La Fourmi et le Sociobiologiste
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La Fourmi et le Sociobiologiste , livre ebook

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Description

Les sociobiologistes interprètent les sociétés animales dans le cadre de la théorie de l'Évolution. Ils s'intéressent en particulier aux fourmis et aux abeilles. Les résultats de leurs recherches conduisent à se demander si leur démarche ne pourrait pas contribuer à mieux faire comprendre l'Homme lui-même. Pierre Jaisson, l'un de nos meilleurs spécialistes des sociétés animales, dresse le premier bilan sérieux d'une approche scientifique qu'il faut coûte que coûte préserver des idéologues. Professeur à l'université de Villetaneuse, où il a fondé le laboratoire d'éthologie expérimentale (CNRS), Pierre Jaisson préside l'Union internationale pour l'étude des insectes sociaux.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 1993
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738160232
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , AVRIL 1993
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6023-2
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
À mes étudiants, qui par leur soif de connaître, leur esprit ouvert, et leur exigence à l’égard de leur professeur, m’ont aidé à progresser dans mes propres concepts.
« Il ne nous faut guère non plus d’offices, de règles et de lois de vivre, en notre communauté, qu’il n’en faut aux grues et aux fourmis en la leur. Et, ce néanmoins, nous voyons qu’elles s’y conduisent très ordonnément sans érudition. Si l’homme était sage, il prendrait le vray prix de chaque chose selon qu’elle serait la plus utile et propre à sa vie. »

Michel de Montaigne, Essais , livre II, chapitre 12 (Apologie de Raymond Sebond) , Simon Millanges, Bordeaux, 1580.
Introduction

La fourmi a bonne presse. Les publicitaires jouent de son image positive pour lui associer leurs produits, persuadés d’accroître ainsi leurs chances de gagner notre confiance, et notre porte-monnaie. Lorsqu’un haut responsable français déclarait récemment que les Japonais vivent comme des fourmis, nos amis nippons s’en sont vexés un peu vite, pour n’avoir pas perçu qu’au travers de cette image se dissimulait notre fascination secrète pour leur réussite économique. Car les fourmis exercent une sorte de fascination. La Fontaine, sans doute, en porte quelque responsabilité, lui qui louait le sérieux et l’efficacité de la fourmi, si différente de la frivole cigale. Et quel naturaliste aussi n’est pas resté subjugué par l’observation d’une fourmilière ? Quand on saura que le poids de toutes les fourmis de la planète est du même ordre de grandeur que celui de l’humanité entière, on comprendra que l’intérêt pour ces insectes est loin d’être injustifié.
La sociobiologie commence pour ainsi dire par les fourmis. Constatant que l’extraordinaire succès écologique de cette forme de vie représente un phénomène biologique de premier ordre, elle a fait sien l’intérêt pour cet insecte. Cette discipline constate que la socialité est un même phénomène apparu indépendamment dans différents groupes animaux. Chez les primates, elle n’a pas été inventée par l’Homme 1 , mais par un lointain ancêtre qui lui est commun avec différents singes actuels. Apportant une efficacité très supérieure dans l’exploitation des ressources du milieu, par rapport à la vie solitaire, la société apparaît désormais comme l’un des événements majeurs de l’Évolution. Le but de la sociobiologie est d’en rechercher à la fois les causes et les conséquences. C’est là son mérite. C’est aussi ce qu’on lui reproche.
Car le mot sociobiologie continue, aujourd’hui encore, de susciter la méfiance souvent, parfois l’indignation. Cette réaction – et l’affectivité qui l’accompagne – repose rarement sur des arguments rationnels ou sur une connaissance véritable de la sociobiologie en tant que discipline scientifique : elle relève généralement de la rumeur et du préjugé.
La méfiance persistante vis-à-vis de cette discipline nouvelle peut s’expliquer par la polémique idéologique qui fit rage, en France, entre 1977 et 1981, empêchant toute discussion sur le fond. Il est vrai qu’auparavant, cette jeune science, codifiée par Edward Wilson, avait eu une naissance troublée aux États-Unis 2 . Certaines déclarations maladroites, certains écrits insuffisamment nuancés des premiers sociobiologistes n’avaient pas arrangé la situation. Mais la communauté scientifique américaine a rapidement fait la part des choses entre la discipline scientifique elle-même, et les prises de position qui poursuivaient d’autres buts, surtout idéologiques ou politiques. Il y avait ainsi des partisans douteux, à la recherche d’une caution scientifique qui justifierait leur volonté de ne voir dans le comportement humain que l’expression de déterminismes génétiques ; mais il y avait aussi des adversaires farouchement – et dogmatiquement – opposés à toute incursion du biologique dans le social, perçue comme une véritable agression. La confusion s’est dissipée assez vite, et le philosophe Charles Frankel, peu susceptible de la moindre sympathie pour les sombres desseins (racisme, sexisme, maintien du statut quo social, etc.) prêtés à la sociobiologie par ses plus virulents détracteurs, disait de Wilson, dès 1979 3  : « Il appartient donc à la catégorie des grands visionnaires ; mais plutôt que dans la tradition de Marx ou de Spencer, il se situe dans celle de Descartes. […] les visionnaires et les prophètes du premier jour s’acquittent d’une tâche indispensable. Même si les possibilités qu’ils envisagent se trouvent dans leur ensemble hors de portée, ils entrevoient des objectifs invisibles pour leurs contemporains ; et certains de ces objectifs sont atteints. »
L’autonomie réelle des universités américaines et la décentralisation de l’initiative scientifique ont permis aux chercheurs de tester les approches proposées par la sociobiologie. L’épreuve des faits a été fatale à la polémique : devant l’accumulation des découvertes nouvelles, le nombre d’équipes scientifiques travaillant dans le paradigme sociobiologique n’a cessé de croître, entraînant des reconversions spectaculaires. Le bilan de la sociobiologie fut reconnu dans des articles publiés, pour son dixième anniversaire, aussi bien aux États-Unis qu’en Grande-Bretagne 4 .
En France, pour cause de centralisme, une telle régulation n’a pas eu lieu. La sociobiologie a été irrémédiablement victime de ce que le philosophe et politologue Pierre-André Taguieff a appelé une « logique de l’amalgame, par réduction du sens d’une théorie à d’indésirables effets qu’on lui impute en tant qu’inéluctables 5  ».
Si le bilan de la sociobiologie avait été nul ou même médiocre, nous ne pourrions que nous féliciter que l’attitude adoptée dans notre pays ait permis d’éviter de perdre temps et énergie dans l’exploration d’une direction stérile scientifiquement, mais riche en controverses : la fin aurait fait oublier les moyens. Mais c’est le contraire qui s’est produit, et le tabou anti-sociobiologique a eu pour résultat d’appauvrir singulièrement le développement de la biologie des organismes et des populations. En outre, la défaite est double, car du fait de l’absence de compétences officiellement reconnues, on a laissé sans contrôle ce domaine délicat et important du point de vue éthique, ouvrant la voie à tous les dérapages.
Le 12 avril 1980 , un hebdomadaire écrivait sous le titre « Les supercheries du Pr. Wilson » : « Aujourd’hui, l’aventureux Pr. Wilson semble à la fois confondu par la biologie et par les sciences humaines 6 . » Le 17 janvier 1991 , sous le titre « Des fourmis et des hommes », il s’interrogeait : « Et si Edward Wilson, longtemps dépeint comme un dangereux réductionniste, était en fait un visionnaire ? » Il aura fallu douze ans, en France, pour découvrir ce que Frankel, aux États-Unis, écrivait dès 1979 ! Tant d’années de retard dans ce secteur de la biologie moderne ne pourront se rattraper sans d’importants efforts : en 1991, parmi les cent cinquante-sept membres de la Société européenne de sociobiologie, on ne comptait qu’un seul Français…

Anthropomorphisme et « formicomorphisme »
L’Homme détient assurément le monopole du culturel, c’est-à-dire de cette forme de connaissance acquise qui s’accumule sans cesse, se transmet à l’intérieur des générations et passe aux générations suivantes par un luxe de moyens de communication. Mais ce serait une illusion de penser qu’il en va de même pour ce qui est du social, comme on le croit si souvent. L’anthropomorphisme nous est familier ; il teinte inévitablement le regard que nous portons sur les animaux : c’est ainsi qu’on attribue des intentions aux fourmis, qu’on leur fait tirer des charrettes, conduire des véhicules ou naviguer sur des radeaux, etc. En revanche, renverser la situation, penser certains de nos comportements à partir du modèle des fourmis nous paraît insupportable. Pourtant, nous en sommes parfois plus proches que nous le croyons… Lorsque, dans le livre de la Genèse , le patriarche Isaac, aveugle et se fiant à son odorat, est dupé par Jacob, son fils cadet, qui revêt les vêtements de l’aîné pour usurper une bénédiction 7 , la situation est très analogue à celle qui prévaut chez la fourmi. En effet, c’est en les flairant qu’elle reconnaît ses apparentés dans les profondeurs obscures de la fourmilière. Les découvertes récentes du rôle de l’olfaction dans la reconnaissance interindividuelle chez l’Homme permettent d’appuyer encore l’analogie, même s’il nous coûte de l’admettre…
Les sociétés animales sont fondées sur des comportements d’entraide mutuelle. Mais comment expliquer ces comportements d’entraide, voire de sacrifice à la collectivité, qui supposent que certains animaux œuvrent pour le succès de la société à laquelle ils appartiennent plutôt que d’assurer leur propre survie ? On pouvait s’attendre à ce que l’étude des insectes, relativement moins complexes que les vertébrés, offre à la sociobiologie ses progrès les plus spectaculaires. Des avancées significatives ont eu lieu aussi dans la compréhension de la vie sociale des oiseaux et des mammifères. Malgré des succès encourageants, ces dernières années, la superposition du culturel et du social ainsi que la limitation (nécessaire) des possibilités expérimentales ont limité

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