Diasporas et Nations
85 pages
Français

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Description

Pourquoi les diasporas, tenues en suspicion par les États nations contemporains, sont-elles devenues l’objet d’un véritable culte ? Pourquoi le modèle de la diaspora s’étend-il à tous les peuples dispersés ? Comment en est-il venu à désigner toutes les revendications identitaires, des cultures régionales aux pratiques religieuses, des modes de vie aux mobilités sociales ? Ce livre prend la mesure du phénomène dans toutes ses dimensions sociales et politiques. Chantal Bordes-Benayoun, sociologue, est directrice de recherche au Centre d’anthropologie de Toulouse (CNRS-École des hautes études en sciences sociales). Dominique Schnapper, sociologue, est directrice d’études au Centre de recherche historique de l’École des hautes études en sciences sociales.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 janvier 2006
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738188953
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

CHANTAL BORDES-BENAYOUN DOMINIQUE SCHNAPPER
Diasporas et nations
 
 
© Odile Jacob, janvier 2006 15, rue Soufflot, 75005 Paris
ISBN : 978-2-7381-8895-3
www.odilejacob.fr
Table

Introduction
Première partie. Le temps du soupçon
Chapitre premier. Le nationalisme contre la diaspora
Le principe du nationalisme
Accusations
Chapitre 2. Les limites de la nationalisation
Acculturation et imaginaire
La conciliation des identités
Seconde partie. L’homme de la diaspora dans les « siècles démocratiques »
Chapitre 3. Le rétrécissement du monde
La naissance d’une société transnationale ?
Entre l’élargissement transnational, le national et les identités infranationales
Chapitre 4. Le retournement du sens
L’inflation des diasporas
Des « politiques de l’identité » ?
Conclusion
Notes
Ouvrages cités
Remerciements
Introduction
 
« Diaspora. » Ce terme semble surgir des profondeurs du passé, d’un temps révolu, il évoque en premier lieu l’expérience fragmentée et singulière du peuple juif. Persécution, destruction, exode, refuge, exil, survie, retour, reconstruction, mémoire, fidélité, constituent les pièces du puzzle, de cette « énigme » de la continuité dans l’adversité, de la résistance à la destruction, de cette victoire de la vie ou « résilience » collective, pour emprunter au vocabulaire de la psychologie 1 . S’il s’utilise désormais au pluriel, c’est que, tout au long des tragédies du XX e  siècle, des hommes ont quitté leur maison natale, fui le malheur, la misère et l’absence de liberté, et sont partis vers des lieux réputés plus hospitaliers, mais souvent éloignés les uns des autres. Leurs trajets suivaient les routes de la prospérité économique et de la sécurité politique. On voulait échapper à l’indigence, on aspirait à la démocratie, on fuyait (ou tentait de fuir) totalitarismes et dictatures. Au cours de ces déplacements, des migrants ont eu le sentiment de former le même peuple en dépit de la dispersion parmi d’autres. Nombreux sont ceux qui ont pu, peuvent ou pourraient se reconnaître dans une telle définition, nombreux sont ceux qui l’utilisent effectivement aujourd’hui pour décrire leur expérience et revendiquer leurs droits, nombreux sont, enfin, les auteurs qui l’ont adoptée pour saisir les réalités contemporaines. Mais cette prolifération ne rend pas toujours les réalités qu’elle désigne plus intelligibles.
En proposant ici une réflexion sur le sujet, sans doute avons-nous pris le risque de sacrifier à ce qu’il faut bien appeler une « mode des diasporas ». Force est de constater en effet que, depuis 1968, le terme a connu une véritable inflation dans la vie publique et intellectuelle. Les peuples dispersés sont de plus en plus nombreux à s’en réclamer et à se construire comme tels. Être une diaspora est même devenu un combat, une force, un slogan politique, là où d’anciennes revendications sont tombées en désuétude, d’anciennes idéologies se sont effondrées, et où les injustices continuent à marquer les rapports entre les hommes et entre les peuples. La lutte des Afro-Américains contre le racisme et la ségrégation en est un exemple. Las des discriminations persistantes ils ont transformé la lutte menée à l’intérieur de la nation au temps de Martin Luther King en un combat transnational, organisant la diaspora afro-américaine où qu’elle se trouve, et rejoignant l’aspiration au développement et à l’unité des peuples africains.
À l’ère de la mondialisation, le modèle de la diaspora est devenu une référence politique qui franchit les frontières et permet de faire entendre certaines revendications dans l’opinion publique internationale, autrepart , autrement . Les mouvements se sont multipliés à diverses échelles en invoquant des arguments variés et en mobilisant des rhétoriques de portée inégale. Basques, Irlandais, Amérindiens, Roumains, Palestiniens, Chiliens, Sikhs, Turcs, Kurdes, Afghans, Tziganes et tant d’autres…, occupent avec les Juifs 2 , les Grecs, les Chinois ou les Arméniens, le paysage contrasté des « diasporas » d’aujourd’hui. Toutes proportions gardées, n’ont-ils pas en commun avant tout de consacrer l’existence d’une réalité et d’une solidarité transnationales, dans un monde global où la nation serait dépassée ? Le succès du terme s’explique sans doute par les valeurs de solidarité qu’il proclame et l’alternative qu’il prétend offrir à l’affirmation des identités collectives, passant outre les barrières nationales. La diaspora est source de légitimité pour des peuples en quête de liberté et de reconnaissance. Plus qu’une expérience sociale, elle est devenue un enjeu politique. On en parle dans le cas des Palestiniens qui, pour des raisons évidentes, pensent leur destin collectif en fonction de celui des Juifs et dans les termes de ces derniers, notamment à travers les notions d’exil et de droit au retour. La notion de diaspora fonde la légitimité de leur revendication nationale. Bassma Kodmani-Darwish, qui préfère parler de « diaspora en devenir », en formule clairement les avantages politiques : « Le mythe d’une diaspora accomplie a ses vertus. Il permet notamment aux dirigeants de l’entité nationale émergeante palestinienne de se prévaloir de l’atout que constituera la contribution des Palestiniens éduqués et prospères à l’édification du jeune État. Plus fondamentalement, il peut servir à reformuler en termes positifs des situations vécues jusque-là comme négatives » 3 .
L’extension du terme confirme la faveur accordée à la diaspora mais ajoute au flou de sa définition. Des identités régionales aux différences de religion en passant par de simples distinctions de mode de vie et des pratiques de mobilité, toutes les revendications particulières prétendent à cette appellation légitime, sinon prestigieuse. Au-delà des migrants, des expatriés et « voyageurs » de toutes sortes, motards, sportifs, diplômés, artistes, militants internationaux par exemple 4 , ont pu, ici ou là, être qualifiés de diasporas, aussi épisodiques qu’improbables. Plus sérieusement, la conjugaison et l’imbrication des références géographiques, religieuses et culturelles ont rendu plus difficile la construction du sens de la diaspora. Par le jeu de références multiples, on peut s’identifier à plusieurs diasporas, en valorisant tel ou tel de ces critères. Si les rapprochements réels ou virtuels entre les hommes sont plus aisés et les réseaux de relations plus denses, s’ils ont pu conforter l’identification à un destin commun d’exilés, ils n’ont pas aboli pour autant les fractures et les différends. Beaucoup de ces désignations qui sont, comme toute construction d’identité, des inventions, sont soumises au doute et au débat, elles restent incertaines et fragiles. La mémoire des peuples dispersés, reposant parfois sur les mêmes événements ou les mêmes espaces et se les disputant, devient conflictuelle. Les identifications se cherchent entre le local, le national et l’international, se recoupent, se croisent, se font écho, mais aussi se mesurent les unes aux autres, rivalisent et parfois s’affrontent. Quel peuple sera considéré digne d’être élevé au rang de diaspora ? Il semble qu’on assiste aujourd’hui à une concurrence des diasporas, comme il existe une « concurrence des victimes » 5 .
Jusqu’aux années 1970, le terme était réservé à quelques peuples se référant à un mythe d’origine soit positif (le souvenir de l’Antiquité grecque, l’ancienneté et la qualité de la culture chinoise), soit dramatique et exceptionnel, la Catastrophe originelle de la dispersion redoublée par les massacres et les expulsions au cours des siècles pour les Juifs ou les Arméniens. En revanche, on ne l’avait pas employé pour qualifier des migrations économiques ou les mouvements de réfugiés politiques et les exodes du XX e  siècle. Le terme ne désignait pas non plus les migrations massives des travailleurs venus des pays pauvres du Sud vers les pays européens riches après la Seconde Guerre mondiale. Il excluait les migrations de conquête devenues majoritaires dans les pays conquis : jusqu’à une date récente, on n’a pas parlé de « diaspora espagnole », de « diaspora britannique » ou de « diaspora italienne », alors que les Espagnols, les Britanniques et les Italiens, depuis les Grandes Découvertes jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ont massivement découvert, conquis et dominé les terres d’Afrique, d’Amérique et même d’Asie.
Dans son usage récent, le terme s’est éloigné de ces références initiales, de l’« archétype » juif 6 . Les chercheurs ont participé au mouvement général en lui accordant un crédit croissant, d’abord en Amérique du Nord, puis en Europe 7 . Désormais, ils désignent ainsi des déplacements de populations, jusque-là évoquées par des termes divers : expulsés, déplacés, expatriés, exilés, réfugiés, immigrés, minorités, overseas minorities , guestworkers ou ethnic and racial minorities . Certains l’ont étendu à la formulation des identités sexuelles. Les études féministes, les gender studies américaines en particulier, évoquent volontiers une similitude de condition entre les femmes et les diasporas. On parle même de « diaspora homosexuelle » dans le monde intellectuel et militant anglophone 8 . D’une manière générale, ces nouveaux emplois du terme révèlent les recompositions en cours des identités qui se construisent en privilégiant la dimension transnationale, dans le cadre d’une globalisation des revendications particulières. Mais l’extension du concept ne l’a-t-elle pas vidé de toute véritable compréhension ?
En Europe, dans des États nations plus anciens et plus centralisés, où la reconnaissance des particularismes est moins légitime que dans les pays dont le mythe national comprend l’immigration, les diasporas ne suscitent pas le même engouement qu’aux États-Unis. Le terme n’en a pas moins pris un sens positif, lié à l’affaiblissement du patriotisme, à la dévaluation relative de l’idée nationale, à la critique systématique des institutions de l’État et de la république représentative, au

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