La Mathématique du physicien
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La Mathématique du physicien , livre ebook

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Description

« Le livre de la nature est écrit dans la langue mathématique, et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans lesquels il est humainement impossible d’en comprendre le moindre mot. » Ce célèbre aphorisme de Galilée a scellé l’alliance des mathématiques et de la physique. Et pourtant, trois siècles plus tard, Einstein se montrait plus sceptique. Dans ce livre, Bernard Diu montre que, en effet, si les mathématiques sont un instrument indispensable de la physique, elles n’en constituent pas le fondement. En multipliant les exemples, il marque la différence entre la mathématique du mathématicien et celle du physicien. Un livre de nature à remettre en question l’enseignement de la physique dans nos écoles et des sciences en général, soumis à l’hégémonie des mathématiques. Bernard Diu est professeur émérite à l’université Denis-Diderot-Paris-VII et chercheur au laboratoire de physique théorique des hautes énergies du Campus Jussieu. Il a publié Les atomes existent-ils vraiment ?, Traité de physique à l’usage des profanes, Les théories meurent aussi, et, avec Bénédicte Leclercq, La Physique mot à mot.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mars 2010
Nombre de lectures 38
EAN13 9782738197528
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© ODILE JACOB, MARS 2010
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9752-8
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
« Et lorsque l’Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit un silence dans le ciel. »
Apocalypse de Jean.
Prologue
Divorce

« Sa vie est un étrange et douloureux divorce. »
Louis A RAGON

«  Il libro della natura è scritto nella lingua matematica 1 .  » «  Si, ma deve essere letto nella lingua fisica 2 . » L’aphorisme de Galilée – le premier (1623) – marque pour la physique une étape cruciale : son émergence, pourrait-on dire, d’une longue enfance obscure et confuse ; elle savait désormais s’exprimer dans une langue précise, et lire dans le texte, par son truchement, la Grande Bible bariolée et multiple des Choses. La seconde maxime, bien postérieure (1975), émane d’un physicien américain, David Goodstein 3 , pétri d’humour et féru de culture italienne. Elle n’en revendique pas moins le droit, pour la physique, d’inventer sa langue propre, de l’appliquer à une véritable lecture de la réalité, et d’édifier sur son socle une culture autonome. Cette revendication décisive a trop longtemps tardé à se faire jour puis à s’affirmer ; elle est, encore aujourd’hui, combattue et rejetée comme absurde et sans fondement par la corporation solidaire et puissante des mathématiciens. Ils ne veulent y voir que symptôme d’une incapacité, incapacité des physiciens, dans leur ensemble, à saisir et à appréhender les notions les plus générales – seules pourtant pertinentes, selon eux –, et à développer une argumentation sans concession ni faille – seule pourtant qui vaille, selon eux – : de fieffés mauvais élèves, s’il est permis d’appeler « chat » un chat .
Face à cette attitude assurée et inflexible des mathématiciens, maint physicien préfère louvoyer et courber l’échine : il évoque en public, à pleine voix, comme talismans et sésames, des concepts et résultats qu’il ignore pour l’essentiel et que du reste il n’utilise jamais, mais qui lui vaudront la bienveillance des dieux. L’affrontement ouvert, explicite, est rarement assumé du côté physicien. Il affleure pourtant de temps à autre, clairement identifié mais aussitôt nié, dans des tournures s’appuyant sur l’humour – généralement noir. Tel ouvrage de physique théorique avancée ( Les Théories de jauge 4 ) termine les références bibliographiques de son chapitre 5 par cette phrase délicieusement désenchantée : « Des traités complètement incompréhensibles au physicien moyen peuvent être trouvés dans n’importe quelle bibliothèque . »
Ce déchirement postgaliléen qui scinda irrémédiablement le groupe des disciplines dites « dures », cette lutte intestine et fratricide qui nie – contre toute évidence – ses enjeux et jusqu’à son existence, je les ressentis d’abord dans ma chair, pour ainsi dire, avant de prendre conscience de leur universalité et de leur nécessité inéluctable : «  Dites ces mots ma vie et retenez vos larmes . »
J’abordais les études universitaires. Laurent Schwartz venait d’inaugurer son certificat de licence intitulé Méthodes mathématiques de la physique. Déjà ce titre acquérait une valeur symbolique considérable. À s’en tenir délibérément à la superficie des mots, on perçoit une intention évidente décidément louable : un mathématicien – prestigieux – se propose pour mettre à l’étrier le pied peu assuré de l’apprenti physicien, en lui épargnant les affres de tels développements par trop techniques qui lui seraient par trop inutiles. À y regarder de plus près, on discernait l’aura quelque peu sulfureuse qui émanait, dans l’université, de ces mêmes mots et de leur agencement. Ce n’est plus ici le vocable « mathématiques » qui tient la vedette, mais bien le vocable « physique » ; celui-ci se présente comme substantif, alors que celui-là a été rétrogradé au rang de qualificatif, se rapportant de surcroît à un terme de connotation principalement technique, « méthodes ». On peut voir là un double renoncement, impensable jusqu’alors : au plan emblématique – essentiel en l’occurrence –, la mathématique accepte de céder le premier rang qui lui est toujours réservé dans quelque classification que ce puisse être ; au plan épistémologique, elle abandonne son hégémonie plurimillénaire de science ultime et sublime – qui trouve en elle-même sa propre justification –, pour proposer des recettes à une discipline fondamentalement autre, puisque tributaire d’une réalité objective qui s’impose à elle de l’extérieur.
Néanmoins, une fois rompu, par le titre même du certificat, le tabou bivalent qui protégeait jalousement la mathématique, s’imposaient des interrogations qui s’annonçaient redoutables : quels sujets choisir, qui seraient traités, et de quelle manière ? Ces questions trouvèrent solution sans controverse ni délai. Pour ce qui est de la manière, Laurent Schwartz ne souffrait guère de rival. Quant aux sujets, nul n’aurait seulement songé à lui en disputer la sélection. N’avait-il pas élaboré, sous l’appellation de « théorie des distributions », un édifice axiomatique qui réunissait en un formalisme unique et rigoureux les distributions volumiques d’électricité avec les charges ponctuelles ? N’était-il pas naturel qu’il l’enseignât aux étudiants physiciens ? Il le fit, et je me remémore avec émotion et reconnaissance ses cours lumineux et enthousiasmants : «  Si Peau d’Âne m’était conté, / J’y prendrais un plaisir extrême . »
Ce ne fut pas, en vérité, la répartition spatiale de l’électricité qui inspira Laurent Schwartz dans sa découverte, mais bien plutôt l’émergence et le développement, vers les années 1930, d’une théorie physique nouvelle et révolutionnaire, la mécanique quantique 5 , et tout particulièrement l’invention, par Paul Dirac, d’un outil remarquable mais fort curieux, la « fonction delta 6  » : la théorie des distributions réussissait ce tour de force d’accommoder dans le giron strict de la mathématique inflexible cet instrument primitif, qu’on aurait cru vestige d’un lointain âge farouche.
Elle se fondait pour ce faire – je m’en souviens encore comme d’hier, après tant d’années – sur « l’espace des fonctions indéfiniment dérivables et à support borné ». Toutefois, à peine sorti du temple voué à l’Être mathématique suprême où se célébrait son culte – fût-ce pour le rendre accessible aux pécheurs physiciens –, je fus happé par la dure réalité profane, que parsemaient une myriade de fonctions en tous genres, de dérivabilité et de supports douteux et incontrôlables. Elles se bousculaient de toutes parts, me pressant de les admettre dans le sein de la mécanique quantique, où trônait la fonction delta de Dirac. Et jamais, au grand jamais, n’émana la moindre plainte de ces fonctions qui entraient en jeu pêle-mêle – pourvu que quelques règles simples de conduite fussent respectées. Mieux : ces manipulations aboutissaient bien sagement – malgré une incurie avérée devant l’Éternel mathématique – à des résultats crédibles, et même corrects, en fin de compte.
Je dois m’accuser en outre d’un péché plus grave encore, capital. Le hasard – que non pas : la nécessité, tant se montrait commode et efficace la démarche de Dirac – m’amena à enseigner la fonction delta à des étudiants en physique, afin de leur ouvrir une porte technique vers la mécanique quantique. Je « réinventai » le sujet, pour qu’il fût mieux compris, et en moins de temps. J’empruntai des chemins de traverse et des sentiers boueux où aucun escarpin mathématique ne se fût aventuré. Mais les étudiants apprirent à utiliser convenablement la fonction delta.
Je compris ainsi que le divorce était consommé, irrémédiable, mais exemplaire et édifiant. Divorce entre, d’une part, les « distributions » mathématiques chères à Laurent Schwartz – professeur que je révérais et admirais – et, d’autre part, la « fonction delta » de Dirac, dont j’usais tous les jours et que j’enseignais tous les ans, sans qu’elle me mît jamais en défaut, quelque délicates et subtiles que pussent s’avérer les situations physiques.
Depuis lors ne cessèrent de se manifester à mes yeux, dans des circonstances radicalement et profondément diverses et partout réparties dans le vaste champ de la physique, des divergences fondamentales et irréductibles entre mathématiciens et physiciens, quant à la nature et à la signification véritable d’objets théoriques et de procédés techniques dont use couramment la physique dans son appréhension de la réalité. Au point que les mânes de Galilée regrettent peut-être sa révélation, à voir ainsi ses disciples en proie à des disputes, voire à des guerres de religion.
Dans mon université, certain jour, une jeune mathématicienne et une jeune physicienne – amies par ailleurs et férues toutes deux de pédagogie – imaginèrent d’exposer conjointement aux étudiants, dans un même amphithéâtre où elles se relaieraient et s’interpelleraient, un sujet commun. Elles choisirent, pour ouvrir ce débat public, les « différentielles ».
Le calcul différentiel – ou calcul infinitésimal – fut inventé simultanément, et indépendamment, par Isaac Newton et Gottfried Wilhelm Leibniz. Ce fut là une avancée décisive dans les possibilités du calcul scientifique.
Figurons-nous par exemple Newton, alors qu’il vient d’énoncer la loi de la gravitation universelle, cherchant à évaluer le poids d’un objet – une pomme ? – situé au voisinage immédiat

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