allogènes dans les années 1920. Dix ans plus tard, avec trois millions d’étrangers installés sur son sol, la France se situe au premier rang mondial pour le nombre d’immigrants, si l’on rapporte leurs effectifs au chiffre total d’habitants. À la fin des années 1950, le phénomène migratoire reprend vigueur et atteint un maximum autour de 1970.
Se pose alors, comme dans les années de l’entre-deux-guerres, le problème de l’assimilation ou de l’intégration de ceux d’ailleurs, un débat toujours passionné, alimentant un discours xénophobe dont l’extrême droite fait son fonds de commerce. Il trouve un écho dans l’opinion publique 7 et embarrasse le pouvoir politique au-delà des clivages idéologiques, même si les gouvernements de droite affichent une volonté plus répressive contre les « clandestins » que ceux de gauche. Bref, le problème de l’immigration est récurrent, comme on a pu encore le constater lors des élections présidentielles de 2002.
C’est dans ce climat de controverses sur la place à assigner aux travailleurs étrangers dans la société française, comme sur leurs conditions d’existence, que l’immigration, vers les années 1970, est devenue un objet d’étude scientifique. Sociologues, anthropologues, psychologues, puis historiens multiplient les travaux sur le sujet, les plus récents consacrés aux problèmes de l’intégration et de l’identité. L’essentiel du débat public porte sur la présence d’une importante collectivité d’origine maghrébine qui focalise l’attention des autochtones 8 . Dès lors, il s’agit de la mettre en perspective dans la mémoire collective en rappelant l’ancienneté et la permanence des migrations 9 , indispensables sur le plan démographique et économique, et de montrer l’importance numérique des différentes vagues d’immigrés qui ont précédé celle de l’Afrique du Nord  : Belges, Italiens et Espagnols sur le long terme, Polonais et Portugais plus ponctuellement.
On ne peut s’empêcher de constater une posture fonctionnaliste dans nombre de ces travaux qui ressortissent à une problématique identique : quelles sont les modalités d’intégration d’une communauté donnée ? Schématiquement, nous dirons qu’il s’agit d’une « défense et illustration » de l’immigration de laquelle émergent trois constats majeurs. D’abord, l’apport des étrangers à l’économie et à la société française auquel sont redevables le rajeunissement de la population, les Trente Glorieuses, etc. Ensuite, les difficultés d’intégration qu’a connues chaque vague d’émigrants, contrairement aux idées reçues selon lesquelles certains d’entre eux, en raison d’une proximité culturelle, n’auraient pas posé de problème : une manière de relativiser le caractère « inassimilable » de la population maghrébine. Enfin, un bilan optimiste : en définitive, le creuset français, le « modèle républicain d’intégration », malgré les conflits et les tensions, ont toujours fonctionné 10 .
Conformément à la vision commune qui assimile trop facilement les immigrés aux OS, les chercheurs ont concentré leur attention sur les activités liées au secteur secondaire où effectivement leurs effectifs sont majoritaires. Puis, attentifs aux problèmes de mobilité sociale, ils ont élargi leur investigation au secteur tertiaire où l’artisanat et la boutique offraient le plus d’opportunités aux allogènes dans la recherche d’une amélioration de leur statut social 11 . En revanche, l’étude du secteur rural a été délaissée en dépit de l’ancienneté d’une population étrangère occupée aux travaux des champs, avoisinant à la fin des années 1930 les 300 000 individus.
Nous y voyons trois raisons. D’abord, depuis une vingtaine d’années, un relatif désintérêt de la recherche pour l’objet rural en général, jadis fleuron de l’école historique française. Ensuite, en vertu de l’équation immigrés/secteur industriel, les travailleurs de la terre apparaissent comme des ouvriers potentiels ; en somme, ils occupent une situation transitoire avant l’appel de la mine ou de l’usine. Aussi, peu de publications leur sont consacrées. Les ouvrages de synthèse sont rares, anciens, et leurs références répétées d’une bibliographie à l’autre. Ainsi en est-il de la grande enquête d’Albert Demangeon et de Georges Mauco Documents pour servir à l’étude des étrangers dans l’agriculture française parue en 1939 12 , comme de celle d’Alain Girard et de Jean Stoetzel où, sur le thème général de l’immigration, deux monographies effectuées en 1951 sont consacrées aux ouvriers agricoles polonais de l’Aisne et aux agriculteurs italiens du Sud-Ouest 13 . Or les multiples informations rassemblées dans ces deux études, grâce à un vaste réseau de correspondants, n’ont jamais fait l’objet d’une exploitation systématique et d’une mise en perspective du point de vue qui nous intéresse. Aussi seront-elles fréquemment utilisées au fil de l’ouvrage, d’autant qu’il nous a été loisible de consulter les documents primaires ayant servi à leur élaboration 14 . Pour le reste, mis à part l’article de Gérard Noiriel sur « L’immigration étrangère dans le monde rural pendant l’entre-deux-guerres 15  », il s’agit d’études ponctuelles, notamment de thèses régionales accordant aux cultivateurs une place plus ou moins proportionnelle à l’importance de l’activité agricole locale. Enfin, la dernière raison du peu d’attention portée à la population étrangère des campagnes résulte de son invisibilité et de sa « transparence ». À la différence des ouvriers fortement concentrés sur leur espace de travail – carreaux des mines, grandes usines mécaniques ou automobiles – mais aussi groupés sur leur lieu de résidence, la population agricole étrangère est disséminée, dispersée dans des exploitations dont la majorité rassemble au mieux quelques individus. Elle est sans histoire, elle ne fait pas d’histoires.
En réalité, ces travailleurs étrangers ont été instrumentalisés. Ils ont rempli une fonction idéologique importante de la fin du XIX e  siècle jusqu’aux années 1950, au service d’une vision agrarienne de la société partagée par divers acteurs : hommes politiques, médecins, universitaires, hauts fonctionnaires. Elle a nourri leur réflexion sur l’immigration et explique la logique de certaines mesures gouvernementales, en particulier entre les deux guerres. Celles-ci sont l’expression d’une politique menée avec constance par les pouvoirs publics à l’égard de l’immigration agricole qui échappe pratiquement aux diverses lois répressives visant les étrangers, notamment sur le plan de leur contingentement. Pour Marcel Paon , membre du Conseil national de la main-d’œuvre et du Conseil supérieur de l’agriculture, il est « préférable de céder dix hectares de nos terres à un étranger plutôt qu’un seul pavé de nos villes. La terre enchaînera ceux qui se donnent à elle, la ville n’exercera jamais la même attraction et l’étranger y restera toujours un étranger qui passe 16  ». Auteur d’une thèse de droit , La Sélection de l’immigration en France et la doctrine des races publiée en 1930, Jean Pluyette oppose aux commerçants, intellectuels, membres des professions libérales qui « ne respectent ni loi ni tradition […] et ne voient dans le milieu français qu’un terrain à exploiter de façon intensive » la « famille étrangère, propriétaire du sol […] qui rattache l’homme à une culture et à des traditions […] élite économique et surtout élite morale 17  ». Bien d’autres exemples de la même veine pourraient être cités.
Ces clichés s’inscrivent dans la longue tradition de l’utopie agreste dont parmi tant d’autres Virgile et Rousseau , aux nombreux héritiers, se sont faits les parang

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