Pourquoi croyons-nous ?
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Description

Ce livre propose une réflexion dialoguée entre un philosophe des sciences et un psychanalyste. Il mêle des considérations théoriques – positions de philosophes sur le croire, évocation des sciences cognitives et des théories évolutionnistes – et les réflexions et constats d’un soignant. Sur ces deux registres, il propose un échange où s’expriment des différences et des complémentarités. La discussion n’est pas linéaire et ordonnée comme le serait un traité sur la croyance, elle procède par détours, points et contrepoints, à la recherche d’un accord et d’une consonance, à partir de discours aux tonalités différentes. Constatant que le croire est profondément enraciné dans le psychisme au point que le croyant peut s’identifier à ses propres croyances dans le fanatisme, les auteurs interrogent ce phénomène. Ils soulignent certaines limites de la pensée philosophique sur le croire, s’éloignent de l’érudition pour faire appel à leur propre expérience, rappelant la force du lien qui s’établit, au début de la vie, entre le jeune enfant et ceux qui l’entourent. Cette force est celle qui unit la croyance à son objet. Le lecteur est invité dans l’intimité d’un dialogue où deux penseurs se livrent de façon assez personnelle, se répondent, convoquent aussi de grands auteurs et le présent du monde, au fil d’un cheminement intellectuel inspiré et inspirant. Claude Debru est philosophe, professeur émérite de philosophie des sciences à l’École normale supérieure, membre de l’Académie des sciences. Frédéric-Pierre Isoz est psychanalyste. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 février 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738149503
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , FÉVRIER  2020 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4950-3
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
« Aucune guérison n’est un retour à l’innocence biologique. »
Georges C ANGUILHEM *1 .
*1 . Cette citation de Georges Canguilhem , appliquée au problème de la croyance, nous indique que l’effet thérapeutique d’une croyance sur le psychisme ne peut être de l’ordre d’une régression, ce qui laisse ouverte la question des fonctions du croire, qui anime cet ouvrage. Canguilhem G., Le Normal et le Pathologique , Paris, Presses universitaires de France, 1972, 2 e édition revue, p. 156.
Introduction

CLAUDE DEBRU . – Ce livre est né d’échanges de longue durée. Il est nourri de nombreuses conversations dont le lecteur trouvera la trace dans les développements de l’ouvrage ainsi que dans certains dialogues que nous avons repris et rédigés pour la publication, et qui mettent en scène des différences de points de vue, selon une tradition littéraire et philosophique largement illustrée. Pourquoi maintenant faire partager au lecteur les interrogations d’un philosophe et d’un soignant, psychanalyste de son état, sur les croyances et plus fondamentalement sur le fait même de croire ? Certes, l’occasion et même la nécessité nous en sont fournies par l’actualité de ces dernières années, l’irruption renouvelée du fanatisme. Mais, surtout, il nous est apparu, à l’un et à l’autre, au cours d’échanges nourris de références très différentes et avec nos propres styles de pensée, qu’il fallait pousser plus loin la réflexion sur le fait même de croire.
Partis d’orientations réellement différentes, nous avons fini par nous accorder. Ma perspective, plus universitaire, est plus orientée vers le savoir que vers le croire. Elle est rationaliste quant au savoir, sceptique quant au croire – un scepticisme devant le succès mitigé des affaires humaines, un scepticisme qui soutient que la plupart de nos opinions sont fausses. Celle de Frédéric-Pierre Isoz, essentiellement portée vers le soin et l’écoute, est nourrie d’une pratique psychanalytique de longue durée, tout en prenant les choses d’une manière fort peu conventionnelle. Son attitude est celle d’un soignant confronté à la souffrance et à l’idée de guérison. Partant de ces diverses approches, nous avons tous deux constaté que le croire *1 , au moins autant que le savoir, constitue une dimension fondamentale de l’être humain qui ne peut être ignorée, même par le plus sceptique des sceptiques ou le plus fort des esprits forts.

Une question philosophique
Le mathématicien Henri Poincaré a réfléchi sur les rôles respectifs de l’expérience et de l’hypothèse en matière scientifique et sur l’attitude des savants qui minimisaient le rôle de l’expérience dans leurs constructions théoriques. Il peut nous aider à préciser la perspective qui est la nôtre : « Quand on a un peu plus réfléchi, on a aperçu la place tenue par l’hypothèse ; on a vu que le mathématicien ne saurait s’en passer et que l’expérimentateur ne s’en passe pas davantage. Et alors, on s’est demandé si toutes ces constructions étaient bien solides et on a cru qu’un souffle allait les abattre. Être sceptique de cette façon, c’est encore être superficiel. Douter de tout ou tout croire, ce sont des solutions également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir 1 . »
Que l’être humain soit porté au croire est un fait qui s’impose sans contestation. Besoin de croire, désir de croire, folie de croire, faiblesse de croire, acte de croire, volonté de croire, liberté de croire, risque de croire, nécessité de croire, devoir de croire, etc. : le croire se prête à beaucoup de déclinaisons, dont certaines sont des titres d’œuvres significatives, et d’autres plus étranges, comme « je dois croire ». D’où notre propre interrogation : « pourquoi croire ? », qui n’est pas seulement « à quoi bon croire ? », « à quelle fin croit-on ? ». Notre question est plus fondamentale. C’est celle-ci : pour quelles raisons le fait de croire a-t-il une telle importance dans le psychisme humain ? D’où vient ce besoin de croire, cette réalité massive du croire ? Et pas seulement quels buts sert-il, ce qui est loin d’être clair. Le sociologue Gérald Bronner s’est interrogé sur la formation des croyances. Il remarque que « le seul individu qui ne peut croire est l’individu omniscient 2  ». Là où manqueraient la connaissance et l’information s’installerait la croyance. La perspective du sociologue, recherchant des explications autant que possible rationnelles, consiste essentiellement à élucider les raisons des croyances, en s’aidant d’une conception large de la rationalité. Les extrémistes seraient assimilables à des agents rationnels, possédant une réelle cohérence dans leur « espace sociocognitif » étroit. Il convient de les saisir dans les filets de la science, de la rationalisation sociologique. Cette entreprise, très louable et intéressante en elle-même, ne nous semble pourtant pas atteindre le fait fondamental du croire que, de son côté, la philosophie n’a cessé d’interroger. Notre question n’est pas non plus celle posée par le philosophe Jacques Bouveresse dans son livre Peut-on ne pas croire ? Dans cet ouvrage 3 , le philosophe ne conclut pas. Il se borne, pour finir, à mentionner, au sujet de Wittgenstein , que ce dernier « s’est interdit délibérément d’essayer d’explorer les abîmes dont son œuvre nous fait sentir par moments la présence toute proche 4  ».
Mais, dans sa forme même, notre question, « pourquoi croire, pourquoi croyons-nous ? », va plus loin que le constat du fait que l’on ne peut pas ne pas croire, puisque nous cherchons à déterminer pourquoi précisément il est impossible pour le psychisme humain d’éliminer toute croyance. Et nous le cherchons dans les expériences les plus fondamentales de l’individu humain, à travers ce qu’en dit la philosophie, qui n’est pas réduite au rationalisme, et la psychanalyse, dont l’apport tant pratique qu’intellectuel ne peut aucunement être esquivé. En effet, la question « pourquoi croire ? » implique dans sa forme même une tentative de rationalisation, qui cependant aboutit nécessairement à découvrir des éléments radicalement d’un autre ordre, ni rationnel ni irrationnel, des éléments que l’on peut qualifier d’affectifs et dont l’expérience psychanalytique nous aide à découvrir la singularité. Tel est l’enjeu, quelque peu paradoxal, de ce livre : chercher de véritables raisons des choses dans des phénomènes qui dans leur essence échappent à une conception classique de la rationalité et sont donc, nous le verrons, finalement hors des prises de la philosophie.
Pourquoi croyons-nous à tant d’illusions *2  ? En quoi cela semble-t-il si nécessaire ? C’est d’abord que l’illusion ne se dénonce pas d’elle-même. Elle a sa consistance propre, possède une sorte de vérité. Le bâton n’est pas brisé mais il est vrai que nous le voyons tel lorsqu’il est à moitié plongé dans l’eau, et cela a ses raisons. Pour quelles raisons l’individu humain adhère-t-il si fortement, à tout prix, à ses croyances, au point qu’elles finissent par le constituer dans son être propre, dans sa personnalité, au point qu’elles lui soient indissociables et deviennent l’objet d’une illusion réfractaire à tout démenti ? Lorsque le sujet en vient à s’identifier totalement à sa croyance, à lui être entièrement soumis, à avoir un besoin vital de cette croyance, à s’appuyer uniquement sur elle, nous sommes dans le cas du fanatisme.
Le fanatisme est plus répandu qu’on ne le croit. La psychologie humaine est telle, le besoin de croire si fort, le besoin de communier dans la croyance si puissant, que le fanatisme est excessivement difficile à combattre. D’où le fait que « déradicaliser » un fanatique semble un exercice particulièrement malaisé, car c’est lui enlever son identité, lui ôter sa vie propre. Or, sans aller jusqu’au fanatisme, le lien entre le sujet et sa croyance doit être examiné. Voilà une question tout aussi actuelle que permanente et d’application presque illimitée. On aurait tort de penser que cette question ne concerne – par exemple – que les idéologies (domaine dans lequel la croyance n’est jamais déçue, car elle se nourrit du fait que le désir, infini par nature, n’est jamais complètement satisfait). L’aveuglement est monnaie courante, y compris dans les disciplines les plus exigeantes de l’esprit. Défendre, parfois violemment, ses propres croyances, c’est se défendre soi, défendre son être propre. Nietzsche l’a dit, et mieux, avant nous, dans Le Gai Savoir  : « On mesure la force d’un homme, ou, pour mieux dire, sa faiblesse, au degré de foi dont il a besoin pour se développer, au nombre de crampons qu’il ne veut pas qu’on touche parce qu’il s’y tient 5 . » « Je lutte, donc je suis » : c’était le texte d’un écriteau à Notre-Dame-des-Landes.
Mais le constat que la disposition à croire et la croyance qui s’ensuit constituent une large part de l’être humain ne nous mène pas très loin. La croyance n’est pas un attribut de l’individu seul. Ce serait une pure abstraction que de le penser. Si individualiste soit-il, l’individu contemporain est transpersonnel. La croyance est ce qui lie entre eux les hommes, êtres intensément sociaux, anime leur présent et leur permet de se projeter dans le futur. L’orientation ver

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