Carnets d un anthropologue : De Mai 68 aux Gilets jaunes
112 pages
Français

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Carnets d'un anthropologue : De Mai 68 aux Gilets jaunes , livre ebook

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Description

« Je suis en train d’écrire un texte qui intègre des aspects de mon expérience d’anthropologue politique — et qui trouve son origine dans un autre grand mouvement social, celui de Mai 68, auquel j’ai activement participé — quand les Gilets jaunes font irruption dans la vie politique. Au cœur de cette réflexion a surgi — incontournable — le fait que les humains, qu’on a dits si souvent enclins à obéir, à se soumettre, à plébisciter l’autorité et l’homme providentiel, manifestent une inclination puissante à s’assembler, non seulement pour débattre, mais aussi pour agir. L’anthropologie du temps présent offre de précieux instruments pour appréhender les tensions et les soubresauts qui se font jour un peu partout aujourd’hui. Je relate dans ce livre la manière dont s’est imposée l’urgence de porter un regard différent sur le pouvoir et les lieux d’où s’énonce une parole citoyenne. » M. A. Une anthropologie de la politique pour comprendre ce qu’est la prise de parole publique, émergence d’une expression démocratique. Marc Abélès est anthropologue, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Il est l’auteur de Jours tranquilles en 89, Les Nouveaux Riches. Un ethnologue dans la Silicon Valley, et Un ethnologue à l’Assemblée qui a été un grand succès. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 janvier 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738149565
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ce livre est publié dans la collection « Mondes contemporains » dirigée par Marc Augé
Les humains, pour diverses et inégales que soient leurs situations, sont chaque jour davantage pris dans une même histoire. Cette collection rassemble des textes qui témoignent à la fois de ces différences et de cette convergence.
© O DILE J ACOB , JANVIER  2020 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4956-5
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Avant-propos

Lorsque j’ai entrepris d’écrire ce livre, j’éprouvais le besoin de prendre un peu de recul, d’échapper pour un temps aux pressions de l’actualité immédiate. Observant les soubresauts du présent, l’envie m’a pris de ressaisir une période de mon histoire qui se confondait avec un événement plus large, Mai 68 et ses prolongements. Il s’était agi pour moi comme pour beaucoup d’autres d’un moment fondateur. Et pourtant j’ai vite réalisé que je n’écrirais sans doute pas un livre sur 1968, mais plutôt sur ce qu’a instillé en moi cette expérience, à commencer par la nécessité d’aborder la politique en m’émancipant des modèles d’engagement et des catégories simplistes qui ont contribué par la suite à brouiller le sens de cette activité. Pour ce faire, je suis devenu anthropologue, et je relate ici la manière dont s’est imposée l’urgence de porter un regard différent sur le pouvoir et les lieux d’où s’énonce une parole citoyenne.
L’anthropologie politique, telle que je la pratique, s’inscrit en rupture avec la conception classique qui privilégiait l’étude des mondes lointains, des peuples considérés comme archaïques, voire « primitifs ». Elle décrypte la complexité à partir d’un patient travail de terrain. Cette anthropologie du présent ne se confond pas cependant avec le journalisme. La méthode ethnographique qu’elle met en œuvre consiste en un subtil équilibre entre la proximité – le fait de partager l’existence des groupes étudiés, et la prise de distance qui favorise l’élaboration de modèles explicatifs. Elle offre de précieux instruments pour appréhender les tensions contemporaines, sans pour autant tomber dans la fascination parfois mortifère de l’événement, ni se mouler dans les cadres interprétatifs dominants. Il en est ainsi de ces explosions sociales que personne n’a vu venir, et qui éclairent crûment les failles de notre société.
CHAPITRE 1
L’irruption des Gilets jaunes

Le soulèvement des Gilets jaunes est révélateur à cet égard. Des mois durant, il aura occupé le devant de la scène. Il a réussi à déstabiliser un pouvoir qui semblait imperméable à toute forme de contestation et appliquait sans états d’âme les recettes néolibérales. Au moment où les Gilets jaunes ont fait irruption dans la vie politique, je réfléchissais à partir de ma propre expérience d’anthropologue politique. Expérience qu’avait alimentée l’observation participante de multiples situations dans différents points de la planète.
Au cœur de cette réflexion, surgissait – incontournable – le fait que les humains qu’on a dits si souvent enclins à obéir, à se soumettre, à plébisciter l’autorité et l’homme providentiel, manifesteraient une inclination sans doute aussi puissante à s’assembler, non seulement pour débattre et palabrer, mais aussi pour agir et dessiner leur avenir commun. Fallait-il s’en remettre à une autorité, un individu ou un groupe, censés « représenter » les gens ? Ne devait-on pas, à l’inverse, privilégier des dispositifs qui redonnent au collectif l’initiative et la capacité de s’orienter, sans se soumettre à une minorité à la légitimité souvent problématique ? Voilà donc le genre de questions qui découlaient de mon propre parcours.
Or il se trouve qu’au même moment, le soulèvement des Gilets jaunes a propulsé ces questions au cœur du débat public. C’est d’ailleurs ce qui a profondément troublé les professionnels de la politique et les commentateurs accrédités. Rien à voir avec les mouvements catégoriels, et impossible d’apaiser les Gilets jaunes par des bonnes paroles et quelques milliards destinés à augmenter leur pouvoir d’achat. Non ce n’était décidément pas une simple révolte fiscale, ou un ras-le-bol des réglementations routières. Il fallait bien se rendre à l’évidence. Sur les ronds-points, des femmes et des hommes voulaient inventer autre chose. Ils repartaient du début, en questionnant le fonctionnement de la démocratie dans nos sociétés.
Rien que ça ! Les politologues avaient beau jeu d’ironiser sur leur naïveté. Quelquefois cependant les questions simples ont le mérite d’aller directement à l’essentiel. Les Gilets jaunes ont interpellé le pouvoir en remettant en cause le clivage de plus en plus prononcé entre gouvernés et gouvernants. Le nom de Macron est alors apparu comme le symbole de l’autoritarisme, de la centralisation et d’une forme d’arbitraire, assaisonnée d’une bonne dose de mépris à l’égard des petites gens 1 . Cela a conduit, logiquement, à l’exigence qu’il démissionne. Le président était en outre considéré comme l’incarnation d’une caste avide de pouvoir et de privilèges avant tout dont la technostructure qui l’entourait et les députés LRM semblaient l’incarnation presque caricaturale. La confrontation sur les plateaux télé de Gilets jaunes avec des représentants du pouvoir se réfugiant derrière des éléments de langage agrémentés de déclarations compassionnelles a illustré le gouffre qui s’était creusé entre représentants et représentés. De même a-t-on pu noter les réactions à contretemps d’un pouvoir dont le manque de réactivité et l’incapacité à calmer le jeu n’ont fait qu’attiser les braises de la contestation. Là encore, c’est l’indice d’un véritable décalage, au point que certains en viennent à regretter le sens politique de ses prédécesseurs.
Tout cela a été amplement commenté. Dans ce livre, je voudrais surtout replacer ces événements dans un contexte plus large qui permet de mieux comprendre le délitement d’une certaine pratique du pouvoir qui se prévaut de la démocratie représentative et la forme spécifique qu’a pris en France ce délitement. À l’orée du XXI e  siècle, la globalisation a suscité sans conteste une exacerbation des inégalités et de la conflictualité, et les innovations dans le domaine de l’information ont profondément modifié le rapport des citoyens au politique. Deux points méritent d’être soulignés : l’extraordinaire intensité et la rapidité avec lesquelles l’information circule et l’apparition de ce qu’on appelle aujourd’hui les réseaux sociaux qui sont devenus des vecteurs d’opinion et d’action politique essentiels.

L’effondrement d’un modèle de représentation
En quelque sorte, il y a le monde d’avant Internet et les réseaux sociaux, et le monde d’après. Cela s’est traduit par l’apparition de mouvements qui s’étaient pleinement approprié ces nouvelles formes d’information et portaient une parole nouvelle dans le débat public. C’était le cas au Proche-Orient, en Espagne, au Portugal, aux États-Unis, à Hong Kong, plus récemment en France avec Nuit debout. Le mouvement des Gilets jaunes s’inscrit dans un vaste chamboulement des cadres qui ont orienté l’action politique non seulement en France, mais également aux quatre coins du monde. Il ne s’agit pas d’amalgamer ces mouvements qui relèvent d’histoires distinctes et portent des expériences singulières. Ce que je voudrais souligner, c’est qu’ils ont pour point commun d’avoir fait apparaître les limites de systèmes politiques où la démocratie se résumait en grande partie à la capacité d’élire périodiquement des représentants auxquels on laissait carte blanche sur la conduite des affaires.
La France offre un cas extrême, puisque le système aboutit à conférer une fois tous les cinq ans la totalité des pouvoirs à un président et à son parti politique. D’où l’importance de ces partis, et l’essentiel de l’activité des représentants vouée aux luttes internes en vue de promouvoir l’une ou l’autre écurie. Que cette situation ait suscité le renforcement d’une élite ancrée dans ses privilèges, qu’elle ait favorisé des formes de corruption, cela ne pouvait qu’intensifier la méfiance à l’égard de la démocratie représentative et la recherche d’alternatives. De ce point de vue, la montée du populisme en Europe et aux États-Unis s’ancre dans la dénonciation de l’incurie des politiciens à qui l’on reproche à la fois de s’enrichir sur le dos du peuple et de se soumettre aux contraintes imposées par la mondialisation et, dans le cas européen, par la technostructure de Bruxelles.
Une notion revient sans cesse, celle de souveraineté . L’idée qui prévaut chez les populistes, c’est que la souveraineté a été bradée par une élite de représentants avant tout préoccupés de leurs propres intérêts de caste. D’où la nécessité d’une gouvernance forte incarnant cette souveraineté et portée par la volonté générale. Dans ce contexte, l’élection de Macron se présentait comme la promesse d’une régénération : un président fort qui n’était plus l’otage des partis, puisque ces derniers avaient été dégagés par les électeurs. Macron, comme de Gaulle en 1958, avait généré son propre mouvement politique.
En réalité, le système traditionnel fonctionnait sur la base d’une opposition droite/gauche à tous les niveaux car, même au plan local, quand on grattait un peu, derrière l’apolitisme revendiqué par les listes en présen

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