L Enfant du silence
184 pages
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L'Enfant du silence , livre ebook

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Description

Maladie mentale, schizophrénie, délire... Il est des mots qui font peur parce que l’on ne sait pas exactement ce qu’ils recouvrent. Alors, on évite de les prononcer, on isole ceux qui en souffrent et ceux qui les accompagnent. Dans ce récit, Françoise Salomon raconte ce qui se passe réellement au sein de ces familles meurtries, derrière les murs des hôpitaux et dans le cœur des malades. Puisse ce témoignage briser enfin la terrible loi du silence qui emprisonne les schizophrènes au fond de leur solitude. Membre de l’UNAFAM (Union nationale des Amis et Familles de Malades mentaux), Françoise Salomon s’inspire ici de son expérience et des nombreux témoignages qui lui ont été confiés.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 1998
Nombre de lectures 3
EAN13 9782738161338
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

©  ODILE JACOB, MAI  1998 15, RUE SOUFFLOT , 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6133-8
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
À toutes les familles éprouvées par la maladie psychique de l’un des leurs. À Stanislas, À Julien.
Note de l’auteur

Les grands aventuriers des temps modernes seraient les parents, dit-on. Mais qui s’avise de raconter leur aventure ? Elle n’est ni originale, ni sensationnelle, ni surtout nouvelle. Pour Bernard et Marianne, pourtant, ce n’est pas seulement, comme des milliers, des millions d’autres couples, le prolongement naturel de leur amour et de leur mariage. C’est devenu une plongée dans un univers qu’ils ne soupçonnaient pas : celui de la maladie mentale.
Marianne a lu et relu les ouvrages les plus divers qui traitent de cette question, à laquelle on a donné, selon les époques et les civilisations, des réponses partielles et contradictoires. Il est inutile d’en rappeler la teneur, car c’est avant tout de leur aventure à eux qu’il s’agit ici, et de celle de Julien, leur fils. Ils n’ont rien à faire des théories. Peu leur importe ce que l’histoire a retenu.
Ce qui compte pour eux, ce qu’il faut que Marianne dise ici, c’est la pauvre vérité quotidienne, sans grandeur, sans héroïsme, sans cesse menacée dans son fragile équilibre, sans cesse placée sous le signe de l’angoisse, de la culpabilité, de la solitude.
Il faut qu’elle raconte. Trop longtemps, elle s’est tue. Trop longtemps, elle a cru, dans l’isolement où notre société confine ceux qu’elle considère comme des réprouvés, être seule avec Bernard à connaître cette épreuve. Trop long temps, ils se sont heurtés au silence des uns, aux commentaires insupportables des autres, aux regards qui se détournent, au mépris, à une vague pitié.
Quand on s’est intéressé à eux, il était bien trop tard. On les a interrogés comme on questionne des coupables, comme si, tous les trois, ils avaient mérité leur malheur. La seule solution était alors de se taire, de se replier sur soi-même. Bernard le père s’est tu. Julien le fils s’est tu. Marianne la mère s’est tue. Des silences de mort, car le silence est parfois un tombeau.
Ni Bernard ni Marianne ne se sont habitués : on ne peut pas s’habituer au malheur de son enfant. Marianne, quant à elle, n’a pas voulu non plus se résigner. Peut-être la fatalité existe-t-elle. Peut-être aussi la dignité humaine consiste-t-elle à lui résister le plus longtemps possible. On a toujours le temps de devenir un sage quand l’irréparable est accompli. En attendant, il faut lutter. Pourquoi la maladie mentale serait-elle la seule devant laquelle il faudrait baisser les bras ? Pourquoi cet ostracisme dont elle est l’objet ? Au nom de quelle loi morale ou sociale condamne-t-on plus ou moins implicitement ceux qui en sont atteints ?
Sans doute, les esprits ont évolué : on n’ose plus guère montrer le « fou » avec un entonnoir sur la tête ou la main dans son giron, à la manière de Napoléon. On ne le représente plus ficelé sur un lit, secoué de spasmes terrifiants, l’écume aux lèvres et l’œil révulsé. L’image s’est assagie et la chimie a fait des miracles. Disons que la science a fait des progrès. Mais on est encore bien loin de soupçonner l’humble vérité quotidienne dont Marianne veut vous parler.
Pendant des années, elle n’a fait que murmurer, en écrivant au jour le jour son journal, aux côtés de Julien. Un peu n’importe comment, car elle ne savait pas… Désormais, l’expérience l’a instruite. Désormais, elle sait qu’il faut parler, qu’il faut en parler avec ceux qui traversent les mêmes épreuves. Ne serait-ce que pour les aider à dénouer – si peu que ce soit – l’angoisse qui les étrangle et pour leur dire qu’ils n’ont pas à avoir honte, à se cacher et à porter seuls le poids de leur détresse.
Le sens des convenances

Lorsque Julien est né, en septembre 1963, neuf mois jour pour jour après leur mariage, Bernard avait vingt-cinq ans et Marianne vingt-sept. Ils commentèrent en riant : « Il a à la fois le sens des convenances et le sens de l’humour ! »
Après une grossesse assez difficile, pendant laquelle Bernard veilla sur sa femme avec sollicitude, cette naissance très attendue et désirée fut accueillie avec joie par les deux familles.
Tout s’était bien passé. Marianne, après avoir sorti d’elle-même son enfant en le saisissant à tâtons sous les bras, sur les conseils de la sage-femme, l’avait brandi bien haut pour inspecter sa création et, très satisfaite de son examen, avait déclaré à sa belle-mère qui était présente : « Voilà, Mamie : je vous donne votre petit-fils ! » Bernard venait de partir déjeuner dix minutes avant. Il allait être midi, et on ne badine pas avec les heures de repas, quoi qu’il arrive.
On avait décidé qu’elle le nourrirait. La première nuit, Bernard, indigné par les piaillements du bébé, s’était planté au pied du minuscule berceau et avait admonesté son fils avec un sérieux imperturbable, qui avait beaucoup fait rire Marianne. Elle était heureuse, sans arrière-pensée aucune. Lui se montrait plus réticent. Il n’avait jamais vu de bébé de près et semblait choqué qu’une aussi petite chose puisse faire autant de bruit et tenir autant de place. Il ne l’aurait touché pour rien au monde et disait, à qui voulait l’entendre, que « ça » ne commencerait à l’intéresser que quand « ça » parlerait. Pour l’instant, « ça » n’avait pas grand-chose d’humain.
Au retour à la maison, Marianne constata avec une certaine appréhension ce manque d’intérêt, qui cachait difficilement une sorte d’hostilité notamment au moment des tétées. Finalement, cet enfant dont elle s’occupait régulièrement toutes les trois heures était bien encombrant. Elle s’efforçait de tout concilier, mais chacun sait la discipline de vie exigée par un nouveau-né. Sa mère lui avait maintes fois répété qu’un enfant « bien réglé » est un enfant sage et sans histoires. Pénétrée de ces excellents principes, elle accomplissait ce qu’elle estimait être son devoir et une garantie d’équilibre pour eux trois.
Au bout d’un mois, ils purent le mettre pour la nuit, dans la deuxième pièce de l’appartement, hors de leur propre chambre. Marianne avait ralenti le rythme des tétées. Le repas du soir était tardif, ce qui ne gênait pas Bernard, habitué depuis sa vie d’étudiant à se coucher tard. En revanche, il n’appréciait guère les réveils en fanfare dès six heures du matin ! « Il peut bien attendre encore un peu ! » grognait-il quand Julien commençait à s’époumoner pour de bon.
Marianne pensait vaguement que les choses s’arrangeraient, qu’il y avait une période d’adaptation bien naturelle à passer. Elle faisait confiance au bon sens de son mari, sans s’apercevoir que le bon sens ne fait pas bon ménage avec l’instinct de possession. Or c’était l’une des composantes non négligeables de l’amour que lui portait Bernard.
Comme toutes les mères, elle était fière de son enfant, mais sans aucune sentimentalité un peu sotte. Instinctivement, dès l’accouchement, elle avait eu la certitude qu’elle venait de mettre au monde un être humain à part entière. Il ne lui appartenait pas et il avait déjà une personnalité unique qu’il fallait respecter. Bien sûr, elle le trouvait beau, mais ni plus ni moins que les autres enfants. Ce n’était pas la « merveille du monde », comme dit Pagnol. Très rapidement, elle eut l’intuition aiguë qu’il était différent des autres et cela suffisait à la ravir. « J’ai un bébé qui a déjà sa personnalité », se disait-elle, en parcourant les allées des espaces verts où d’autres jeunes femmes poussaient des landaus garnis de dentelles et de broderies impeccablement ordonnées, où dormaient des nourrissons immobiles et beaux comme des poupées.
Le landau de Julien était toujours, quoi qu’elle fît, un fouillis inextricable de couvertures, de linge froissé, dans lequel l’enfant pédalait avec énergie avant de s’endormir toujours brièvement.
Très tôt, il manifesta un trait de caractère singulier. Il se mettait à hurler avec une fureur qu’elle parvenait mal à calmer. Marianne se souvient encore d’une promenade. Elle avait voulu l’emmener dans un beau jardin public assez éloigné de leur appartement. Au retour, il s’était mis à crier avec une violence inexplicable, malgré toutes ses tentatives pour essayer de l’apaiser. Elle était rentrée au plus vite, sous le regard désapprobateur des passants. Elle se disait qu’il devait être malade. Il s’étranglait littéralement de fureur. Elle avait pris sa température, vérifié que rien dans ses vêtements ne pouvait lui faire mal et lui avait donné son biberon. Il l’avait bu normalement et s’était endormi paisiblement. Elle était fort perplexe…
Un soir, peu après la naissance de Julien, elle avait vu à la poissonnerie une jeune femme qui faisait paisiblement ses achats, alors que son enfant de deux ans environ se roulait sur le sol mouillé en poussant des hurlements. La mère, impavide, payait ses achats sans manifester la moindre impatience ni la moindre gêne. Quand elle eut fini, toujours le même sourire aux lèvres, elle essaya de mettre l’enfant sur ses pieds et, comme le petit hurlait de plus belle en se tortillant par terre comme une anguille, elle l’attrapa par une manche et le traîna derrière elle comme un paquet. Marianne s’était juré qu’une telle scène ne se produirait pas avec elle.
Aussi, le lendemain de cette promenade mémorabl

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