Une version des faits
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Description

« C'étaient des paroles du quotidien, des mots que des gens, dans une relation cordiale, auraient pu s'échanger. La presse l'avait baptisé “Le tueur fou” et moi j'avais une version autre de cet homme. Je n'étais pas dupe, il avait tout intérêt à se montrer aimable et sympathique. Il respirait à mon côté en me souriant la plupart du temps. C'était une étrange vie de couple. La “conjugalité” veut dire exactement se tenir sous le même “joug” comme les bœufs à tirer la charrue. Le joug était lourd à porter, mais au bout du sillon la liberté pour lui et le retour au calme pour moi, alors il fallait s'y tenir. » Témoignage qui prend les apparences d'un huis clos entre un homme en cavale et une femme qui accepte malgré elle de l'héberger quelques jours, Une version des faits revient sur la figure criminelle de Pierre Conty, porteuse des espoirs et désillusions de tout un mouvement libertaire et anarchiste. Récit d'un face à face étonnant, voire déstabilisant, ce texte ne consiste ni en un mea culpa, ni en un jugement, ni encore en une tentative de justification a posteriori de la part de son auteur, mais se focalise sur cette rencontre – et cette intimité – improbable, incertaine, voire électrique et dangereuse entre deux personnalités brutes et sans concession.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 février 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342151800
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Une version des faits
Noëlle Sarrola
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Une version des faits
 
 
Septembre 1977
Un son étrange entre feulement et aboiement m’a réveillée. L’aube était imminente. J’étais en veille plus qu’en sommeil, je suis sortie de mon lit immédiatement. Ce ne pouvait être que Makhno. Depuis un an que je l’avais recueilli à la ferme, abandonné et affamé, ce chien n’avait jamais émis un seul son. Frisé, de poil noir, placide et donc taiseux. Pour qu’il se mette à aboyer il fallait vraiment quelque chose d’extraordinaire, et comme j’étais dans l’attente de cette chose, mon cœur s’est mis à battre plus rapidement, mes pensées se sont mises en ordre de bataille. Le moment était arrivé.
Le tintement des cloches dans la chèvrerie s’est fait plus intense, le malaise gagnait tous les abris occupés par les bêtes ; le coq encore dans sa nuit devait se poser des questions, et les oies et le jars ne se manifestaient pas, saisis par la peur de l’obscurité et de l’invisible.
J’ai enfilé la première chemise à portée de main, et pieds nus, je suis descendue rapidement par l’escalier de bois en m’efforçant de faire le moins de bruit possible. Arrivée dans la cuisine, j’ai scruté derrière le carreau de la fenêtre la nuit qui pâlissait. J’ai distinctement vu bouger des formes derrière les arbres, la maison était cernée. Je n’avais pas allumé ma lampe à pétrole. Habituée à vivre sans électricité, je pouvais me déplacer aux heures sombres avec l’aisance d’un chat.
L’aube se levait. On a frappé à la porte avec force et injonction d’ouvrir.
Je m’étais préparée à cet instant, cependant, une sorte de courant d’air glacé a traversé mon ventre. J’ai pris une profonde inspiration pour évacuer le stress. Je me suis dirigée vers la porte d’entrée qui s’est ouverte brutalement avant même que je ne pose la main sur la poignée.
Un homme en noir, cagoulé et armé, m’a immédiatement et littéralement collée face au mur mes bras en l’air. Il m’a immobilisée d’une main puissante et m’a ordonné de ne pas bouger. Tout est allé très vite. Je ne voyais rien mais je pouvais entendre la progression de leurs investigations, sur chaque mètre carré investi. L’ambiance était celle d’un changement de décor sur une scène de théâtre : des pas rapides et feutrés dans un silence approximatif. J’ai entendu les vieilles portes en sapin du premier étage s’ouvrir et se cogner sur les murs, butées sans ménagement par des pieds chaussés de rangers. Ils étaient nombreux à la cavalcade. Ils ont mis moins de deux minutes à faire le tour des pièces de la maison. Il se passait la même chose dans les dépendances et dans tous les recoins de la ferme.
J’aurai dû, en toute logique, me débattre, crier, m’insurger ou au moins protester avec véhémence. Mais je n’étais pas dans cette logique. Je n’arrivais pas à émettre le moindre son. Saisie non pas de stupeur, mais de la soudaine conscience que je ne faisais pas le poids, seule devant cette horde de policiers et de gendarmes.
Le fait a été vite établi qu’il n’y avait personne d’autre que moi dans cette maison et dans ce coin de montagne. C’était la seule chose qui comptait. Pas de traces, pas d’indices, pas de doutes.
De « suspecte », d’un point de vue judiciaire, je sautais à la case ambivalente d’« innocente » d’un point de vue pénal, ou « pas vue, pas prise » d’un point de vue circonstanciel. Certaines cases sont plus confortables et aérées que d’autres, je pouvais respirer normalement.
Face à mon mur, je me repassais mentalement mes derniers faits et gestes, je n’avais en principe rien laissé au hasard, enfin, je l’espérais. Le moins risqué, assurément, était de garder le silence, lequel, après tout, pouvait être interprété comme la réaction normale d’une jeune femme choquée. Les tempéraments s’expriment différemment selon le degré d’innocence ou l’aptitude à la comédie. Outrée, furieuse, colérique, abasourdie, je n’aurais pas été capable de tenir le rôle.
Donc, je fermais les yeux, mutique et stoïque.
J’étais dans une tenue indécente, ma chemise remontée par la position de mes bras en l’air découvrait mes cuisses à la limite de mes fesses. Je n’avais pas de slip. La futilité de cette pensée, dans cette circonstance, me rassura sur ma capacité à garder mon sang-froid. Tournant le dos à tout ce monde, j’ignorais les regards.
La danse classique de mon enfance avait fuselé mes cuisses toutes bronzées en cette fin d’été, et la naissance de mes fesses haut perchées et musclées ne pouvait que susciter une sorte d’empathie esthétique compensatoire à cette activité bien matinale pour des fonctionnaires.
— Négatif ! Négatif chef !
Le mot fut prononcé plusieurs fois, par plusieurs hommes, de l’intérieur de la maison comme de l’extérieur. On m’a dit, sur un ton déjà plus amène, de baisser les bras et de me retourner.
Un homme de petite taille, plutôt rondouillard, s’est présenté comme étant le commissaire principal S…
— Tu sais pourquoi nous sommes là ?
Il avait le sourire en coin. Mauvaise pioche mais bon joueur.
Je n’ai pas souri. J’aurais pu parce que j’avais le jeu en main. Les fesses à l’air, certes, mais dans mon bon droit de l’être ; tandis qu’eux, levés tôt dans la nuit, bottés, cagoulés, casqués et armés jusqu’aux dents pour faire quoi ? Chou blanc, nada  !
Juste obligés d’être un minimum courtois.
Je l’ai joué aplomb prudent, parce que tant qu’ils étaient à fureter de partout la partie n’était pas gagnée. Bien sûr que je savais pourquoi ils étaient là, et eux savaient que je savais.
— Non ! Je ne sais pas.
— T’es sûre que tu n’en as pas une petite idée ?
J’ai haussé les épaules, on n’allait pas jouer au chat et à la souris toute la matinée.
— J’écoute les infos… Je n’ai rien à voir avec toute cette histoire !
J’ai proposé de faire un café. Je savais que j’allais faire mon petit effet. Ces hommes étaient habitués à l’agressivité, faire preuve d’amabilité ne pouvait que les déconcerter.
Le commissaire, surpris, a eu comme un petit grognement entre rictus et ton gêné, et devant ses collègues qui fouillaient la pièce avec méthode et discipline il m’a apostrophée :
— Toi, au moins, tu as la maîtrise de tes nerfs ! Tu es une fille gentille, on n’a pas toujours été aussi bien reçus ces derniers jours… J’accepte ton café. Pour la forme, ceci est une intervention policière avec perquisition.
J’avais deviné…
J’étais vaguement au courant de la procédure. Il aurait dû, je crois, m’en faire part sur le seuil de la porte. Me tendre pour lecture l’ordre de perquisition signé de la main d’un juge.
Vu comment ils avaient fait irruption… Pour un peu je me prenais la porte dans le nez !
Ces hommes avaient en tête d’autres soucis que le respect de l’application à la lettre des commissions rogatoires. Il n’était pas dans mes intentions de chipoter, après tout, cette perquisition, je l’avais suffisamment attendue, l’essentiel était qu’elle ait eu lieu et que je puisse passer, le plus vite possible, à autre chose.
Ils étaient des dizaines. Policiers du SRPJ de Montpellier, de Lyon, gendarmes, hélicoptère, j’avais été particulièrement choyée. Dans la maison, seuls œuvraient les policiers. Les gendarmes surveillaient à l’extérieur. Encore une histoire de procédure, de délégation territoriale, où je ne sais quoi. L’armée, la justice, la police fonctionnent sur des codes complexes établis pour compliquer et ralentir les enquêtes et c’est tant mieux pour les malfrats. Quand ils fonctionnent en code simple, il s’agit de dictature. Entre deux maux…
J’ai souhaité aller m’habiller plus chaudement et décemment, le commissaire m’a donné son autorisation. Un policier m’a suivie jusque dans ma chambre et m’a expliqué qu’il n’avait pas le droit de me quitter des yeux. Au point où j’en étais, me déshabiller devant un fonctionnaire de police ne me posait pas de problème particulier ; quant à lui, il avait certainement dû faire face à de pires situations.
Je suis retournée à la cuisine où la perquisition suivait son cours. J’ai demandé si je pouvais utiliser la bouilloire. Un policier ganté, qui venait de l’ausculter, l’a remplie d’eau pour moi, j’ai montré la boîte à filtres et le paquet de café moulu, qui venaient de subir le même examen et on m’a laissée faire.
Je me sentais observée, en coin, en douce ou de face, des dizaines de regards m’effleuraient. Mes gestes étaient précis, mon attitude pondérée. J’ai pris le temps de voir filtrer mon arabica préféré, seul luxe que je m’autorisais.
Côté propreté on ne pouvait pas me prendre en défaut : les placards impeccables, les tiroirs rangés, les lattes du plancher javellisées, les poignées de porte et de fenêtres astiquées. Pas une tasse, pas un verre, pas un couvert n’avaient échappé au coup de torchon. Même la poubelle sentait bon, le dernier sac à déchets brûlé et le contenant lessivé. Ma mère n’aurait rien trouvé à redire et en serait tombée à genoux, criant au miracle.
Un policier a pris mon Gaffiot sur une étagère. Il a renversé le gros dictionnaire de latin et fait ballotter les pages en accordéon. J’ai baissé le nez. Quarante-huit heures plus tôt s’y trouvaient de bien compromettantes photos d’identité. Je les avais brûlées, mais j’avais bien failli les y oublier ! Ils ont ouvert et secoué chaque livre, document, classeur, cahier, carnet. Matelas retournés, tiroirs vidés de leur contenu et sortis de leurs rails. Mon sac à main inspecté mais je n’avais pas grand-chose dedans hormis mon passeport, ma carte d’identité et un portefeuille. Le commissaire a examiné

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