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pages
Français
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2004
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Ebook
2004
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Publié par
Date de parution
09 mai 2004
Nombre de lectures
1
EAN13
9782738182104
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
3 Mo
Publié par
Date de parution
09 mai 2004
Nombre de lectures
1
EAN13
9782738182104
Langue
Français
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3 Mo
© O DILE J ACOB , 2004, AOÛT 2006
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN 978-2-7381-8210-4
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Avertissement
Comme le veut l’usage, les prénoms des élèves apparaissant dans ce livre ne sont pas les leurs, à trois exceptions près : Amélie, Capucine et Camille, avec l’accord de leurs parents.
Mais, contrairement à l’usage, ne figurent pas les références des textes de problèmes ou d’exercices analysés ici, pour plusieurs raisons.
La plupart du temps, je ne les connais pas : il est courant aujourd’hui de voir dans les cahiers des textes de problèmes découpés et collés, d’origine inconnue ; comme l’est celle des nombreux envois qui me sont adressés sans référence autre que le niveau de la classe, par enseignants et parents, à des fins de discussion ou de clarification des sujets précis qu’ils mettent en question.
D’une manière générale, pour ce qui est des documents utilisés, y compris ceux dont la provenance m’est connue, je souhaite qu’ils n’impliquent en aucune façon des personnes, mais un mode de fonctionnement institutionnel : celui de l’enseignement des mathématiques que, de façon explicite ou implicite, propose l’école élémentaire. Si l’école est aujourd’hui l’objet d’un débat national, c’est bien parce qu’il y a lieu de repenser ses buts et les moyens qu’elle se donne de les atteindre. À partir de cas d’élèves dits « en difficulté », j’ai donc souhaité montrer pourquoi et comment l’école est en difficulté, l’examen du microscopique ayant pour objectif d’amener à repenser le macroscopique. J’espère donc que, transcendant les cas particuliers, de la confrontation aux documents analysés, on ne déduira que le souhait d’engendrer un débat d’idées.
Introduction
Comment des lycéens parvinrent à « ébouriffer » un académicien
Mathématiques. C’est à l’article du même nom 1 que je disais, il y a quelques années de cela, le désintérêt bien connu de la plupart des mathématiciens pour la pédagogie, et comment ce seul mot les faisait fuir. D’où la singularité de quelques-uns, chercheurs, qui aimèrent non seulement comprendre, mais faire comprendre, et se passionnèrent aussi pour leur enseignement. J’avais ainsi évoqué la personnalité exceptionnelle d’Henri Lebesgue 2 , ou, plus près de nous, de Laurent Schwartz 3 .
Sans doute est-ce cette citation qui me valut d’être à ses côtés lors d’un colloque au titre un peu provocateur, Les Mathématiques : science royale ? discipline impérialiste ?, et qui suscita en effet un débat des plus animés 4 .
Il se trouve que ce soir-là Laurent Schwartz raconta une « aventure pédagogique » qui avait dû le marquer puisqu’il la raconta à nouveau en une autre occasion 5 — j’étais cette fois dans le public —, toujours aussi étonné de ce qu’il avait vu et entendu. Cette histoire, je l’ai à mon tour plusieurs fois racontée car elle est significative de ce à quoi des milliers d’enseignants sont quotidiennement confrontés. Qu’elle ait été attestée par une telle personnalité est bien sûr un témoignage précieux. La voici.
Il s’agit d’un exercice donné à une classe de première, consistant à trouver les solutions d’une équation du second degré. Peu importe que vos souvenirs de cette classe soient lointains ou inexistants. Ce dont cette équation fut la cause est accessible à tout public.
Tous les élèves constituèrent d’abord le classique « discriminant », et calculèrent « b 2 – 4ac », pour trouver ce qu’il fallait, c’est-à-dire 7. Et c’est alors que la moitié de la classe se mit en devoir de « discuter ». Je laisse la parole à Laurent Schwartz 6 .
« … Alors six ou sept ou cinq élèves ont fait la réponse qu’on leur a donnée dans le cours : si 7 est positif il y a deux racines, si 7 est négatif il n’y a pas de racine, si 7 est égal à zéro il y a une racine double. »
Et au milieu des rires homériques qui se déchaînèrent dans l’assistance, Laurent Schwartz poursuivit :
« Ils avaient appliqué mécaniquement une règle, ils ne cherchaient pas à savoir si elle avait un sens. Ce qui manquait à ces six élèves, c’est qu’ils cherchaient à appliquer mécaniquement une règle… mais des élèves de première, quand même, c’est ébouriffant, je ne vois pas comment le professeur pouvait imaginer qu’il aurait eu cette réponse… c’est quelque chose d’exorbitant… »
Et se tournant vers moi, parce que je venais d’en parler :
« Ça correspond à la même chose que l’“âge du capitaine”, mais à la puissance je ne sais pas combien… »
Rires de l’assistance.
« … mais il y a là quelque chose d’ébouriffant, on se demande comment on peut écrire “si 7 égale zéro…” »
Effectivement. Car ce que ne pouvait restituer ce récit, depuis la tribune, c’était sans doute le choc produit par l’ écriture de
7 = 0
sorte d’excroissance qui, même emprisonnée dans les carreaux du papier quadrillé d’une copie d’élève, ne pouvait dissimuler sa monstruosité, nullement adoucie par le « si » la précédant ; sachant que si on arrivait quelque jour à quelque affirmation de ce genre, ce serait pour signifier la fin des mathématiques.
Petit cauchemar diurne dont on pourrait imaginer qu’il a de quoi dégoûter à jamais un mathématicien de la pédagogie ; et de quoi décourager durablement qui voudrait enseigner des mathématiques. Quel pouvait être l’état d’esprit de celui qui, recevant un membre de l’Académie des sciences, se voyait infliger un tel camouflet ? Si sept est égal à zéro…
« Ébouriffant », « exorbitant », « ébouriffant ». En fait, les « êtres » que semblait découvrir Laurent Schwartz, en répétant, effaré, que ces élèves « appliquaient mécaniquement une règle », étaient, pour moi, ces très vieilles connaissances qu’il y a près de trente ans j’avais appelées des automathes 7 ; dont il faut bien convenir qu’ils se manifestaient ici de façon particulièrement voyante.
Il se trouve que leurs exploits sont encore et toujours innombrables. Voici cette fois un « petit ». Il s’appelle Lucien. Il a neuf ans. Il est en CE2. Les francs sont dans leur dernière année, et il doit « résoudre » le problème suivant :
J’ai 286 F dans ma tirelire.
Combien me manque-t-il pour acheter un appareil photo qui vaut 425 F ?
Solution :
Il me manque : 425 × 286 = 121 550 F
Comme j’ai patiemment attendu qu’il finisse, et que je ne dis ni oui ni non, il a un sourire charmant, et qui se veut charmeur. C’est pas ça ?
Voilà. Ils étaient « dans la multiplication ». Si par chance, ils avaient été « dans la soustraction », il aurait eu « bon ». Combien sont-ils comme lui, qui répondent à partir de données non écrites, comme par exemple la dernière activité en classe, la dernière phrase entendue, l’air de la question — par opposition aux paroles — ou quelque déduction échappant à une rationalité ordinaire. Lucien a justement ceci de remarquable qu’il n’a pas réagi au « marqueur » langagier — combien me manque -t-il — qui bien souvent peut faire croire que le sens de la soustraction est « acquis », mais lui a préféré l’actualité plus fraîche de la dernière chose apprise.
Par ailleurs, il est tout aussi remarquable qu’étant catalogué « en-difficulté », son produit de deux nombres de trois chiffres soit juste. Une fois félicité pour cette prouesse — des « tables » sues, un algorithme en place ! — il s’est trouvé un peu coi sur les raisons qui l’avaient fait multiplier, et sur l’ordre de grandeur des économies nécessaires qui, accumulées pièce à pièce, supposeraient un cochon tirelire grandeur nature. À vrai dire, rien de tout cela ne l’avait affecté.
Peut-on avancer une explication du genre « rupture massive de contrat didactique », ainsi qu’on l’a souvent fait pour expliquer que tant d’enfants normaux puissent « donner l’âge du capitaine » ? En supposant que la notion même de « contrat didactique » ait un sens, sa rupture était présumée avoir pour cause un énoncé qui, lui, n’en avait pas. Mais ici ? Avec un énoncé on ne peut plus raisonnable, où trouver la raison de cette déraison ?
Avec une intensité que le temps qui passe rend de plus en plus aiguë, est donc encore et toujours posée la question dont on pourrait s’étonner qu’elle ait seulement lieu d’être posée : pour qui les mathématiques de l’École ont-elles du sens ?
Écrire « 7 = 0 » ne s’improvise pas. En comprendre les raisons non plus. Tout au plus peut-on, dans un premier temps, se demander comment dix années de pratique mathématique antérieure ont fait qu’on en soit là, face à ces automathes « ébouriffants » ; et penser que, si ça se trouve, c’est au collège — volontiers qualifié de « maillon faible du système éducatif » — que pour ces lycéens, les choses ont mal tourné.
Mais il n’est, je suppose, de collégiens qui n’aient préalablement vécu six années d’école primaire. Il ne semble donc guère possible d’analyser quelque parcours que ce soit en court-circuitant ces six années antérieures, ce qui aurait autant de sens que de vouloir comprendre la survenue d’une guerre à partir de sa déclaration.
Avant celles du collège ou du lycée, il y a donc les « mathématiques » de l’école primaire. Seulement rien n’étant jamais simple, et étant bien entendu qu’on ne peut expliquer ce qui se passe au collège en voulant ignorer l’école, il se trouve que l’on ne peut expliquer non plus ce qui se passe à l’école en voulant ignorer le collège, le lycée, voire l’université. En effet. Durant tout ce temps où