Corps et Affects
229 pages
Français

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Description

À quoi tient le sentiment mêlé d’étrangeté et de familiarité qui nous saisit devant le caractère accompli des rouages d’une société « autre » ? À une expérience commune, même si elle est diversement agencée ? À une logique de l’ordonnancement du réel qui joue avec des formes mentales universellement comprises ? Le corps et les affects n’en seraient-ils pas le terrain et le terreau ? Avec les émotions et les perceptions, ne sont-ils pas tout à la fois biologiquement les mêmes et culturellement différents ? Ce champ de recherche, longtemps négligé par l’anthropologie sociale, est investi aujourd’hui par les neurosciences et plusieurs formes de psychologie qui en montrent l’importance décisive pour la compréhension de l’être humain. Dans ce volume, vingt-deux anthropologues d’inspirations diverses confrontent les hypothèses et les résultats de leurs travaux menés au sein de l’Atelier qu’anime Françoise Héritier. La réflexion contrastant invariants et différences sur ces thèmes y apparaît amplement ouverte – et riche de débats en germe. Françoise Héritier est professeur honoraire au Collège de FranceMargarita Xanthakou est directeur de recherche au CNRS. Avec les contributions de Laurent Barry, Patrice Bidou, Anne-Marie Brisebarre, Marie Cegarra, Salvatore D’Onofrio, Cristina Figueiredo-Biton, Corinne Fortier, Anibal Frias, Jean-Pierre Goulard, Jean-Luc Jamard, Dimitri Karadimas, Nathalie Manrique, Françoise Michel-Jones, Marika Moisseeff, Enric Porqueres i Gené, Alexandre Surrallés, Maria Teixeira, Gilles Tétart, Noëlie Vialles, Virginie Vinel, Saskia Walentowitz, Tassadit Yacine.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 octobre 2004
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738186430
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , OCTOBRE  2004
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-8643-0
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Présentation

Il est difficile désormais, et pas seulement par un effet de mode, d’envisager une ethnologie globale au sens propre, c’est-à-dire l’étude d’une population, où l’analyse de la structure sociale serait totalement découplée de la façon dont les individus vivent et ressentent leur corps et leurs affects, et de la façon dont les systèmes de représentation rendent compte de cette liaison. Il est toujours possible, et même parfois souhaitable pour la commodité des exposés, de découper des fragments du réel pour mieux les étudier – systèmes de parenté, fonctionnement de l’alliance, systèmes économiques, etc. –, du moins est-ce le but espéré ; mais on s’aperçoit nécessairement, à un moment ou à un autre, que c’est une approche réductrice, qui coupe dans le vif. Ethnologues et anthropologues tentent depuis quelques décennies une approche totalisante de la société et s’intéressent à l’interaction du socius et des émotions au sens large, allant ainsi à la rencontre de la démarche inverse des biologistes qui cherchent à comprendre, comme Francis Crick à la fin de sa vie, ce qui se passe dans notre cerveau quand nous voyons quelque chose.
Ce qui nous surprend désormais, c’est que depuis nos grands ancêtres, tels Tylor et Morgan, on ait pu étudier si longtemps des institutions sans que vienne nettement à la conscience l’idée que ces institutions ne se contentaient pas d’être des faits raisonnables gouvernant exclusivement des idéalités et des esprits, et même, pourrions-nous ajouter, des esprits par essence masculins (on fera une exception dans les débuts de notre discipline pour un esprit libre, celui de Paul Lacombe, qui inscrivit le développement de l’institution de la famille sous toutes ses formes sur l’insatiable désir masculin 1  ; c’est un fait notable d’ailleurs que l’anthropologie du corps et des affects permet une irruption sur scène d’un corps féminin jusqu’alors absent).
Cela dit, il ne faudrait pas qu’un nouveau découpage en remplace un autre considéré dédaigneusement comme obsolète. S’il est normal de pouvoir isoler de nouveaux thèmes de réflexion – personne, identité, représentations de la procréation, des substances, des humeurs, passages et changements d’état, etc. –, il serait dommage que l’on perde de vue le lien avec l’organisation sociale. Nous avons à rendre compte du tout, paquet très serré où tout fait sens et qu’il faut ouvrir. Mais là est toute la difficulté de l’opération : désenchevêtrer les fils est toujours plus difficile que trancher. Tous les ethnologues seraient d’accord là-dessus.
Devant l’étonnante capacité inventive dont font preuve les humains pour répondre à de mêmes questions essentielles soumises à l’observation des hommes de tout temps, diversité dont l’ethnologie fait l’éclatante démonstration, il est remarquable que nous avons toujours, en tant que lecteurs et auditeurs, une fois la structure d’ensemble bien déblayée et établie par cet ethnologue qui nous ouvre les yeux, un étrange sentiment de familiarité. Nous sommes en effet saisis par la logique même qui fait embrayer et se conjoindre toutes les notions appelées à la rescousse afin de rendre le monde signifiant. Et par « monde », il faut entendre non seulement les animaux, les plantes, le cosmos, les objets naturels, les artefacts, mais aussi le corps, les affects, la pensée et les diverses composantes que chaque société reconnaît dans l’être humain, et encore les institutions que cet être a su mettre en place et qui s’adaptent à tout le reste. Tant de subtilité éblouit, émerveille toujours. Il n’y a pas de satiété chez l’ethnologue et chez ses sympathisants, et même si nous n’avons pas nécessairement une vision toujours optimiste du monde tel qu’il va, nous nous retrouvons unis dans l’admiration de cette capacité de l’humanité commune qui pousse les individus quels qu’ils soient, où qu’ils soient, à donner du sens à l’être au monde en tant qu’être à la fois pulsionnel et socialement maîtrisé. On trouvera un bel exemple du souci d’intégration globale du monde extérieur et de l’humanité dans le texte de Jean-Pierre Goulard, qui montre toutes les ressources analytiques mises en œuvre pour intégrer le système clanique d’un peuple à un monde animal et végétal pensé par l’homme à partir de la sensation : odeurs, couleurs, saveurs.

Structure et pulsion
Structure d’ensemble, ai-je dit plus haut. Le grand mot est lâché. Si l’on a pu opposer la structure, la raison, l’abstraction, le collectif d’une part, à la pulsion, la déraison, la concrétude, l’individu d’autre part, nous sommes amenés désormais à convenir que l’analyse des constructions conjointes de ces divers pôles, et de l’esprit à la matière et vice versa, qu’accomplit chaque société, est aussi une analyse structurale. Elle est simplement sortie de ses terrains d’origine : la langue, la parenté, le mythe. La structure est ainsi absoute du péché d’abstraction qui lui était accolé. C’est d’un nouveau structuralisme qu’il s’agit, mais on ne peut nier que les explorations diverses présentées ici soient des faits de structure. Ainsi des Touaregs décrits par Cristina Figueiredo-Biton, chez lesquels l’idéal social de la maîtrise de soi est en fait un maintien de l’âme, dans ses capacités d’attention, de concentration, de compréhension, comme s’est projeté l’esprit sur la matière aux temps où les roches étaient molles, ce qui a permis aux ancêtres d’imprimer leur message gravé. La pierre molle est à l’enfance qui se forme et à la féminité ce que la pierre devenue dure est au pénis et au masculin.
Faits de structure, donc, dans une intégration nécessaire, au double sens du travail conscient réalisé par l’ethnologue et de celui, collectif, qui n’a pas été formulé durant son élaboration, soumis à des variations et à des niveaux de compréhension différents, qu’ont effectué au long cours les auteurs et les exégètes locaux. Cette forme structurée du donné n’est pas une illusion de l’observateur. D’abord parce qu’elle est nécessaire pour qu’il y ait du sens dans la vie des hommes dans le commun des jours, et qu’elle est ainsi réclamée fortement par les participants de la vie collective ainsi qu’on le voit dans l’exigence minutieuse des rituels. Ensuite, parce que ces structures indigènes que l’on cherche désormais à dévoiler sont régies, on s’en aperçoit, par des principes mentaux universels : comparaison, analogie, classification selon les registres de l’identité et de la différence, usage de procédés tels la métaphore et la métonymie, etc., les mêmes que ceux qui sont mis en œuvre dans l’analyse structurale savante.

Organisation et réorganisation cérébrale
On ne dira pas pour autant que ces faits de structure sont simplement l’effet d’une commune organisation cérébrale (zones, construction neuronale) ou d’états cérébraux préexistants qui préfigureraient en les canalisant non seulement nos affects et nos pensées mais aussi l’expression concertée qu’en donnent les systèmes globaux de représentation. Ce serait un peu simple et certainement trop rigide. Il doit être possible d’envisager un façonnage constant des possibilités naturelles d’organisation cérébrale grâce à l’établissement de synapses ad hoc , dont on sait désormais qu’elles peuvent se constituer toute la vie, à partir des impressions et des sensations ressenties dès la naissance et même avant elle, puisque le fœtus perçoit la voix et les bruits du corps de sa mère et ressent ses émotions en sus des siennes propres. Il peut être effrayé, il sursaute ; il est attentif au monde extérieur qu’il ignore et dont il perçoit les échos par les sensations qu’il éprouve dans l’expérience intime du corps-mère qui l’abrite et dont il ne sait pas encore qu’il n’est pas le sien. On recourt ainsi à l’idée des possibilités limitées d’émergence en fonction de conditions naturelles communes. La structure est déjà dans les choses.
Henri Hecaen, un neurologue de la seconde moitié du XX e  siècle, montrait que, si on les pourvoyait d’une collerette ne portant que des traits verticaux placée devant leurs yeux, des chatons devenaient au bout de quelques jours incapables de voir les lignes horizontales, les synapses leur permettant de le faire ne s’étant pas connectées au bon moment : une forêt ne leur pose pas de problèmes, mais les escaliers, oui. Il n’a pas vérifié si des corrections se construisaient plus tard. Hecaen regrettait, avec son humour particulier, que des expériences semblables, plus diversifiées, moins grossières, ne puissent être menées sur des humains. Il lui semblait que bien des conditionnements, voulus et construits, étaient possibles. Il n’avait certes pas tort, en termes de manipulation consciemment organisée. Il oubliait cependant que ce conditionnement se fait partout, dès la naissance et le plus jeune âge.
Ce n’est pas une structure intangible, déjà là, issue d’un câblage préordonné, qui dicterait nos pensées et nos actions après avoir filtré et orienté nos émotions en leur donnant ce caractère de commune évidence dont nous parlions plus haut, ou qui nous dicterait et imposerait à l’analyse un système binaire d’enregistrement (tel celui d’un ordinateur), comme Claude Lévi-Strauss a pu le postuler. C’

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