L aigle à trois têtes
55 pages
Français

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Description

Jean, mon ami, mon amour, mon dieu, le théâtre nous a rapprochés, le cinéma nous a unis. Certes, nos amours ont été orageuses. En revanche, nos talents respectifs se sont aimantés pour éclater dans quelques œuvres majeures où le merveilleux et le tragique s’entremêlent. Ainsi, c’est avec la même fougue que tu as aimé la femme de ton oncle jusqu’à en mourir ; que tu as effrayé Belle sous le masque hideux de la Bête. ; que tu as poignardé une reine qui te prenait, jeune anarchiste, pour le roi tant la ressemblance était frappante. Durant des années, toi et moi avons été un aigle à deux têtes. Or, avec l’arrivée de Paul, notre aigle est devenu tricéphale. Il y avait une tête de trop. Elle devait tomber : ce fut la mienne.

Informations

Publié par
Date de parution 16 septembre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9791029003523
Langue Français

Extrait

L’aigle à trois têtes
Du même auteur :
A NTINOÜS ET H ADRIEN Histoire d’une passion
L’Harmattan, Paris, 2004
L AWRENCE D ’A RABIE Un mystère en pleine lumière
L’Harmattan, Paris, 2011
Roselyne Duprat
L’aigle à trois têtes
L'Eternel retour















Les Éditions Chapitre.com
123, boulevard de Grenelle 75015 Paris
Faire l’amour devient si beau
Que cette beauté te ressemble
Et nos corps confondus ensemble
Ont l’air sculptés sur un tombeau
Jean COCTEAU
Les Chevaliers






























© Les Éditions Chapitre.com, 2015
ISBN : 979-10-290-0352-3
Dans l’enfance, j’ai contracté le mal rouge et or. Ce mal, qui provoque d’exquises tortures, ne m’a plus quitté. Mais si le poète apprécie la solennité du lieu, le metteur en scène, en revanche, préfère accéder au théâtre par l’entrée des artistes. Au fil des années, cela est devenu un rite. Ce contact direct avec les planches, encore plongées dans un clair-obscur poussiéreux où les décors restent une énigme, me fascine bien plus que les rouges fanés et les ors ternis qui m’émerveillaient jadis. La magie se renouvelle à chaque représentation lorsque, depuis les coulisses, j’aperçois la rampe qui s’embrase. Les trois coups retentissent dans une salle soudain obscure. Puis le rideau se lève : l’ombre et la lumière s’unissent enfin devant un public fébrile. C’est alors que l’angoisse commence à m’étreindre.
En ce bel après-midi de septembre, j’échappe à la canicule en franchissant les portes du Théâtre de l’Atelier. Une trouée lumineuse rompt le mystère des ombres : on répète Jules César . Je profite de la pose pour m’aventurer au milieu des décors. Un long voile irisé, tombant des cintres, dissimule une statue renversée. Intrigué, je m’approche et découvre avec stupeur derrière cette brume scintillante un jeune dieu à demi nu qui parait endormi. Tout son être irradie cette flamme qui manque à ma vie. D’une beauté sculpturale, la chevelure ondulante, il représente sans conteste le héros mythologique que je cherchais. A-t-il deviné ma présence ? L’inconnu sort un instant de sa torpeur et ouvre les yeux. Un éclair bleu m’aveugle. J’ai la sensation délicieuse d’être encore sous l’emprise de l’opium tant je baigne dans l’irréalité. Puis, se croyant peut-être victime d’une hallucination, celui-ci referme les paupières et réintègre ses rêves. Je peux ainsi admirer la perfection de ce corps offert à mes regards indiscrets. Sa vue stimulant mon imagination, j’invente aussitôt des rôles à sa mesure ou plutôt à sa démesure.
La répétition reprenant, une voix s’élève pour appeler le bel endormi. J’apprends qu’il se prénomme Jean. Quelle étrange facétie du destin ! Je décline aussitôt ce nom qui est le reflet du mien : Jean, Jeannot, Janus, le dieu aux deux visages dont l’un restera dans mon ombre et l’autre sera un jour exposé, je n’en doute pas, aux feux de la rampe.
Subitement, mon héros apparaît. Grand, athlétique, il semble coulé dans le bronze. C’est alors que le son bizarre de sa voix vient briser net mon rêve. Car cette voix ingrate, éraillée, fluette, qui écorche mes oreilles ne correspond guère à un physique que j’imaginais doté d’une belle voix mâle. Néanmoins, sa splendeur se distille en moi comme un poison. Je comprends qu’il va me posséder, m’anéantir, que je ne pourrai plus me passer de lui comme d’une drogue. Cette pensée m’affole parce que je suis timide et que je ne sais comment l’aborder. Je compte sur ma notoriété pour le troubler si tant est que cette divinité, sûre de son pouvoir de séduction, soit encore impressionnable. Lorsque nos regards se rencontrent, j’ai l’impression désagréable qu’il ne réalise pas vraiment qui je suis. Cela blesse mon amour-propre, mais je lui pardonne volontiers cette insolence. Je devine en lui un tempérament fougueux qui le pousse à s’exalter, sans chercher à interpréter les signes qui l’entourent. Il ne se doute pas que j’ai l’intention de lui ouvrir les yeux et de posséder son âme.
Le miroir me regarde, m’observe, me scrute. Il n’aime guère l’image que je lui renvoie de ma personne où tout n’est que chaos là où il eût fallu une discipline qui m’eût fait approcher de la perfection. La révolte intérieure qui me tourmente depuis l’adolescence se traduit par une chevelure indomptable, des dents qui se bousculent dans une bouche d’où les mots jaillissent avec aisance alors qu’écrire m’est si malaisé. Bref, un visage auquel des traits coupants, acérés comme des lames, confèrent une arrogance dont je me sens coupable parce qu’elle ne correspond guère à ma vraie nature. L’ensemble offre un étrange désordre que Modigliani s’est plu à peindre. Je comprends que cette vision puisse rebuter mon miroir d’autant qu’au réveil, lorsque je lui apparais nu, son regard impitoyable reflète le tronc sec et noueux d’un vieil arbre épuisé. Je pense à Jean, à sa beauté solaire que les miroirs doivent se plaire à réfléchir et je me sens tout à coup misérable.
Or, quelques salutaires bouffées d’opium suffisent pour me réconforter. Ma créativité reprend aussitôt le dessus, car mon esprit n’attend pas que je le sollicite. Les idées m’assaillent à l’instant où je voudrais me soustraire à leur emprise. Je prends donc des notes à la hâte sur mes genoux parce que les tables, qui servent de contact avec les défunts, m’effrayent. Je me méfie de l’invisible. J’ai trop peur, en écrivant sur une table, qu’une entité s’empare de ma plume et me détourne de mon but. Il en est de même pour le dessin : c’est encore sur mes genoux que le crayon ôte au papier sa virginité. En ce moment, un projet me préoccupe. Je dois trouver un théâtre pour monter ma nouvelle pièce Œdipe-Roi , et fixer mon choix sur le comédien qui tiendra le rôle. Je pense à Michel Vitold. Une audition est prévue prochainement. Je m’arrangerai pour que Jean en soit informé. S’il correspond au personnage, il aura le rôle.
Décidément, les dieux me favorisent. Ma pièce se jouera au Théâtre Antoine, et Jean est tombé dans le piège que je me suis plu à lui tendre.
Le jour de l’audition, les comédiens se montrent attentifs aux explications que je leur donne sur la manière dont chacun doit interpréter son rôle. Parmi eux, un jeune homme blond boit littéralement mes paroles. Je fais semblant d’ignorer sa présence, mais je sens mon cœur battre la chamade. Lorsque son tour arrive, je sais que je viens de rencontrer Œdipe. J’annonce à Jean qu’il a décroché le rôle. Celui-ci laisse éclater une joie presque enfantine. Or, cette décision crée un tollé parmi les autres comédiens qui crient à l’injustice parce que Jean vient du cours Dullin. Pour calmer le jeu, je décide que Vitold jouera le rôle principal et que Jean fera le chœur. Le calme revient aussitôt, et, contrairement à ce à quoi je m’attendais, sa joie illumine encore son visage.
Je crois que peu lui importe le rôle, pourvu qu’il soit dans ma pièce. Malgré son assurance, je sens que je l’intimide car il n’ose me regarder et encore moins m’adresser la parole. Il ne sait pas encore qu’il vient de faire un premier pas vers moi.
C’est une catastrophe. Je ne dors plus. Je ne m’alimente plus. Jean occupe toutes mes pensées. Je le revois encore sur scène, où, presque nu, le corps entouré de bandelettes et figé comme une divinité égyptienne, il commente l’action de sa voix singulière. Il faut que cet enfer cesse. L’opium ne suffit plus à me calmer. Il faut qu’il soit là, devant moi, près de moi, tout près… Or, une fois de plus, la chance semble me sourire. Je devais monter une nouvelle pièce au Théâtre de l’Œuvre avec Jean-Pierre Aumont dans le rôle principal. Celui-ci s’est désisté, trop accaparé par le cinéma. L’opportunité de faire venir Jean chez moi est donc inespérée. Un soir de représentation, je me précipite dans les coulisses du Théâtre Antoine où j’attends avec impatience que le spectacle finisse. C’est la première fois que je vais l’aborder. Lorsqu’il m’aperçoit, Jean m’adresse un bref salut mais il n’ose s’arrêter. Je m’approche de lui. Malgré son succès, il conserve une timidité de débutant que j’avais prise pour de l’arrogance. Son regard interrogateur s’abîme dans le mien Dévoilant le mystère de ma présence, je lui annonce que je viens lui proposer le rôle principal de ma nouvelle pièce Les Chevaliers de la Table Ronde . Interloqué, il accepte en

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