Pour une écologie du sensible
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Description

Alors que la biodiversité s’étiole sous l’effet du réchauffement climatique et des pratiques agricoles intensives, la science offre comme remède une écologie impuissante à rétablir le contact entre l’Homme et la Nature. Héritée des Lumières et d’une vision pleinement rationaliste des choses, aurait-elle oublié en chemin que la Nature n’est pas un objet de science, mais un prolongement de nous-mêmes qui ne se laisse pas mettre en équations ? Empreinte de cette vision mécaniste du vivant, l’écologie scientifique ignore trop souvent la dimension humaine et sensible de notre rapport à la Nature. C’est à fonder une écologie différente qu’incite ce livre. Plutôt que des grands concepts, des calculs et des simulations complexes, il faut désormais penser comme un tout indissoluble le vivant et son environnement, afin de retrouver le plaisir tout simple du contact direct avec la plante et l’animal, cette proximité essentielle dont tout le reste découlera. Cette écologie du sensible, et non de la seule raison, est peut-être la clé de notre survie. Jacques Tassin est chercheur en écologie végétale au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). Il est l’auteur de À quoi pensent les plantes ? et Penser comme un arbre. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 janvier 2020
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738148971
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB, FÉVRIER 2020 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4897-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Composition numérique réalisée par Facompo
Pour Anne, grâce du Ciel, chair du Monde.
« L’homme, c’est le vivant séparé de la vie par la science et s’essayant de rejoindre la vie à travers la science. »
Georges C ANGUILHEM .
Introduction

« Nous vivons au milieu d’elle et nous lui sommes étrangers. »
Georg Christoph T OBLER .

Comment sommes-nous devenus des étrangers sur notre Terre ? Comment avons-nous été expulsés de la biosphère et comment avons-nous pu laisser rompre le dialogue avec ce qui n’est pas humain ? Mais surtout, comment désormais rétablir cette convivialité première qui nous fait tant défaut ?
Dans cette période charnière où, au-delà de tout discours catastrophiste, notre devenir paraît étroitement dépendant de notre capacité à mieux collaborer avec l’ensemble du vivant, il n’existe probablement plus aujourd’hui de questions aussi fondamentales et cruciales. À ce titre, l’écologie occupe une place centrale. Dérivée des mots grecs oikos (maison) et lógos (discours), elle est, littéralement, ce que nous disons de notre maison qui est la Terre. Au plan scientifique, elle représente la science des conditions d’existence du vivant.
Or, selon une orientation dont elle peine à se départir, l’écologie, dans toutes ses acceptions, s’enfonce toujours davantage dans l’opposition entre l’Homme et la Nature, creusant le fossé entre l’Homme et la Terre. Elle restreint le savoir écologique au savoir environnemental, ignorant ou faisant semblant d’ignorer les rapports sensibles et profonds de l’humain au non-humain, leur coprésence, leur connexion constitutive. En conséquence, les solutions qu’elle propose à la crise de notre rapport à la Terre demeurent sans effet.
Il y a presque trente ans, un groupe de 1 700 scientifiques, dont de nombreux prix Nobel, signaient un « avertissement des scientifiques du monde entier à l’humanité ». Cette tribune nous informait que nous entrions dans une sorte de collision avec la biosphère qui nous entoure, en jouant trop inconsidérément avec les limites de ce qu’elle pouvait supporter. En 2017, le même manifeste se renouvelait, étoffé de données réactualisées, validant les craintes précédemment émises, signé cette fois de plus de 15 000 scientifiques, mais réaffirmant avec plus de force encore le même dualisme délétère. Combien de temps cela peut-il perdurer ? En 2042, ce seront peut-être 150 000 scientifiques réunis autour d’une nouvelle version.
Peut-être. À moins que…
Partout désormais, le vivant se porte mal. Nous aurions pu 1 , chacun d’entre nous, très simplement ouvrir nos sens, nous réinsérer dans cette vaste et merveilleuse matrice sensible qui nous immerge dans la continuité du vivant. Nul être ne peut constitutivement s’y soustraire. Pourtant, la modernité nous en a arrachés. Nous aurions pu, dans la forêt des signes que prodigue la vie, interpréter ces voix qui interpellent le monde. Nous aurions pu prêter l’oreille aux abeilles affaiblies, qui nous informent que le vivant s’épuise d’un ajustement impossible à une chimie mortifère. Nous aurions pu, au spectacle des perruches à collier traversant nos villes en bandes bruyantes, reconnaître en elles les premières donneuses d’alertes d’un réchauffement global aux effets puissants. Nous aurions pu, en reprenant la parabole des pare-brise désormais immaculés d’insectes, nous rendre compte que nous ne voyons plus le vivant que par écrans interposés. Nous aurions pu, en regardant les vieux chênes pubescents s’étioler année après année, parcourus d’embolies gazeuses sous le poids des sécheresses répétées, percevoir dans notre propre gorge cette soif de la Terre que les pluies n’étanchent plus. Nous aurions ainsi pu directement percevoir, en consentant davantage à la réalité de notre constitution organique, ce qui se jouait non pas seulement autour de nous, mais dans notre propre corps sensible.
Nous aurions pu comprendre, si nous avions accordé davantage de crédit à nos sens, que le vivant n’en peut plus. Qu’il lutte désormais pour une survie incertaine. Qu’une grande bascule semble désormais se préparer. Et que cette bascule est due à notre propre détachement de la matrice du vivant.

Consentir à l’étoffe sensible du vivant
L’engagement au monde de notre corps y aurait suffi. Nous aurions alors réagi. Nos sens auraient réveillé notre bon sens . Nous aurions donné à notre mode de vie, sinon un coup de frein, du moins un coup de volant salutaire. Mais au fond de nous, nous avons laissé corrompre ce fil sensible, si ténu, si fragile, qui nous relie au vivant et nous accorde harmonieusement à ce qui n’est pas nous-mêmes. À force de le conceptualiser, de l’hyperintellectualiser, de le virtualiser, de le réduire à des termes hors de tout lieu et de tout temps, tels ceux de « Nature » ou de « biodiversité », nous nous sommes retirés du monde vivant, désolidarisés, nous avons rompu le fil le reliant à notre chair, cette « toile biosphérique 2  » dont nous ne percevons plus aujourd’hui que les tremblements.
Nos corps s’en sont retirés, devenus des machines œuvrant dans des salles de musculation ou d’amincissement. Nous avons certes inventé l’écologie, sésame polymorphe que l’on croyait salvateur, d’abord science, puis mouvement de pensée auquel il nous eût suffi d’adhérer… Mais ce faisant, notre fil intérieur, ce fil nous reliant à la continuité du vivant, n’a jamais cessé de s’effilocher. En négligeant le primat de notre constitution sensible, nous avons malmené l’écologie. Nous l’avons placée à distance raisonnable du vivant.
Ce « sensible » dont parle ce livre ne tient pas de l’émotion, ni de cette peur répulsive qui creuse les distances et induit la fuite, hélas maladroitement entretenue par le discours écologiste contemporain. Il ne tient ni d’un vitalisme victorieux de la matière, ni d’un ésotérisme invitant à abandonner la raison. Ce terme volontairement substantivé renvoie non seulement à l’une des conditions de la vie, mais aussi à ce qui rend possible cette continuité qui opère d’une entité vivante à une autre. Je soutiens l’hypothèse que c’est par la voie du sensible que la vie, composant avec les nécessités d’une matière qu’elle peut alors infléchir et organiser, s’ajuste aux contingences changeantes de l’« environnement ».
Si le sensible n’est pas la vie même, il en est le fil. Près de quatre milliards d’années après l’apparition de la vie, le sensible s’est entremêlé en une pelote inextricable qui permet à la vie de tisser l’étoffe du vivant. Dans sa constitution, l’humain, ni dans sa culture (sa part spécifique de la Nature), ni dans sa propre nature (sa part commune de la Nature), ne peut être isolé de la trame sensible du vivant. La pire des extinctions serait celle de notre lien organique au vivant. Ce que l’entomologiste américain Robert Pyle nommait, il y a déjà quarante ans, en 1978, l’extinction de l’expérience 3 . Ainsi résumait-il son propos : « Je pense que l’une des plus grandes causes de la crise écologique actuelle est l’état d’aliénation personnelle par rapport à la Nature dans lequel vivent de nombreux individus ; […] ce qui nous fait défaut, c’est un sens étendu de l’intimité avec le monde vivant. »
Sans rétablissement de ce lien intime, pleinement sensible, nous nous désolidarisons du monde, et flottons tels des satellites… Rétablir ce lien, c’est à l’inverse demeurer arrimés à notre Terre, sans même avoir à nous demander, pour reprendre le mot du philosophe et sociologue des sciences Bruno Latour, où nous pourrions bien atterrir 4 . Nous pensons la vie comme trop éloignée de nous. Le monde dont nous discourons n’est plus un monde éprouvé. Les murs de données qu’érige l’écologie ne nous permettent plus de voir ni d’écouter les manifestations du vivant. Seul subsiste ce vide glacial que l’effondrement des populations végétales et animales creuse en nous et autour de nous.
Or une écologie réellement centrée sur le vivant peut-elle vraiment s’affranchir d’un engagement de nos facultés sensibles, d’une connaissance première engageant notre corps ? Je ne le pense pas. C’est pourquoi j’ai écrit ce livre.

Redonner sens aux sens
La convivialité est constitutive de la vie qui ne se suffit jamais à elle-même. Cette convivialité est la vie même. Circonscrit à ses frontières corporelles, nul être vivant ne peut exister. Ouvert à l’au-delà de soi, dès lors sensible, percevant et perçu, il atteint sa plénitude existentielle. L’altération des continuités sensibles engendre des dysfonctionnements délétères au sein du vivant, dans notre propre fonctionnement comme dans celui des autres espèces.
Mais évoquer le sensible, avouons que cela ne fait ni moderne, ni scientifique, ni même sérieux. C’est même, pourrait-on ironiser, ne pas avoir les pieds sur terre . Pour nous reterrestrer , nous devrions au contraire nous servir exclusivement de notre raison, sans céder aux mirages et aux insuffisances des sens, qu’il faudrait réserver aux seuls artistes et autres rêveurs. Or, cette opposition du sensible et du rationnel demeure illégitime et fondée sur un grand malentendu. Elle tient précisément, nous le verrons dans le premier chapitre de ce livre, à une savoureuse erreur de raisonnement.
Cela n’est, hélas, pas sans conséquences. En reniant not

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