Une soixantaine de lunes sous le soleil
240 pages
Français

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Une soixantaine de lunes sous le soleil , livre ebook

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Description

Rémy nous conte avec son regard de petit garçon et sa voix d’adulte ses soixante premières lunes, sa petite enfance en somme. Celle-ci commence par un malheur, puisque sa mère meurt renversée par une voiture alors qu’elle court à la recherche d’un thermomètre, son fils étant brûlant de fièvre... Le père, mal accepté par la famille, part alors aussi. Le petit Rémy se retrouve orphelin, mais pas sans famille. Un grand-père extravagant et une grand-mère pleine d’amour lui apprennent les joies de la vie, de la rigolage et des engueulades, mais surtout des conversations à voix feutrée sous les étoiles, sur le balcon...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 mars 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748380866
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Une soixantaine de lunes sous le soleil
Rémy Habchi
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Une soixantaine de lunes sous le soleil
 
 
 
 
Préambule
 
 
 
Au début, ce pays n’était qu’un rêve et vivait dans un rêve. Avec amour et sérénité, il trempait ses pieds dans l’eau tous les jours que Poséidon lui accordait. Lors des moments de calme, il se reflétait dans une onde si pure qu’elle aurait pu convenir à Narcisse, son manteau d’apparat était constellé du vert tendre de figuiers aux racines puissantes, chatoyait de ce bleu de saphir que les feuilles d’olivier dispersent en frémissant sous la caresse d’un vent léger, des rayons aigus d’un soleil qui s’élevait d’un horizon vierge de tout nuage.
C’était un pays qui souffrait de ne pas avoir de légendes. Au plus fort de son émoi, son sommeil n’avait été interrompu que par le piétinement sur ses plages de quelques légions romaines qui se hâtèrent d’empiler quelques colonnes pour marquer leur passage.
Dans son dos, au milieu de ces sables où la vie grouille à l’abri du soleil, des brigands opportunistes jouaient à cache-cache avec des caravanes qui empruntaient leur territoire.
Il n’y a rien dans tout cela que l’Histoire ait retenu : point de champs de bataille prestigieux, point de héros Carthaginois ou Grecs gisant sous leurs armures, et surtout point d’ancêtres qui ne se souviennent d’événements importants qui auraient pu émerveiller leurs petits-enfants.
C’était un pays à qui il manquait des accents toniques, de ceux qui se croisent habituellement dans ces lieux où des bougres de toutes nationalités défendent leur culture avec force vantardise.
Il avait peu à attendre de ces dunes omnivores qui menaçaient d’empiéter sur les jardins, ornés de quelques ficus dont les défenses dentelées disparaissaient sous la poussière, de cactées trop timides pour émerger, de bougainvilliers effrontés qui jouaient les divas et d’arbres trop sérieux qui ne discutaient qu’en comité restreint.
 
En fait, il s’ennuyait ferme et s’en remettait, pour sa toilette du soir, à dévaler ces sentiers parfumés par quelques pousses ambitieuses, pour retrouver ces rochers débonnaires qui souriaient de leurs dents aiguisées par la furie des eaux, mais entartrées d’algues et de coquillages.
Même les géants les plus redoutables se ménagent une aire de repos. Au milieu de cet affrontement terrible durant lequel vagues échevelées et rocs inamovibles se défiaient, il existait des havres de paix où la bave se changeait en mousse légère, et où la pierre se réduisait à des morceaux ronds et délicats, comme des bonbons de toutes les couleurs.
 
C’est là que mon pays se reposait, en foulant ces grèves où les fées et les bons génies avaient fourbi leur magie. Quelquefois, il était empêché par l’intrusion soudaine de quelques pirates venus de je ne sais où et qui menaient grand bruit pour cacher leur angoisse. Alors, il se retranchait derrière les palmes acérées de quelques figuiers de barbarie pour s’informer secrètement des nouvelles de ce Monde.
Mais tout ce fracas n’était qu’épisodique ; il n’y a guère que l’homme qui ne respecte pas le silence. Le reste du temps, il jouissait d’une brise légère qui caresse le flanc et lisse avec doigté la cime de dunes centenaires qui se refont une beauté. Et mon pays avait compris que le trésor que défendaient ces farouches monolithes qui luttaient pied à pied contre les colères éphémères des dieux marins, était fait de ce sable si fin qui recouvre les grèves, tissé comme un tapis étalé pour recevoir un hôte illustre.
Voilà ce qu’était mon pays, avant qu’on le meurtrisse ; il se repaissait de ces crépuscules propices aux pudeurs propres à tous ses habitants, des plus humbles aux plus flamboyants. Il y avait dans le violet de son couchant la couleur de cette encre qui unit tous les écoliers, et dans le souffle léger qui fait frissonner et accompagne la vaguelette vers le gravier qu’elle doit embrasser, comme une main qui se pose doucement sur votre épaule dans les moments d’incertitude.
 
C’est en tout cas ce que j’aurais écrit si, d’aventure, au Cours Moyen, le sujet précis d’une rédaction m’eût poussé à le faire. Et j’imagine déjà les commentaires du genre d’Instituteur que nous avions à l’époque, en me rendant ma copie :
« Oh ! le jeune Rémy, vous allez où comme çà sans parapluie ! Vous nous avez sorti le porte-plume du Dimanche ou quoi ? Vous allez pas me refaire le coup de Victor Hugo qu’il a pas arrêté d’écrire toute sa vie, non ? Parce que si y faut que j’envoie toutes vos rédactions à l’Académie Française, rien qu’avec les frais de timbres, y va falloir que j’apprenne la guitare ou faire la vaisselle pour me payer une anisette ! ». Inutile de vous dire que nos enseignants, bien que rompus à la langue de Molière, se laissaient aller quelquefois à des débordements de langage qui convenaient fort bien aux débordements de rires de toute la classe. Et lorsqu’ils se livraient à ce genre d’exercice, ils paraissaient plus beaux, et l’on excusait leur uniforme et le nôtre ; chacun cachait ses inquiétudes dans cette hilarité où maîtres et élèves se prenaient la main.
Il y avait dans nos écoles une telle disparité de races et de religions, qu’il semblait impossible de rassasier tous ces convives, comme si l’on avait dressé une table où les vivres manquaient.
Alors, nos maîtres se démenaient pour donner à chacun la nourriture qui lui convenait, et ils couraient de l’un à l’autre, en ayant soin d’être au niveau de leur appétit.
J’ai connu cette gourmandise du savoir sans pour autant abandonner des idées que je me faisais de mon monde, et de ceux qui l’habitent. Si je peux me permettre, le pays n’était pas très hospitalier.
 
C’est pourtant là l’Algérie où je suis né, et l’époque dont je vais vous entretenir se situe bien avant mon Cours Moyen ; c’est une époque où des déracinés de tous bords se côtoyaient et s’affrontaient sans autre motif que délimiter leur territoire dans un pays qui avait la candeur de ces forêts tropicales où, comme l’affirmait avec malice un de mes professeurs de géographie, l’homme n’avait pas encore pissé sur les arbres ! (il avait poussé la sagesse jusqu’à nous conseiller le confort d’un platane de chez nous, plutôt que l’aventure d’un de ces arbres exotiques dont l’environnement agressif ne garantissait pas la sauvegarde des attributs masculins !).
Et les hommes étaient aussi étonnés de se trouver là, que ce pays de les accueillir dans ce désordre où il avait vécu sans se préoccuper du lendemain : le rivage était maculé de débris que la Mer avait dégueulés avec mépris après chaque naufrage. Dans les toilettes de sa campagne, il y avait un tel merdier que les premiers à y accéder se sont exclamés :
« Oh putaing, Oh putaing ! ». Ce ne sont là qu’expressions réalistes de gens du Sud-Ouest ou du Sud-Est que je peux raisonnablement imaginer. Quant aux injures proférées dans des langages qui débordent le cadre de l’Hexagone, vous m’excuserez, je pense, de ne pouvoir vous les traduire.
Bref, un chat aurait eu du mal à y retrouver ses petits. Et pourtant, dans toute cette pagaille, au milieu de cette boue, dans ce tourbillon de mots, de gestes et de coups, il y avait des rires qui secouaient des roches promises à un destin séculaire, des lumières qui dérangeaient les prédateurs nocturnes et des musiques entraînantes que des baladins venus d’ailleurs distillaient dans les airs comme une friandise qui fond lentement sur la langue. Longtemps après, j’ai ressenti cette impression étrange d’avoir vécu une « ruée vers le Sud », par analogie avec la « ruée vers l’Ouest » chère aux Américains. Et si j’en juge par la diversité des paysages offerte à toutes les convoitises et la diversité non moins remarquable des nationalités d’aventuriers arrivés là d’horizons qui leur devenaient hostiles, alors il me vient à l’esprit des mots comme « conquête » ou comme « rivalité » qui aiguisaient le regard et les gestes de pauvres bougres en quête d’Eldorado. Sur cette terre vouée au seul calme ou à la seule furie des éléments, on vit en l’espace de quelques années se déverser des cohortes de déserteurs venus d’autres rives de la Méditerranée, bien déterminés à en découdre, malheureux qu’ils étaient du peu de considération que leur avaient montrée leurs semblables.
Tout ce que les pays d’Espagne, d’Italie, de Malte, d’Arabie, de Palestine, d’Allemagne et de France comptaient d’indésirables s’étaient regroupés là pour se mesurer dans un nouveau défi.
Mais de ces antagonismes et de ces combats, il a surgi des mots communs à cette population hétéroclite qui faisaient office de médicaments aux blessures reçues.
 
En ce qui me concerne, je rends grâce à tous ces gens qui, de près ou de loin, m’ont donné de cette force ou de cette humilité propre à modeler une de ces pâtes que l’on cuisait dans des anciens fours d’où l’on tirait, disons, le meilleur ou le pire. Si j’en crois mon Destin, je n’ai pas du faire la fierté de l’artisan !
Pour tout expliquer, je naquis à une époque troublée où les hommes se cherchaient des excuses au milieu d’un beau galimatias, et n’en déplaise aux chasseurs de destins illustres, ma mère n’eut d’autres solutions que de mettre bas dans une clinique au milieu de la Casbah, à Bab-El-Jdid (la « belle porte » d’après les notions d’arabe qui me restent) ; pour les soucieux du détail, j’irai jusqu’à dire qu’il s’agissait de la Clinique Lavergne. Cette précision n’a rien d’honorifique, en ce sens que ces lieux ne pouvaient r

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