L Illusion méritocratique
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L'Illusion méritocratique , livre ebook

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Description

« Bravo, tu l’as bien mérité ! » Tous ceux qui ont rejoint le camp des vainqueurs du jeu scolaire et universitaire voient ainsi salués leurs efforts et leur « mérite », leurs « capacités » et leurs « talents ». Mais ces éloges ont un revers : en élevant les uns, ils rabaissent les autres, définis précisément par ce qu’ils ne sont pas. David Guilbaud, lui-même issu de ce système méritocratique, montre comment, en dépit des travaux de Bourdieu et de ses successeurs, en dépit des dispositifs d’« égalité des chances » qui se développent, tout concourt à maintenir un statu quo inégalitaire dès les premières années du parcours scolaire. C’est cette discordance entre les discours et la réalité que ce livre examine. Avec une question : pourquoi ce système est-il si ardemment défendu non seulement par les gagnants du jeu « méritocratique », mais aussi par ceux qu’il a laissés de côté ? Bref, quels sont les ressorts de cette illusion méritocratique et pourquoi est-il important de la dissiper ? Un guide d’autodéfense intellectuelle à l’usage de ceux qui doutent de faire partie des « meilleurs ». David Guilbaud, issu de la promotion George Orwell (2015-2016) de l’École nationale d’administration, est aujourd'hui haut fonctionnaire. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 octobre 2018
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738146236
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , OCTOBRE  2018
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4623-6
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Composition numérique réalisée par Facompo
À Adeline, Azadeh, Chloé, Françoise, Lionel, Margaux, Patrick, Philippe et Sandrine, en remerciements de leurs contributions à l’élaboration du présent ouvrage.
Introduction

« Pour que les jugements et les raisonnements de la magie soient valables, il faut qu’ils aient un principe soustrait à l’examen. »
Henri H UBERT et Marcel M AUSS , « Introduction à l’analyse de quelques phénomènes religieux », 1906.

La méritocratie est devenue un sujet d’attention récurrent, sinon permanent, dans les discours politiques et les médias. L’importance qu’elle a acquise entre en résonance avec une certaine obsession française pour l’école, dont des exemples nous sont régulièrement donnés. Tel hebdomadaire va ainsi publier chaque année, entre son guide des vins et son classement des meilleurs hôpitaux, son classement des écoles de commerce ou des écoles d’ingénieurs qui ne sera pas le même que celui élaboré par son concurrent. L’orientation de leur enfant vers telle ou telle filière suscite l’anxiété des parents, qui s’en remettent à ces classements aussi bien qu’aux multiples guides de l’orientation publiés par l’Onisep pour tenter d’éclairer un choix dont les conséquences restent bien souvent difficiles à anticiper. Pour leur part, les gouvernements engagent, année après année, des réformes éducatives qui donnent à chaque fois lieu à des empoignades homériques entre leurs partisans et leurs opposants.
L’école, donc, nous passionne. Pourtant, le principe méritocratique lui-même est peu discuté. Certains auteurs l’ont fait, et brillamment : parmi eux, citons Patrick Savidan 1 , Christian Baudelot et Roger Establet 2 , François Dubet 3 , Marie Duru-Bellat 4 , Camille Peugny 5 ou encore Annabelle Allouch 6 . Nombre de sociologues le font tous les jours à travers leurs recherches, contribuant en cela à la compréhension du fonctionnement d’un système scolaire qu’avaient analysé Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron 7 en leur temps. Malgré ces travaux éclairants, nous restons collectivement prisonniers d’un cadre de pensée structuré par l’idée de méritocratie, dont la pertinence théorique apparaît si fermement établie qu’elle fait échapper notre système scolaire à tout examen critique. Notre vision du monde est binaire, parce qu’elle est fondée sur de grandes idées plutôt que sur l’analyse de la réalité du fonctionnement de notre société : aux privilèges injustes d’Ancien Régime aurait succédé le règne du « mérite », par définition juste, caractéristique de la République. La proclamation théorique, par cette dernière, de l’égalité en droit des individus aurait suffi à faire advenir l’égalité sociale, celle-ci étant conçue comme autorisant des inégalités à condition qu’elles ne soient pas déterminées par la naissance. Puisque le règne du diplôme et du concours, consécrations apparemment objectives du « talent » des individus, semble exclure le népotisme et le « piston », les inégalités qu’il produit en pratique sont censées être nécessairement « justes ».
De nombreux dispositifs d’« égalité des chances » ont été mis en place qui visent à compenser les effets d’une origine sociale défavorisée en accroissant les moyens mobilisés pour aider des élèves issus de milieux dits « populaires » à atteindre le résultat exigé pour accéder à tel établissement ou à telle position sociale. Ces dispositifs, qui peuvent être mis en place dès le secondaire ou durant le supérieur, prennent plusieurs formes. Il peut s’agir de préparations spécifiques aux épreuves d’un concours ouvert à tous : c’est le cas, par exemple, de la classe préparatoire « égalité des chances » créée par l’École nationale d’administration pour préparer des étudiants boursiers à son concours d’entrée. Il peut également s’agir de voies de recrutement spécifiques, telles que la procédure de « conventions éducation prioritaire » mise en place par l’Institut d’études politiques de Paris.
Pourtant chacun sait, chacun peut sentir au quotidien combien notre société et son école restent inégalitaires, et combien l’origine familiale et sociale des individus continue à peser sur leur destin social. Il ne s’agit pas que d’un sentiment subjectif : les travaux de l’OCDE, à travers les enquêtes PISA 8 , ont montré combien le système scolaire français demeure inégalitaire, et ceux de Pierre Merle 9 ont confirmé avec force ce constat. À cet égard, la première critique que nous pouvons adresser aux défenseurs de la méritocratie est qu’ils se paient de mots, en employant le terme « méritocratie » à mauvais escient pour désigner un système dont il est visible, chaque jour, qu’il n’a de méritocratique que le nom. C’est cette discordance entre les termes et la réalité, ainsi que les intérêts auxquels bénéficie concrètement la persistance de cette illusion méritocratique 10 , qu’il s’agira d’examiner. Pourquoi les dispositifs « méritocratiques » ne parviennent-ils pas à faire évoluer le fonctionnement inégalitaire de notre système éducatif ? Pourquoi ce mythe méritocratique persiste-t-il ? Pourquoi est-il aussi ardemment défendu, non seulement par les gagnants du jeu « méritocratique », mais aussi par nombre de ces perdants qu’il a laissés de côté ?
Il ne suffit pas de s’interroger sur la discordance entre cette réalité inégalitaire et la méritocratie théoriquement proclamée : la nature même de cet idéal théorique doit être discutée. De prime abord, il semble difficile de critiquer un système qui se donne pour but de répartir les places et le pouvoir en fonction du « mérite » de chacun : ce système semble bien, sur le papier en tout cas, constituer un idéal vers lequel nous devrions tendre. Mais est-ce si vrai ? Un tel système doit-il être idéalisé ? Existe-t-il un seul modèle méritocratique ? De quel mérite parle-t-on ? Quelle est la société produite par ce système qui encourage la compétition et la « course au mérite » entre ses membres ?
Le présent ouvrage se propose d’examiner cette question méritocratique sous ses différents aspects, en commençant par quelques constats éclairants quant au caractère inégalitaire de notre système scolaire, jeu inégal que nombre de discours présentent pourtant implicitement comme réunissant des participants dotés d’atouts comparables. Le chapitre suivant rappelle le caractère arbitraire et conservateur du mérite scolaire, qui est tout sauf détaché du contexte social dans le cadre duquel il est régulièrement réaffirmé. Ce « mérite » socialement situé s’incarne dans un discours méritocratique qui induit des effets pervers pour les catégories sociales relativement dominées dans les hiérarchies scolaires tout en apportant de nombreux profits aux catégories sociales qui, dans leur ensemble, bénéficient du fonctionnement du système scolaire. L’ouvrage s’intéressera ensuite à la manière dont notre système scolaire opère sa fonction de « tri » des individus, dès les premières années de leur parcours scolaire, à travers une multiplicité de choix qui participent d’un processus diffus de sélection continue. En la matière, aucun déterminisme n’existe, et certains « miraculés scolaires » parviennent à atteindre une réussite statistiquement improbable. Le chapitre suivant examinera les difficultés rencontrées par ces sujets « méritocratiques » pour lesquels la lutte ne s’arrête pas une fois passée la porte d’entrée dans la grande école ou franchie la barrière du concours. Il s’agira ensuite de s’interroger sur les effets négatifs qu’ont, pour notre société, le fonctionnement de notre système scolaire et, au-delà, la place centrale que nous accordons collectivement à la réussite scolaire, avant de réfléchir à ce que nous pouvons faire pour construire une conception moins univoque du mérite, un système scolaire qui trie moins et égalise davantage et, au-delà, une société moins compétitive, moins brutale et plus égalitaire.
Avant cela, cependant, demeure une question pour celui qui est derrière ces lignes : « D’où parles-tu ? » Question légitime à l’égard de l’auteur de n’importe quel ouvrage qui entend aborder cette méritocratie dans laquelle nous sommes tous plongés, que nous ayons fait le choix (mais est-ce toujours un choix ?) de participer au jeu méritocratique ou non. Celui-ci est rédigé du point de vue d’un gagnant de cette sélection « méritocratique », bon élève issu d’une famille relativement dépourvue de capital économique mais dotée d’un certain capital culturel, et qui a franchi une à une les étapes de sélection lui permettant finalement d’accéder à la position sociale qu’il occupe aujourd’hui, une place stable, assurée et valorisée au sein d’une catégorie sociale dominante. Il est rédigé du point de vue de l’ancien étudiant qui a vu combien cette sélection est cruelle pour ceux qu’elle rejette comme pour ceux qui n’ont même pas la possibilité de s’y présenter, et combien elle est tout sauf objective et juste. Alors, pourquoi écrire ? Pour ramener les gagnants de ce jeu méritocratique à plus d’humilité ? Peut-être, mais celui qui écrirait avec ce seul objectif risquerait de voir ses espoirs déçus. Plus important, en revanche, est d’écrire pour tenter de contribuer à l’élaboration d’outils permettant de donner les moyens d’une autodéfense intellectuelle à ce

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