Un été pour Ninon
136 pages
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Un été pour Ninon , livre ebook

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Description

« Le lendemain, à l'heure de la pause déjeuner, Olaf était déjà en train de casser la croûte lorsque je braquai un coup d'œil sur lui pendant que je me décidais pour la composition de mon repas devant les hors-d'œuvre. Il n'était pas bien placé du tout, à côté de la procession des étudiants qui venaient du libre-service. Bien entendu, n'importe qui aurait choisi de ne pas s'installer à cette table bruyante et passagère. La preuve que ce n'était pas le bon choix : ils n'étaient que deux à cette table de six, un solitaire et lui. J'optai pour la place à sa gauche. Je rougis de mon audace d'aller me loger à côté de lui ; pourquoi pas à côté du solitaire ? Pourquoi l'avais-je élu, lui ? J'avais le sentiment que tout le monde avait vent de ma manœuvre à ce moment-là. » Voir sans être vue, puis soudain être dans l'objet des regards... Avancer vers l'autre, et le laisser venir à soi... S'abandonner et se dérober... Aimer et partir... Ces mouvements de balancier, cette chorégraphie des yeux et des corps sont à l'œuvre tout au long de ce roman signé Marie Lehmann, qui évoque l'entrée d'une jeune étudiante, Ninon, dans le monde du désir – et plus précisément dans la sphère du désir masculin. Mû par une écriture réaliste et parfois acérée, mais aussi délicate et encline à l'humour, ce récit nous place dans le sillage d'une héroïne qui, de page en page, gagne en liberté et en courage.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 décembre 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342158045
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un été pour Ninon
Marie Lehmann
Publibook

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175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Un été pour Ninon
 
« Tous les bonheurs se ressemblent mais chaque infortune a sa physionomie particulière. »
Tolstoï, Anna Karénine
Première partie
 
C’est au restaurant universitaire, dans la cohue du début d’année, un lundi, que je rencontrai Olaf pour la première fois ; comme il était silencieux, je ne l’avais pas remarqué. J’étais en train d’écouter la conversation de quatre éclairés qui remodelaient l’univers. J’étais envieuse de leurs discours : ils possédaient par rapport à moi qui ne savais pas dire trois mots sans bafouiller (chacun est, quand même, le centre de la terre pour soi !), le maximum de termes savants et originaux placés aux bons endroits des phrases. Je sentis soudain qu’on me distribuait comme des petits coups de bec sur le bras ; c’était avec ses doigts qu’un grand garçon blond m’a importunée. Il était coincé entre le mur et moi et vu que j’étais la seule dotée de mobilité par rapport au mur, il avait pensé à moi pour me déranger. Je me levai de ma chaise puis il me dépassa entre la table et moi, non sans avoir marché conjointement sur ma chaussure et mon pied sensible. Étant donné que j’avais fini mon repas moi aussi, je le suivis puis je le perdis de vue aussitôt et je n’y pensai plus.
J’étais en maîtrise de lettres ; tout au fond de moi, je n’en revenais pas d’avoir avancé d’une année tous les ans ; j’étais persuadée que si j’avais fonctionné sans faute dans mes études, c’était dû au hasard, à la chance, mais il y avait quelque chose dans mon raisonnement qui clochait : la chance, c’était positif, or l’ensemble de ma personne traînait dans un caractère négatif, tourmenté depuis mon enfance. Alors, je me disais que la chance me revenait par un autre côté, comme la face cachée de la lune. Par superstition, j’étais bouche cousue sur mon aubaine d’études, pour peu qu’elle s’en aille comme elle était venue. J’avais encore ma maîtrise à passer et d’autres portes qui allaient accessoirement s’ouvrir d’année en année devant moi. J’étais enveloppée d’une méfiance pour le monde entier du fait que j’étais tout simplement sortie du rang anatomique à partir de mes jeunes années : trop grande, trop maigre, trop blanche, trop blonde.
J’étais de permanence cet après-midi-là dans le laboratoire de lettres dont l’administration universitaire me versait des euros contre ma charge de monitrice. C’était le professeur en titre, celui qui présentait les cours magistraux, notamment Frau, en lettres, qui recrutait le moniteur. Celui-ci devait être intelligent, sérieux et méritant. Cela resterait un mystère que Frau, de tout son parterre de quatrième année, m’ait désignée, moi, fourmi silencieuse et effarouchée comme une gazelle.
J’étais chargée du bon fonctionnement des cours de Frau et des quatre assistants ; je leur faisais des photocopies de textes, j’allais leur chercher des documents à la bibliothèque universitaire, je leur sélectionnais des microfilms, leur prêtais du petit matériel jusqu’aux grands appareils de bureau dans mon laboratoire qui était plutôt genre grand débarras négligé, un bric-à-brac poussiéreux de trucs protégés par des housses sur les tables logées au hasard dans les coins, surtout concentrés à l’intérieur des armoires. Je n’avais pas besoin de m’inquiéter, m’avait dit Frau au début de l’année, l’étudiant-moniteur de l’an passé viendrait me montrer la procédure à adopter pour la fonction qui m’incombait.
J’avais à ma disposition, pour faire mon petit micmac de monitrice, un pupitre en bois et une chaise en fer à côté de la porte de communication entre ma salle et le bureau de Frau. Il recevait les mardis et les jeudis des élèves de lettres et des assistants. De temps en temps, avant ou après ses rendez-vous, il ouvrait la porte de communication et il venait me faire la conversation ; il n’y avait que lui qui discutait. Moi, je souriais, j’opinais de la tête et lorsqu’il était content de lui, d’avoir bien fait naviguer sa langue, il repartait en m’étranglant la main dans la sienne et en me montrant largement toutes ses dents.
 
Le lendemain, autour de midi, après avoir suivi mes quatre cours du matin, j’entamai mon museau de bœuf en salade dans le réfectoire en folie du resto U ; le deuxième jour de la semaine, il y avait nettement moins de monde que le lundi, je n’ai jamais su pourquoi, comme la deuxième année d’étude universitaire par rapport à la première, là, je savais pourquoi ! Je vis arriver Olaf, interrompant le repas de deux étudiants qui étaient sur son passage pour se placer en face de moi. Je comptai rapidement les places qui étaient disponibles entre les mangeurs dans toute la salle. Devant ce constat, je rougis car je savais bien qu’il se tramait quelque chose dans sa tête à mon sujet. Je lui jetai quelques vagues coups d’œil pendant qu’il mangeait. Je m’aperçus qu’il avait les cheveux blond pâle et qu’il était rose de carnation, comme moi. Je fus presque rassurée : peut-être que dans son raisonnement, il classait les blonds naturels pareils à lui, comme il y avait des juifs qui remarquaient les juifs et qui refusaient de se mélanger au reste de la population, qui sait ?
Je levais de plus en plus les yeux sur lui mais il ne me regardait jamais ; il prenait bien soin de fixer l’une ou l’autre de ses assiettes et n’en finissait pas d’avaler. J’étais tout à fait tranquille, comme s’il n’existait pas et je pus poursuivre mon repas, tout en inspectant les beaux, les laids, les petits, les géants, ceux qui parlaient fort, qui avaient un drôle d’accent, bref, tous ceux qui se singularisaient.
En montant la rue pour me rendre au resto U à midi le lendemain, je le guettai ; je le guettai aussi en faisant la queue pour donner mon ticket de resto U. Je m’installai au centre du réfectoire afin qu’il n’ait pas de mal à me trouver, plutôt que dans les petits coins où j’avais tendance à trouver refuge de temps à autre. À trois reprises, je crus que c’était lui ; d’un simple coup d’œil, je me rendis compte que ce n’était pas le bon. Le bon quoi ? Je n’attendais personne ! Je pliai bagage et allai bosser, comme on dit entre étudiants.
Il n’y avait qu’un seul restaurant pour deux facs : la fac de lettres et des sciences humaines et la fac de sciences. Étant donné que j’étais plutôt silencieuse, j’avais un grand sens d’observation des choses en général et des visages des étudiants de ma fac en particulier et quand j’avais repéré pour la première fois un quidam, je ne l’oubliais jamais.
J’étais une vieille de quatrième année, or je n’avais jamais vu le grand garçon blond dans ma propre fac et il était trop vieux pour commencer en lettres, j’en déduisis qu’il devait suivre les cours dans l’autre fac, la fac de sciences ; ce que j’en dis, c’était pour papoter avec moi-même de bagatelles !
Je n’ai jamais eu d’amie ; si vous êtes taciturne, évidemment, vous ne pouvez pas vous attacher à une quelconque confidente. J’avais bien quelques camarades d’étude, je les oubliais quand je changeais de bâtiment universitaire et d’année, circonstances dues aux événements passés : j’étais de morphologie atypique.
 
 
Bien que je sois tenue de remplir mon monitorat deux fois par semaine, à raison de trois heures chacune, je venais tous les jours entre mes cours pour préparer mon mémoire dans mon laboratoire que j’ouvrais à l’aide d’une clef qui m’était prêtée pour un an. Il se situait au bout de la fac toute neuve, à cent mètres de la bibliothèque universitaire, devant l’un des deux parkings, dans une vieille maison de maître carrée qu’on appelait le bâtiment Turique. Il donnait l’impression de craquer de partout comme une nef d’un autre âge. On ouvrait difficilement sa porte d’entrée, moitié en bois à hauteur d’homme, moitié en fer forgé qui emprisonnait des carrés de vitres, donnant sur une grande entrée vide si ce n’est un porte-parapluies lui-même en fer forgé, et recouverte au sol par des mosaïques bleues et blanches façon 1900. On pénétrait à l’intérieur d’un long couloir étroit et sombre en longeant deux salles de cours et là, on aboutissait à ma salle et au bout, au bureau de Frau. Le plancher du couloir se lâchait très facilement en profondes pétarades variées au fur et à mesure qu’on y enfonçait les pieds.
Quand je travaillais dans mon local, je reconnaissais instantanément mon professeur dont les pas émettaient des craquements brefs et secs de personne pressée et dominante pour entrer dans son bureau après un rapide arrêt de ses clefs sonores. De ma pause rêveuse ou de mon esprit occupé, je percevais aussi soit les grincements hésitants du parquet, soit les francs crépitements des lattes des relations de Frau. Je pariais en jugeant ces bruits disparates du plancher, plutôt pour un sexe que pour l’autre, plutôt pour un assistant que pour un étudiant.
J’étais attablée depuis un petit moment dans le réfectoire du resto U quand Olaf vint s’installer à ma droite. Il posa son plateau à côté du mien et d’une étudiante sur son bout de table et il engloutit sans interruption, toujours les yeux plantés sur ce qu’il avait à faire : piquer rapidement sa fourchette dans le corps de cinq petits pois, écarteler la cuisse d’un poulet avec son couteau et sa fourchette, prélever des portions de crème à la vanille et au coulis de framboise à l’aide de sa cuillère. J’avais l’impression qu’il puisait dans la cervelle ensanglantée d’un agneau, puis il se leva et partit sans demander son reste, sans regarder autour de lui, au c

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