Éclipse de lune au Yémen
148 pages
Français

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Éclipse de lune au Yémen , livre ebook

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Description

Une vallée douce, large d’à peine quelques centaines de mètres, enserrée de collines violacées, dénudées. Maillage dense des cultures irriguées aux saisons des crues, ponctué de hameaux où se pressent des maisons fortifiées en terre ocre. Nous sommes dans les hauts plateaux du Yémen, en plein pays tribal, non loin de la frontière avec l’Arabie Saoudite. Une femme, une ethnologue, qui y a séjourné à trois reprises, nous fait partager son approche de cette société rurale où le monde des hommes et le monde des femmes sont en apparence très cloisonnés. Presque sans bruit, elle nous amène au cœur de cette société arabe lointaine, au plus près, jusqu’à l’univers clos de ses hautes demeures. Ethnologue, Geneviève Bédoucha est directeur de recherche au CNRS. Ses travaux ont porté sur les rapports entre gestion des eaux et société dans le monde arabe dont elle est devenue une spécialiste.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 novembre 2004
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738178923
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , NOVEMBRE  2004
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-7892-3
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
À la mémoire de Laurent, mon frère, soudain le dialogue interrompu.
Ne bougeons plus ; laissons le temps se refermer comme une onde, comme une onde où l’on jette un caillou ; le trouble que nous avons fait en entrant s’écarte comme la ride de l’onde : laissons se refermer sur ce monde la surface égale du temps.
André GIDE , Amyntas.
Note sur la transcription

Pour une plus grande commodité de lecture, ethnonymes, anthroponymes et toponymes apparaissent en caractères romains, la graphie usuelle a été adoptée, le recours aux signes diacritiques réduit au minimum.
Les autres termes vernaculaires sont transcrits en italique lorsqu’ils surviennent une première fois, en caractères romains à leur récurrence, une transcription plus rigoureuse en est proposée.
Un glossaire des seuls termes utilisés à différentes reprises dans le texte est présenté en fin d’ouvrage. Afin de le rendre plus accessible aux non-arabisants, l’ordre alphabétique arabe n’a pas été retenu.
Les consonnes b , t , j , k , d , z , s , f , k , l , m , n correspondent à peu près aux consonnes françaises. Lorsqu’elles sont emphatiques, elle sont distinguées par un point souscrit.
Le qâf de l’arabe classique, occlusive postpalatale sourde emphatique, est réalisé comme occlusive postpalatale sonore dans les dialectes régionaux yéménites, notamment ceux des vallées du Nord dont il est question dans l’ouvrage (exemple : qabîlî se dit gabîlî, qât, gât, etc.).
Voici ce que représentent les autres consonnes :
’  : associé à une voyelle, attaque vocalique
th  : spirante interdentale sourde
ḥ  : spirante pharyngale sourde
kh  : spirante vélaire sourde (équivalant à la « jota » espagnole)
dh  : spirante interdentale sonore
r  : vibrante apicale
sh  : spirante prépalatale sourde (équivalant au « ch » français)
ẓ : spirante interdentale sonore empathique
ʿ : spirante pharyngale sonore
gh  : spirante vélaire sonore, un r grasseyé
h  : spirante laryngale sonore
w  : « u », consonne
y  : « y », consonne
La riche diversité des valeurs des voyelles n’a pas été prise en compte, seules les principales valeurs en apparaissent, a équivaut au a moyen français, e est entre é fermé et e moyen, u équivaut au « ou » fermé français.
â , î , û sont voyelles longues.
Ce qu’il aurait fallu dire

Sans doute me fallait-il tout ce temps, cette épaisseur de temps riche d’expériences de terrain diverses – trois à une décennie chacune d’intervalle – jusqu’à la dernière, si contrastée, qui, à mes yeux, vient donner pleinement son sens à celles qui l’ont précédée… Pour l’ethnologue, la distance n’est pas seulement celle qu’il tente d’avoir par rapport à son objet, elle doit être aussi celle, plus difficile encore, à laquelle d’ailleurs il peut s’intéresser ou pas, qu’il parvient ou pas à avoir par rapport à lui-même. Alors seulement se sent-il autorisé à écrire sur sa relation au « terrain ». Ce moment, lorsqu’il surgit et dans le même temps s’impose, diffère pour chacun.
De ce terrain mené durant les années 1970 dans l’oasis saharienne d’el-Mansûra, ce premier terrain vécu par tout ethnologue comme l’« initiation » qu’à la fois il redoute et dont il ressent fébrilement l’urgence, je n’ai pas tenu à proprement parler le journal. L’approche des autres, l’étonnement premier, les découvertes, le sentiment de solitude absolue qu’il peut parfois aussi ressentir, les désarrois, les interrogations, celle, terrifiante, qui peut l’étreindre, du sens de son exil et de l’intérêt de ce qu’il est venu chercher, les questions qui se bousculent, c’est tout cela le terrain à ses premiers moments. Terrain par lequel le chercheur sera tout entier accaparé, jour et nuit, pendant des mois, une année, parfois plus ; à l’occasion, l’incertitude réapparaîtra.
J’avais alors choisi, sans à vrai dire y avoir réfléchi, d’envoyer très régulièrement des lettres aux miens, aux amis proches, à un ou deux professeurs dont j’avais pu penser qu’ils souhaitaient suivre mon parcours. Par bribes dispersées, s’écrivait ainsi pour moi une sorte de relation au jour le jour de cette expérience. Peut-être m’était-il nécessaire de transmettre immédiatement aux autres l’exaltation que me procurait l’initiation, j’attendais en réponse les lettres qui me parvenaient de France : ainsi obscurément devais-je tenter de garder le lien avec les miens, avec ma propre société, et était-il constamment rappelé à ceux du village et à moi-même que j’étais d’ailleurs, et que malgré l’immersion à laquelle j’allais parvenir, je n’étais que de passage. Je n’en étais certes pas consciente alors, mais, sûrement, cela m’était-il aussi nécessaire. Comment aurais-je procédé si j’avais été comme d’autres ethnologues au fin fond de la Taïga, dans quelque vallée reculée de Nouvelle-Guinée ou en pleine forêt amazonienne, je ne le sais pas (et pour ce qui me concerne, cette question ne se posait même pas), mais au Maghreb, cela était possible, même si dans cette région lointaine du Sahara tunisien, si peu connue alors, et aujourd’hui de grand attrait touristique, n’arrivaient, jusqu’à la vaste palmeraie que j’avais décidé de choisir comme lieu d’enquête, que des pistes dont les vents de sable brouillaient parfois le tracé. Au sein de cette palmeraie, quatre villages groupés deux à deux se répartissaient l’eau d’une source alors la plus abondante de la région et dont l’exploitation était attestée depuis l’Antiquité. C’est à el-Mansûra, l’un de ces quatre villages, que j’allais demeurer près d’un an.
Mes lettres atteignaient souvent une dizaine de feuilles, l’expédition du courrier était plus simple s’il n’avait pas trop de poids, aussi écrivais-je sur du papier pelure. J’ai toujours continué – par une sorte d’attachement fétichiste aux choses ? oui, sûrement – d’utiliser ces feuilles translucides, dont m’étaient familiers le toucher, le bruit du froissement, et longtemps, je n’ai pu écrire le premier jet d’un manuscrit sur un papier plus épais. Mon journal est ainsi parti en feuilles légères. Je n’aurais pas eu le loisir de recopier sur un cahier les récits destinés aux amis, cela je me le rappelle fort bien. J’avais un immense bonheur à faire part de cette expérience que j’estimais unique, extraordinairement précieuse, mais je ne trouvais le temps de me consacrer au courrier que le soir tard, après avoir veillé avec une famille du village puis, rentrée chez moi, après avoir relu les notes du jour à la lumière d’une faible lampe à pétrole ; en achevant une lettre, j’étais épuisée.
Après quelque onze mois d’affilée passés à el-Mansûra, j’eus du mal à quitter le village. Je n’avais pas encore d’enfant alors et il me semblait que rien ne pouvait me contraindre à « rentrer » chez moi. Pourtant, une fois partie, y retourner ne fut jamais aussi aisé et serein que je ne l’avais imaginé. Ces passages d’un monde à l’autre demandaient chaque fois un temps de respiration. Il me fallait chaque fois m’y préparer. Le matin où j’avais dû m’arracher à el-Mansûra – c’est bien ainsi que je le vivais –, la ruelle en terre battue, dont la ligne courbe avait cette forme douce de l’ancien rempart sur les remblais duquel on l’avait peu à peu tracée, s’était remplie de tous ceux qui voulaient me saluer une dernière fois. C’était la toute pointe de l’aube et l’air était encore frais. Sî Belgâsem, un vieillard auquel j’étais tout particulièrement liée, venait avec moi : il profitait du voyage pour rendre visite à l’un de ses fils à Tunis. Digne et grave, la tête couverte du calot le plus raffiné, drapé de tissages d’un blanc écru, il était fin prêt, ses deux ballots déjà chargés. La saison était avancée et la chaleur deviendrait vite pesante, il nous fallait prendre la route. Il s’installa dans la voiture pour donner le signal du départ. Je me souviens encore du bruit du moteur de la 2 CV que je mettais en marche, on n’entendait plus que le pépiement des oiseaux dans les palmes et les pleurs étouffés des femmes. Je démarrai la gorge nouée ; ma seule consolation était d’avoir Sî Belgâsem, là, assis auprès de moi. Je fis des signes d’adieu. Dans le rétroviseur, la rue peuplée d’hommes et de femmes groupés, immobiles, sembla se rétrécir, s’éloigna. Nous passâmes devant l’aire à battre collective où l’aiguadier aveugle était déjà à l’œuvre. Il délaissa le bruit de l’eau qui s’écoulait de la clepsydre, détourna la tête pour suivre celui, identifiable, de ma voiture. Nous contournâmes la source où les bouquets de palmiers se reflétaient dans une eau immobile, je jetai un dernier regard à ces lieux auxquels j’étais désormais tant attachée. Je ne supportais pas de partir.
Je ne devais revenir dans l’oasis d’el-Mansûra qu’à deux reprises pour un séjour d’un mois et demi ou deux mois. C’était trop court, trop intense, cela exigeait une énergie disproportionnée ; les retrouvailles avec tout le village, sans parler des villages voisins, me prenaient bien deux à trois semaines. Dans chaque maison où je me trouvais un soir, des familles entières arrivaient pour me saluer, venir aux nouvelles et passer un moment, le rythme des jours et des veillées était épuisant. J’étais aussi moi-même constamment tiraillée entre l’urgence de me remettre à travailler

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