La Décision
264 pages
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La Décision , livre ebook

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Description

Comment prend-on une décision ? En calculant le pour et le contre ? En gardant la tête froide pour évaluer ses chances de succès ou ses risques d'échec ? En faisant taire ses passions ? Et si la décision n'était rien de tout cela ? Si la décision n'était pas raison mais action ? Et si ce que nous appelons aujourd'hui « les décideurs » étaient avant tout des « hommes d'actions » ?Ce livre renouvelle entièrement nos idées sur la prise de décision en étudiant au plus près comment notre cerveau s'y prend pour décider. On y découvrira un cerveau parieur. Un cerveau joueur. Un cerveau qui dialogue avec le corps sensible et son double. Un cerveau ému. Professeur au Collège de France, Alain Berthoz dirige le laboratoire de physiologie de la perception et de l'action (CNRS-Collège de France). Il a publié un essai sur Le Sens du mouvement et des Leçons sur le corps, le cerveau et l'esprit, chez Odile Jacob.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2003
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738190635
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , JANVIER  2003
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9063-5
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Introduction

Il est toujours recommandé de percevoir clairement notre ignorance .
Charles D ARWIN 1

Nous émergeons d’un siècle soumis à la puissance de la raison. C’est elle qui nous a permis de découvrir les propriétés fondamentales de la matière, de transplanter le cœur, symbole de l’amour , d’une poitrine dans une autre. Elle nous a rendu accessible la Lune, muse préférée des poètes, et demain nous conduira jusqu’à Mars. La raison, munie de son sceptre la technologie, nous permet d’aborder aujourd’hui le cerveau, cet extraordinaire produit de l’évolution , par une approche scientifique qui essaie de déterminer les bases neurales des fonctions les plus élevées de la cognition. Elle fait fuir les démons dont on pensait le cerveau des enfants épileptiques torturé, elle déculpabilise les parents des enfants atteints de grandes maladies psychiques comme l’autisme ou la schizophrénie , hier encore attribuées à des traumatismes psychologiques, en en dévoilant l’origine génétique. Elle fait naître l’espoir que les décisions que prennent nos médecins comme nos politiques pourraient être le résultat d’une analyse logique de faits empiriques.
Mais cette raison venue de l’Euphrate par Sumer, Jérusalem, Le Caire, Athènes et Rome, étrange enfant de l’Orient et de l’Occident, des mathématiciens arabes et des astronomes de tous les continents qui ont appris à l’homme qu’il peut prédire le mouvement même des planètes, n’est pas vraiment celle du siècle des Lumières. Elle est raide et froide de rigueur. Elle est indifférente à la douce brume de l’incertitude, elle se protège des pièges et des merveilles de l’imagination, elle nous fait croire que le monde peut être soumis au calcul, que la guerre du Vietnam peut être gagnée par les ordinateurs du Pentagone.
Conscients de ses limites, puisque Heisenberg a montré que la raison ne peut pas connaître à la fois la position et la vitesse d’une particule, les physiciens ont, depuis peu, inventé de nouvelles théories intégrant l’incertitude. Après le calcul des probabilités et la théorie du révérend Bayes qui permet de remonter des effets aux causes, naquirent ainsi les fractals, la théorie des catastrophes, la théorie du chaos, la théorie de la complexité. En biologie aussi le hasard devint le compagnon de la nécessité. Les notions d’entropie furent utilisées pour comprendre la libération de neurotrans-metteurs au niveau de la synapse, les systèmes dynamiques non linéaires, les attracteurs étranges devinrent des notions indispensables pour modéliser des processus aussi différents que le codage neuronal du mouvement dans le cerveau et l’évolution d’une population de campagnols en Suède !
Ayant prévu une revanche de l’émotion sur la raison, Malraux aurait prédit que le XXI e  siècle serait religieux ou ne serait pas. On pourrait penser que cette prédiction prendra la forme d’une nouvelle pensée mystique puisque, apparemment, le cerveau de l’homme et de la femme a encore besoin de dieux – mais plus tolérante, intégrant les données de la raison. En fait, nous assistons à une formidable vague de retour aux formes les plus ésotériques, sectaires, intolérantes, fanatiques, de la pensée religieuse sur fond d’une lutte sans merci pour le profit, d’une exploitation sur toute la planète sans précédent dans l’histoire. Ce siècle s’ouvre sur un déferlement d’initiatives que les théories dont nous disposons semblent trop frustes pour savoir les embrasser. Comment espérer jamais y parvenir si l’on ne comprend pas ce qu’est la décision ?
En effet, cette puissance de la raison nous a fait croire que la décision était le produit du raisonnement. Qu’elle était le privilège de l’homme et de structures de son cerveau situées dans le lobe frontal , comme dans nos grandes entreprises les décideurs ont leur bureau tout en haut de gratte-ciel. Un modèle canonique en est celui de Norman et Shallice 2 qui postule l’existence d’un système « superviseur » réglant le flot d’informations dans les systèmes de gestion des actions. De plus, la domination des théories formalistes et l’hégémonie des linguistes dans les sciences de la cognition ont porté à croire que le raisonnement logique, appuyé sur le langage , était le fondement des processus de décision. Sur ce fond théorique, on comprend qu’apparaissent à ce point innovantes les tentatives élégantes de Damasio visant à réintégrer l’émotion dans les processus de décision, puis, plus récemment, de réincarner la cognition, rejoignant certaines de mes analyses ou celles de neurophysiologistes comme Varela 3 .

Fig. 1-1 Le modèle de Norman et T. Shallice.

D’après Shallice (1982).
Mais il faut aller plus loin. Ce livre est destiné à renverser complètement la perspective. Puisque l’avancée de l’esprit humain est toujours un changement de point de vue , au lieu de partir de la décision comme un processus rationnel, fondé sur des outils logiques, il tire les conséquences du fait que la décision est sans doute la propriété fondamentale du système nerveux, en suivant le guide que j’ai déjà proposé : au début n’était pas la raison, au début n’était pas l’émotion, au début n’était pas le corps, au début était l’acte. L’acte n’est pas le mouvement, l’acte est intention d’interagir avec le monde ou avec soi-même comme partie du monde. L’acte est toujours poursuite d’un but, il est toujours soutenu par une intention. Il se fait donc organisateur de la perception, organisateur du monde perçu.
J’ai développé, dans Le Sens du mouvement , une théorie du fonctionnement cérébral fondée sur l’idée que le cerveau est un simulateur d’action, un générateur d’hypothèses, qu’anticiper et prédire les conséquences des actions en fonction de la mémoire du passé est l’une de ses propriétés fondamentales. La neurophysiologie actuelle et la psychologie cognitive valident ces idées déjà offertes par les penseurs présocratiques et, plus près de nous, chez de grands précurseurs comme Bernstein, Mac Kay, Gibson , etc. Le cerveau est donc essentiellement un comparateur, il compare l’état du monde avec ses hypothèses. Ce n’est pas un transformateur de stimuli en réponses motrices ou en sentiments. Cette activité de comparaison est toujours liée à un « projet » d’action (au sens de « projection »). Il n’y a de mécanismes de la perception séparés de l’action, pas plus qu’il n’y a pas de mécanismes de l’attention séparés de la sélection qu’exerce en permanence le cerveau.

La perception est décision
Je voudrais avancer l’idée que la perception est en fait non seulement une action simulée mais aussi et essentiellement une – décision . Percevoir, ce n’est pas seulement combiner, pondérer, c’est sélectionner. C’est, dans la masse des informations disponibles, choisir celles qui sont pertinentes par rapport à l’action envisagée. C’est lever des ambiguïtés , c’est donc décider.
Contrairement aux idées entretenues par certains courants de psychologie cognitive, je voudrais aussi suggérer que la décision n’est pas un processus apparu seulement avec l’homme et dont le mécanisme dépend du cortex préfrontal 4 et de mécanismes comme la mémoire dite de travail qui nous permet de maintenir présents à l’esprit des faits et des souvenirs pendant que nous réfléchissons 5 .
Il nous faut construire une théorie hiérarchique de la décision , comprendre comment sont organisés à la fois le traitement simultané (parallèle) des informations et leur aspect successif (sériel 6 ). En effet décider c’est lier le présent au passé et au futur, c’est ordonner. Je vais essayer d’illustrer dans ce livre ce que j’entends par ces notions.

Les théories formalistes
Si l’on examine aujourd’hui les publications sur les processus de décision, on trouve des centaines d’articles sur la décision en matière de diagnostic ou de thérapeutique médicale, en économie, en sport, dans les arts de la guerre et la prise de risque en accidentologie, etc. L’examen de cette littérature révèle un paradoxe : des ourages enseignent le meilleur moyen de donner un médicament, faire ou ne pas faire une opération, lancer un produit, prendre une mesure fiscale, arbitrer un match de football, mais ne disent rien de la façon dont le cerveau prend une décision. Tout au plus trouve-t-on en économie une allusion à des travaux, d’ailleurs remarquables, de Kahneman et Tversky (voir chapitre I ). Et encore récemment, Bernard Walliser 7 a publié un livre intitulé Économie cognitive sans donner une seule référence de psychologie cognitive sur les processus de décision !
Il existe aussi une abondante littérature de psychologie cognitive et de théorie de la décision sur notre sujet. Nous n’en donnerons ici qu’un aperçu destiné à contraster ces approches avec la neurobiologie et la physiologie cognitive de la décision que nous proposons de construire. Le besoin d’un rapprochement entre la théorie de la décision et les sciences de la cognition a souvent été souligné mais rarement effectué. On pense que les théoriciens cognitivistes sont parfaitement prêts à adopter le principe d’inférence optimale bayésien , ignorant la découverte faite par les chercheurs en théorie de la décision que les hommes violent systématiquement les axiomes de ces théories

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