Histoires extraordinaires de patients presque ordinaires
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Histoires extraordinaires de patients presque ordinaires , livre ebook

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Description

Sept patients racontent leur histoire, sous la plume de leur psychiatre. Sept patients presque ordinaires. Sept personnes extraordinaires… Thierry et son séisme schizophrénique, Julien le rugbyman bipolaire, Alissa l’adolescente qui souffre d’anorexie mentale, l’ex-futur matador Carnicerito, qui a tellement soif de reconnaissance et se noie dans l’alcool, Barthélemy le professeur de piano en crise de milieu de vie, Aimée, qui s’apprête à porter éternellement le deuil de l’époux idéal, Violette, prisonnière de sa dépression chronique. Au travers de leur parcours, rapporté avec chaleur et humanité, c’est de nous que parle l’auteur, et c’est à nous qu’il s’adresse. Sommes-nous si différents de Thierry, Alissa et les autres ?Joël Pon, médecin psychiatre, consulte à Toulouse et exerce à la Clinique de Montberon.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 janvier 2005
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738188014
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0850€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Odile Jacob, janvier 2005
15, rue Soufflot, 75005 Paris
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-8801-4
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Aux femmes que j’aime  (de 3 à 83 ans…).
Prologue

Un peu chaque jour se tisse notre histoire, avec ses moments de joie et ses moments de peine, ses instants de soleil et ses périodes d’ombre. Une vie est un long chemin, offrant des paysages variés. Parfois, de manière prévisible ou inattendue, un passage se révèle difficile, douloureux. La souffrance, compagne malveillante, impose sa présence le temps d’un bout de chemin. Alors tout vient à changer. Le ciel s’obscurcit, l’âme s’assombrit. La douleur infiltre tous les plis de l’être. Il faut marquer le pas, faire la pause. Il faut, bon gré, mal gré, accepter un soutien, une aide passagère. Le pèlerin de Saint-Jacques part bien avec son bâton. Il faut aller expliquer sa douleur, explorer sa souffrance. Il faut raconter le chemin parcouru, décrypter le labyrinthe de son âme. Il faut s’asseoir un instant et croiser un regard pour trouver une oreille.
C’est dans ce « colloque intime et singulier », selon le vocable consacré, que le psychiatre est le plus souvent amené à proposer sa pratique et à tenter d’exercer son art.
Chacun alors, patient impatient de retrouver le chemin de la guérison, voire de l’apaisement, dans l’espace de cette sécurisante intimité, verbalise ses problèmes, expose ses maux, raconte ses peines et ses chagrins. Chacun a son vocable, adapté à sa douleur. Chacun a son vécu, forgé par son histoire. Et les douleurs de l’esprit sont diverses et multiples, et le répertoire des souffrances de la psyché est conséquent. Car les symptômes s’organisent, se complètent et se répondent pour dessiner le contour d’un mal qui prend dès lors le nom d’une maladie, mystérieuse ou galvaudée. La dépression, maladie d’une société, la schizophrénie, séisme d’une personnalité, l’angoisse, marqueur d’un siècle. Bien d’autres encore.
Chaque stigmate tente de trouver son étiquette. Chaque souffrance tente de trouver son cautère. Chaque histoire cherche sa résilience. La vie cherche à reprendre son cours.
Mais, dans cet orage de l’intériorité, l’œil exercé du psychiatre reste quelquefois sensible à une autre dimension de l’épisode. Sous la haire des symptômes qui font la souffrance, sous l’architecture d’une personnalité qui s’arc-boute sous les assauts du mal, se révèle parfois une âme noble et fière, une troublante humanité. Cette essence mystérieuse d’un être illumine son histoire, transcende ses combats, auréole ses déroutes. Indéfinissable magie cachée dans les cœurs les plus simples, elle est toujours un recours puissant pour faire d’une crise une sérénité, d’une folie une sagesse.
Permettez-moi de vous présenter ici quelques portraits de personnages hauts en couleur, hauts en douleurs, qui vont vous raconter leur histoire.
Titi et sa schizophrénie paranoïde qui le fait sortir du sillon d’une réalité qu’il ne décrypte plus pour aller se diluer dans les volutes de l’imaginaire et d’un délire surréaliste. Titi et ses images effrayantes de l’homme : un père indifférent, un gendarme pas très conciliant, un juge impénitent. Titi et ses images ambivalentes de la femme, une mère soumise, une « amante » par méprise. Titi et sa toison dix-huitième sur fond de « sfumato » haschichique…
Jujube, masque vénitien moitié lunaire, moitié solaire, moitié ombre, moitié lumière. C’est la pulsation bipolaire de la vie qui choisit les extrêmes. Jujube est bipolaire dans son âme et dans sa vie. Et ce balancier maudit s’ancre et s’attache dans sa vie affective où il répercute chaque révolution. Et Jujube subit, et les variations de ses états d’âme, et les fluctuations de sa vie. Il a revêtu le maillot de l’équipe locale pour se présenter à vous dans une attitude martiale.
Alissa, jeune fille diaphane et éthérée. Alissa, qui souffre d’anorexie mentale, tente de fuir son corps et les attributs de sa féminité pour se réfugier dans les espaces de l’intellectualité. Pour que l’esprit tue la matière. Pour que la rationalisation tue la raison, tue la pulsion. Alissa et son combat, quand une partie d’elle-même qui veut vivre doit étrangler une autre partie d’elle-même qui veut mourir. Alissa est un Modigliani aux yeux vides et tristes.
Carnicerito a soif, alors il boit. Bêtement, comme tous les buveurs excessifs. Mais il a surtout soif de reconnaissance. Soif d’être reconnu, même s’il a cherché d’abord à être connu. Il a soif du regard qui se pose sur lui pour lui dire qu’enfin il existe. C’est là la recherche mythique de son Graal, calice au fond duquel il retrouve son image, son histoire, son lignage. Carnicerito pose, magistral, un coude en avant, drapé dans son habit de lumière.
Aimée porte l’habit noir et sévère du deuil. D’un double deuil. Deuil réel d’un mari adoré. Deuil impossible d’un mari abhorré. Mais Aimée aime et sait pardonner dès qu’elle sait qu’elle a toujours été aimée.
Barthélemy et sa crise du milieu de la vie. Barthélemy, tiraillé entre ses deux âges, déchiré entre les deux mâchoires de la culpabilité. Trop seul et trop fusionnel à la fois. Mais aussi l’histoire de trois hommes, un père, un fils, un professeur de piano. Histoire de trois problématiques qui se rencontrent et se confrontent avant de se réconcilier sur le clavier d’un piano. Scène de la vie de province.
Violette, nimbée de tons parme et violets, fleure bon la campagne et la violette. Elle respire le malheur et la tragédie. Violet, couleur du deuil et de la dépression. Car les portraits d’hommes ne tiennent pas sur la toile de sa vie. Scènes de guerre et de combats. Et les champs de bataille emportent ses amours : un amant qui ne saura jamais qu’il est père, un fils qui meurt trop tôt et ne pourra jamais devenir père. Un père qui meurt au combat sur la terre de son jardin. Mais la nature morte n’existe pas car la nature ne meurt jamais. Et Violette est une bonne nature.
Titi

… Derrière les décors
De l’existence immense, au plus noir de l’abîme
Je vois distinctement des mondes singuliers
Et, de ma clairvoyance, extatique victime,
Je traîne des serpents qui mordent mes souliers.
Et c’est depuis ce temps, que pareil aux prophètes
J’aime si tendrement le désert et la mer.
Que je ris dans les deuils et pleure dans les fêtes
Et trouve un goût suave au vin le plus amer ;
Que je prends très souvent les faits pour des mensonges
Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous.
Mais la voix me console et dit : « Garde tes songes
Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous. »
« La voix ». Les Fleurs du mal
C HARLES B AUDELAIRE

« Ça fait toc… toc… toc… en pleine nuit, comme ça : toc… toc… ça m’ fout les boules, j’ te jure… ça doit être un os ! »… et quand il s’arrête de parler, la houppe de son menton remonte vers son nez et signe un vieux tic clownesque qui rehausse le personnage. Car c’est vrai que Thierry est un personnage. Éternellement vêtu, été comme hiver, d’un blouson et d’un pantalon en toile de jean, d’un T-shirt logoté qui fait tout au long de l’année, successivement et bénévolement, de la publicité pour Paul Ricard, le Conseil général, les Restos du Cœur ou les cigarettes Gauloises. D’éternelles baskets blanches complètent la tenue. Le visage est hâlé et buriné, signant ses longues déambulations pédestres. Une cicatrice sur l’orbite droite lui rappelle, chaque matin devant sa glace, les jours de galère et les nuits de folie. Un tic saccadé d’occlusion palpébrale agrémente et répond à sa coquetterie mentonnière et fait de sa verbalisation une symphonie trépidante, habitée et rythmée de ponctuations neuroleptiques. Un accent parisien traînant et nasonné décore la musique de son phrasé. Et, quand il se tait, d’imperceptibles refrains chantonnés mezza voce sourdent de sa bouche mi-close. De longs cheveux poivre et sel descendent en cascades crantées jusqu’à ses épaules et lui donnent des airs de « rocker vieille vague », mais certains équipiers de sa croisière psychiatrique ont préféré l’honorer de l’amical surnom de « Titi » ou d’« Apache » qui fait venir à chaque évocation un sourire déshabité et nirvanesque sur son visage. Oui, il a bien tout à la fois quelque chose de l’apache du Grand Canyon, d’un Gainsbarre de province et d’un Titi de Montmartre, Thierry.
« … Ouais ! un os ou autre chose, je n’ sais pas moi, y a tellement de choses bizarres dans la vie ! Ça lui permet de continuer de m’emmerder tranquillement, c’ con là ! »
Il parle comme cela de son père, Thierry. Il est comme ça, franc comme le bon pain, naturel comme le Candide et schizophrène comme beaucoup de ses copains d’aventures.
Son père dort sous son lit depuis un petit mois.
Enfin, c’est une image… Il y a de cela presque un mois, Thierry est allé, comme on l’y avait invité par convocation, au crématorium récupérer les cendres encore tièdes de son père qui venait d’être incinéré après qu’il eut choisi de mettre fin à ses jours. Et il y est allé, Thierry, tranquille dans ses baskets, toujours en chantonnant ses mélopées schizophréniques, avec sa démarche chaloupée, celle d’un Geronimo écrivant sa chevauchée autistique. Triste, ce jour-là ? Soulagé ? Pas exactement. Pas gai, peut-être, mais pas triste… ou un peu des deux à la fois, plutôt. Oui, c’est ça, un peu des deux à la fois. D’ailleurs, tout ce qu’il vit

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