Au cœur de la mémoire , livre ebook

Odile Jacob - Jacques Ninio

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99 pages

Français

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Extrait

Description

Nous savons expliquer assez simplement le fonctionnement de la cellule vivante en partant de l’ADN, mais qu’en est-il de la mémoire ? Sera-t-elle réductible, pour les générations futures, à des mécanismes simples et intuitifs ? Avec la patience et l’humilité d’un Mendel croisant des variétés de pois, Jacques Ninio s’est livré pendant des années à des centaines de milliers d’épreuves de mémoire visuelle qui lui permettent aujourd’hui de proposer un modèle inédit du fonctionnement de la mémoire. Émaillé de dialogues familiers, ce livre à l’esprit ludique déplace notre attention de l’habituel : pourquoi j’oublie ?, vers l’énigme véritable : qu’est-ce qui me fait soudain penser à ceci ou à cela ? En supplément, le lecteur naviguera en liberté dans un cahier de photographies souvent insolites. À lui d’aller librement d’une image à l’autre et de se poser des questions sur les liens entre l’image repérée dans une page et celle qui lui ressemble dans une autre. Un ouvrage qui comble un vide sur les mécanismes intimes de la mémoire. Jacques Ninio est directeur de recherche émérite du CNRS. Biologiste, auteur de travaux remarqués en biologie moléculaire et en génétique évolutive, il s’est lancé très tôt dans l’aventure des sciences cognitives. Il poursuit à l’École normale supérieure une triple carrière d’expérimentateur, de théoricien et de créateur d’images. Il a notamment publié L’Empreinte des sens.

Sujets

Science

Neuroscience

Sciences et techniques

Life Sciences

Informations

Publié par	Odile Jacob
Date de parution	24 novembre 2011
Nombre de lectures	0
EAN13	9782738184023
Langue	Français
Poids de l'ouvrage	1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB, NOVEMBRE 2011
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-8402-3
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Préface

Nous avons tous fait des observations, souvent pertinentes, sur notre mémoire ou sur celle de nos proches ; nous avons tous souhaité avoir plus de mémoire pour les choses utiles, et une plus grande faculté d’oubli pour les épisodes douloureux de notre vie. On nous a proposé des tests pour évaluer notre mémoire, on nous a vendu des pilules ou des méthodes pour la muscler, sans savoir au fond comment elle fonctionne. Il faut l’avouer : au XXI e siècle, alors que la science a progressé dans tant de domaines, et que nous savons notamment expliquer l’hérédité et le fonctionnement des cellules vivantes avec l’ADN, le code génétique et les enzymes, nous en sommes restés, pour la mémoire, à des métaphores : le grenier, la bibliothèque, les archives électroniques.
Le principe de la mémoire est-il simple ou compliqué ? Un curieux parcours m’a conduit à m’investir dans le sujet et à y consacrer des années d’expériences minutieuses à l’issue desquelles je propose un modèle de fonctionnement tout compte fait assez simple, qu’on pourrait expliquer aux élèves comme on leur explique aujourd’hui l’ADN et le code génétique. Pourtant ce qui devrait couler de source après coup semble pétrifier aujourd’hui les scientifiques qui sont sur de mauvaises pistes et n’entendent pas se laisser dérouter.
Peut-être qu’ils se sont égarés, en misant sur la doctrine simpliste selon laquelle la mémoire « n’est rien d’autre que » l’apprentissage, lequel « n’est rien d’autre que » du réflexe conditionné amélioré, tel qu’il est étudié chez les mollusques. En misant sur l’équation mémoire = apprentissage = dressage, la science contemporaine a évacué le problème de la mémoire. En guise d’explications, cette science nous livre des organigrammes, avec des flèches reliant des rectangles censés représenter les compartiments de la mémoire. Mais ni au XX e siècle ni au XXI e , on ne s’interroge sur ce qui se passe vraiment à l’intérieur des rectangles, ce à quoi ce livre est consacré.
Y aurait-il, comme je le pense, une merveilleuse petite mécanique neuronale capable de coder un souvenir et de le transporter d’un lieu à un autre dans le cerveau ? J’avancerai une série d’arguments en ce sens. Il y a d’abord des observations que chacun peut faire – s’il veut bien cesser de se lamenter sur ses oublis et ses blocages, cesser de se demander « pourquoi j’oublie ? » et porter son attention sur cette autre question : « Qu’est-ce qui, diable, me fait penser à ça ? » En m’appuyant sur des fragments de dialogues « de tous les jours », j’essaie de dégager la logique de fonctionnement de la mémoire, avec ses ricochets et ses détours. Je décante aussi plus d’un siècle de travaux et d’observations sur les tests de rappel ou de reconnaissance en mémoire, y compris dans les premières fractions de seconde. Enfin, je tire les leçons des résultats que j’ai accumulés au cours de plusieurs années d’expériences minutieuses (un demi-million de mesures de temps de réponse à des tests de mémoire). Ces expériences m’ont permis de pister la migration des traces fraîchement acquises en mémoire visuelle, de déterminer comment ces traces perdent ou ne perdent pas en qualité, cheminent vers l’arrière où elles s’amarrent à des traces plus anciennes, ou vers l’avant pour remonter à la conscience. À la fin de l’ouvrage, j’aborde succinctement trois grands secteurs dans lesquels la théorie de l’esprit peut difficilement se dispenser d’une théorie correcte de la mémoire : le langage, la conscience et le rêve.
Dans un esprit ludique, le livre est agrémenté de seize pages d’images en couleur, souvent insolites. Il ne faudra surtout pas les prendre pour des tests de mémoire visuelle. Ce sera plutôt au lecteur d’aller de l’une à l’autre et, selon ses envies, en un libre parcours, de se poser des questions sur les liens entre les images repérées dans une page et celles vues précédemment dans une autre, ou de se poser d’autres questions et de mieux cerner ainsi les cheminements de sa propre mémoire.
Chapitre 1
Les rouages de la mémoire

La mémoire est au centre de toutes les activités mentales humaines, mais son fonctionnement n’est pas encore élucidé. Dans ce domaine, les neurosciences ont au moins soixante ans de retard sur la génétique et ne s’en rendent même pas compte. Avec la découverte de la structure de l’ADN en 1953, toute la génétique et une grande partie de la biologie moléculaire ont pu s’ordonner autour de cette structure, et l’on a pu expliquer aux profanes le fonctionnement d’une cellule en partant des propriétés de l’ADN. Les premières lois de la génétique ont été publiées par Mendel en 1866. Avant lui, il y avait bien une notion de transmission héréditaire, avec des formulations métaphoriques (avoir le sang de ses ancêtres). On pensait bien qu’un enfant tenait à la fois du père et de la mère, comme se mélange une purée de pois avec une purée de carottes. Cette mauvaise compréhension de l’hérédité posait d’ailleurs des difficultés insurmontables au darwinisme naissant, faisant parfois douter Darwin de sa propre théorie. Peu à peu, les lois de la génétique se sont enrichies et précisées, les chromosomes puis les virus ont été découverts et, au terme d’une épopée maintes fois racontée s’étalant sur près d’un siècle, Watson et Crick ont enfin proposé une petite mécanique de précision, basée sur la structure de la molécule d’ADN, qui rendait évidentes les lois de la génétique. Nous connaissons quelques-unes des lois de la mémoire, grâce à de très nombreuses observations spontanées et aussi à quelques expériences scientifiques, mais les théories qui circulent sur son fonctionnement sont aussi éclairantes que celle du mélange des purées pour la génétique.
Existe-t-il à l’intérieur du cerveau une merveilleuse petite machine neuronale qui serait au cœur du fonctionnement de la mémoire ? C’est le pari que j’ai fait, notamment en me livrant quotidiennement pendant des mois et des mois à des expériences sur la mémoire, quatre heures par jour, qui me permettent, grâce à l’accumulation de centaines de milliers d’observations, d’avancer des idées précises sur le cheminement des traces en mémoire, leurs sauts de puce d’un plot à un autre, et de proposer un modèle de ses rouages essentiels. La mémoire humaine possède des propriétés subtiles et déroutantes, que des littéraires ou des artistes ont parfois observées avant les scientifiques, et qui constituent autant d’indices à partir desquels on peut en esquisser le principe. Je présenterai en alternance des observations accessibles à tous (principalement dans ce chapitre, et au chapitre 4 ) et des résultats, dont les miens, issus des laboratoires de recherche, avec les conclusions que les scientifiques en tirent – ou devraient en tirer.
*
Il est des observations que beaucoup de gens peuvent faire spontanément et dont pourtant les scientifiques ne veulent pas reconnaître les implications, par exemple celle-ci faite au XIX e siècle par Alfred Maury, pionnier français de l’étude des rêves : « Quand nous commençons à apprendre une langue étrangère, nous éprouvons plus de difficultés à retenir les mots de son vocabulaire qu’après que nous nous sommes familiarisés avec elle […]. Au début de cette étude, les mots étrangers pour notre esprit que nous cherchons à nous y graver ne se lient pas aisément à ceux de notre propre idiome avec lesquels ils offrent des disparates marqués ; mais plus nous avons appris de mots de la langue étrangère, plus un mot nouveau trouve dans notre souvenir des mots auxquels il peut s’associer par des analogies de son, d’orthographe, de forme, etc. »
En somme, on mémorise en tissant des liens avec ce qui est déjà en mémoire, et ce d’autant plus facilement que le nombre de liens possibles s’accroît. Je suis convaincu de la justesse de ce principe. Une fois énoncé, il a l’allure d’une vérité éternelle – et pourtant qui l’accepte ? Trop souvent, on se contente d’une pédagogie fondée sur la répétition (« jusqu’à ce que ça rentre dans le crâne »). Plus efficace serait une pédagogie basée sur la variation, où l’on présenterait une idée sous de multiples facettes différentes à chaque fois, jusqu’à ce que chaque élève trouve dans sa mémoire les repères personnels qui permettent d’y amarrer la nouveauté.
Les images abstraites, les syllabes vides de sens, les listes de mots sans rapport les uns avec les autres, les textes formés de phrases sans idée unificatrice sont mal retenus. Le seul fait de fournir un titre, arbitraire, à un paragraphe, favorise sa rétention. Un grand maître, aux échecs, mémorise bien les positions des pièces sur un échiquier, quand celles-ci résultent d’une partie réellement jouée ou jouable. La mémorisation de pièces positionnées au hasard est beaucoup plus difficile. Par conséquent, la mise en mémoire s’appuie sur l’existence de schémas généraux connus du joueur expert.
Il nous est facile d’apprendre une langue étrangère qui ressemble à notre langue maternelle. Pour une mémoire d’ordinateur, s’il faut caser deux vocabulaires appartenant à deux langues différentes, peu importe que ces vocabulaires se ressemblent ou non. Les modèles théoriques à la mode prédisent tous qu’une langue est