L’espace infirmier
131 pages
Français

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Description

S’appuyant sur plusieurs dizaines d’entretiens et près de 3000 questionnaires, les auteurs dressent un portrait totalement inédit de la profession qui rompt avec son apparente homogénéité. Ils révèlent l’existence d’un espace infirmier fortement différencié et hiérarchisé, dans lequel les différents points de vue professionnels sont étroitement liés aux positions occupées. À l’heure où la profession se trouve confrontée à des enjeux majeurs (pénurie de personnel, vieillissement de la population, rationalisation des soins, académisation des formations et développement de la recherche), ce livre constitue un outil de compréhension précieux pour tous les professionnels de santé et les étudiants. En mobilisant la théorie des champs de Pierre Bourdieu, il contribue plus largement au renouvellement de l’analyse sociologique des professions.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 9
EAN13 9782889500536
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0120€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Éditions Livreo-Alphil, 2020
Case postale 5
2002 Neuchâtel 2
Suisse
 
 
 
www.alphil.ch
 
Alphil Diffusion
commande@alphil.ch
 
 
ISBN papier : 978-2-88950-051-2
ISBN EPUB : 978-2-88950-053-6
 
 
Publié avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique.
 
Les Éditions Alphil bénéficient d’un soutien structurel de l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020.
 
Illustration de couverture : composée à partir d’une image issue de Shutterstock
 
Couverture, maquette et réalisation : Nusbaumer-graphistes sàrl, www.nusbaumer.ch
 
Responsables d’édition : Anne-Caroline Le Coultre, Marie Manzoni


Le réel n ’ est jamais « ce qu ’ on pourrait croire » mais il est toujours ce qu ’ on aurait dû penser.
Gaston Bachelard


Introduction 1
À en juger par leur nombre, les infirmières 2 forment le pilier des systèmes de santé des pays occidentaux. Avec environ neuf infirmières pour 1 000 habitants, les pays de l’OCDE comptent ainsi près de trois fois plus d’infirmières que de médecins (OCDE, 2017) 3 . Si la croissance continue des effectifs infirmiers depuis 1960 est étroitement liée à celle du secteur public (E LZINGA , 1990), elle s’explique aussi par le vieillissement de la population qui entraîne une rapide progression de l’emploi dans le système de santé (OFS, 2007) 4 .
Cet accroissement des effectifs s’accompagne d’un double mouvement de différenciation de la profession : horizontal d’une part, avec la multiplication des secteurs extrahospitaliers ; vertical d’autre part, avec la mise en place d’une hiérarchie soignante propre (F ERONI & K OBER -S MITH , 2005) et le processus d’académisation des formations aboutissant à de nouvelles spécialisations, tant dans le domaine clinique que dans celui de la recherche. Ce double mouvement de différenciation est particulièrement marqué en Suisse romande. Les six écoles de soins infirmiers 5 qui y délivrent depuis 2002 un diplôme de niveau bachelor sont le fruit d’un long processus historique de laïcisation et d’académisation (D ROUX , 2000). Cette évolution s’est poursuivie avec l’ouverture, en 2009, de filières master et doctorat à l’Université de Lausanne 6 . À ces changements rapides qui touchent la formation s’ajoute un très fort mouvement d’externalisation de certaines prises en charge jusqu’ici assurées par l’hôpital, notamment en ce qui concerne le vieillissement et les maladies chroniques (J ACCARD  R UEDIN , W EAVER , R OTH & W IDMER , 2009), ce qui tend à renforcer le processus de différenciation de la profession avec une multiplication du nombre de postes extrahospitaliers. Au total, la différenciation de la profession et le développement des activités de recherche par les infirmières sont ainsi plus marqués en Suisse romande que dans d’autres pays qui, comme la France, connaissent un développement académique de la formation moins avancé 7 .
Ce double mouvement de différenciation entraîne une multiplication des différentes positions repérables au sein de la profession et, partant, est susceptible d’augmenter les tensions liées à l’identité soignante, tiraillée entre les trois rôles que sont la spécialisation/technique, la polyvalence/relation et la coordination/interprofessionnalité. On sait en effet que cette tension, qui peut engendrer un « malaise structurel » au niveau individuel (D UBET , 2002) ou des tensions entre soignantes au niveau des collectifs de travail (A CKER , 1995 ; F ERONI & K OBER , 1995 ; V ÉGA , 1997), peut aussi s’incarner dans les différentes positions repérables au sein de la profession, avec notamment les oppositions entre secteurs hospitaliers et extrahospitaliers (D E M ONTLIBERT , 1980), « lents » et « rapides » (D OUGUET & V ILBROD , 2007) ou encore féminins et masculins (P ICOT , 2005). L’analyse de la variation des définitions de la pratique soignante en fonction des différentes positions occupées s’avère d’autant plus importante que ces positions sont en voie de multiplication et de distanciation les unes par rapport aux autres. C’est donc à la question générale de la relation entre les positions qu’occupent les infirmières au sein d’une profession hautement différenciée d’une part, et leurs prises de position (représentations et pratiques) du métier d’autre part, qu’entend répondre cette recherche. Bien qu’elle soit évoquée dans certains travaux portant sur la profession, cette question n’a pas encore fait l’objet d’une analyse systématique à notre connaissance.
La recherche d’une correspondance entre positions et prises de position implique une double exigence, théorique et méthodologique. Sur le plan théorique, elle nécessite un cadre conceptuel capable non seulement d’embrasser l’ensemble des secteurs de la profession infirmière, mais aussi d’en restituer les enjeux. Parce qu’elle permet de saisir de manière simultanée l’ensemble des positions d’une profession donnée, la théorie des champs de Pierre Bourdieu nous semble des plus pertinentes. En insistant sur les rapports sociaux qui relient et opposent les occupants des différentes positions, elle permet en effet de penser ensemble l’unité et la diversité, et ainsi d’analyser les relations structurales qui, tout en intégrant les interactions de face à face, règlent aussi les rapports qu’entretiennent des individus déterminés par les positions objectives qu’ils occupent les uns relativement aux autres au sein de la profession.
Sur le plan méthodologique, notre approche structurale exige d’analyser l’ensemble des positions repérables au sein de la profession à l’échelle d’une aire géographique donnée. C’est ce que nous avons réalisé en menant des entretiens avec des infirmières exerçant en Suisse romande, puis en distribuant un questionnaire à un échantillon représentatif de cette population. Les résultats montrent que la profession infirmière est segmentée en un ensemble de positions auxquelles sont associées des représentations et pratiques spécifiques s’agissant de la définition légitime des soins, de la nécessité de développer un savoir propre ou encore du positionnement à adopter face aux médecins.
Ce livre s’adresse aussi bien aux sociologues, aux infirmières, aux étudiantes et étudiants en soins qu’aux responsables politiques. Les lecteurs sociologues trouveront une originalité dans l’approche théorique, qui consiste à mobiliser la théorie des champs pour l’analyse d’un espace professionnel fortement féminisé et traditionnellement dominé. Cette option ne va pas de soi, notamment parce que, en tant que théorie du pouvoir, la théorie des champs est habituellement mobilisée pour l’étude de microcosmes fortement masculinisés situés dans les régions supérieures de l’espace social (L AHIRE , 2001). Les infirmières y trouveront une description fine des différentes facettes de leur métier ainsi qu’une approche alternative aux représentations souvent homogénéisantes de la profession. En mettant en évidence non seulement la diversité, mais aussi les inégalités qui la caractérisent, notre perspective permet de mieux identifier les enjeux actuels de la profession sur la base desquels des stratégies professionnelles visant davantage d’autonomie et de reconnaissance pourraient être formulées. Les étudiantes et étudiants en soins trouveront dans ce livre une véritable « photographie » de la profession qui leur permettra d’effectuer des choix de carrière mieux renseignés. Au-delà des informations relatives aux différents secteurs d’activité, la description et l’analyse des enjeux et des mécanismes de pouvoir leur permettront de développer un regard à la fois critique et réflexif sur leur future pratique. Quant aux responsables politiques, ils trouveront dans ce livre tant des données factuelles inédites sur la profession, que matière à réflexion concernant son avenir.
L’ouvrage est organisé autour d’une analyse de la structure de ce que nous appelons l’« espace infirmier », présenté dans la première partie. La description de cet espace est précédée d’un bref historique qui montre comment la profession, après avoir connu une domination religieuse jusqu’à la fin du XIX e  siècle, puis une domination médicale durant le XX e  siècle, cherche aujourd’hui à s’émanciper notamment par le développement d’une discipline scientifique spécifique – les sciences infirmières  – qui propose des connaissances produites par et pour les infirmières. Dans la deuxième partie, nous identifions quatre fractions d’infirmières : les « dominantes médicales », les « dominées médicales », les « élites infirmières » et les « hétérodoxes ». Occupant des positions distinctes au sein de la profession, les infirmières de ces quatre fractions se caractérisent par des conceptions spécifiques de leur pratique. Dans la troisième partie enfin, nous proposons d’analyser les valeurs fondatrices de la profession, telles que les motivations de type humaniste ou encore l’opposition entre les dimensions « technique » et « relationnelle » des soins. Formant un véritable « ethos infirmier », ces valeurs sont analysées en regard de la diversité de la profession mise en évidence dans les deux premières parties.


1 Les résultats présentés dans cet ouvrage ont pour partie été publiés sous différentes formes. Voir L ONGCHAMP & T OFFEL (2016), L ONGCHAMP , T OFFEL , B ÜHLMANN & T AWFIK (2016), T OFFEL & L ONGCHAMP (2017), L ONGCHAMP , T OFFEL , B ÜHLMANN & T AWFIK (2018), T OFFEL (2018), T OFFEL (2020).

2 Afin d’alléger la formulation, et en tenant compte de la nette majorité féminine de la profession, le mot « infirmière » désigne également le masculin dans l’ensemble du texte.

3 OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques.

4 OFS : Office fédéral de la statistique.

5 Haute École de Santé Vaud ; Haute École de Santé La Source ; Haute École de Santé F

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