Nietzsche, apologiste de Wagner
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Description

Nietzsche est réputé pour avoir été un wagnérien fervent pendant une première partie de sa vie. Or, deux textes seulement ont été officiellement consacrés par Nietzsche à la défense et illustration de Wagner : La Naissance de la tragédie en 1872 et la quatrième Considération inactuelle en 1876. D’autant qu’il fut prompt à prendre ses distances avec le maître de Bayreuth : « ce que, dans mes jeunes années, j'avais entendu dans la musique de Wagner, n'a strictement rien à voir avec Wagner ». Il semble donc nécessaire d’opérer un retour sur cette relation ambiguë, en s’appuyant sur les textes de ces deux titans, animés par le désir de percer le secret de l’émotion musicale...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 juillet 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748387391
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Nietzsche, apologiste de Wagner
Dominique Catteau
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75015 PARIS – France
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Chapitre I. Socrate musicien : La Naissance de la tragédie
 
  
Le problème du titre
Pour celui qui ne serait pas assez prévenu – ou trop wagnérien – la présentation rétrospective que Nietzsche tracera dans Ecce homo de La Naissance de la tragédie pourrait bien contribuer à doubler l’accusation rituelle de parjure à l’égard du Maître, de celle, non moins infamante, de duplicité et de mauvaise foi criantes. Dès le premier paragraphe, et parodiant son propre sous-titre, il affirme brutalement que cet ouvrage a été reçu à tort comme l’annonce d’une "renaissance de la tragédie à partir de l’esprit de la musique" (E.H. p.75) 1 . Pourtant il reste nuancé en dénonçant le glissement opéré par ses lecteurs d’alors : "l’on n’a eu d’oreilles que pour une formulation nouvelle de l’art, des intentions, de la mission de Wagner", objectif qu’en conséquence il ne songe pas encore à récuser, et il poursuit en regrettant qu’on n’ait pas centré l’attention sur l’essentiel : "et de ce fait, personne n’a prêté attention à ce que l’ouvrage recelait au fond de précieux". Qu’il explique et détaille aussitôt. Si on comprend bien, il reconnaît y avoir traité de l’art de Wagner, mais en regrettant qu’on ait confondu ceci avec son intention fondamentale et originale. Ulcéré sans doute par les faux-sens confinant au contresens commis sur son dos, il revient plus loin à la charge, et porte l’estocade, cette fois de façon catégorique et sans plus l’ombre d’une ambiguïté : "ce que, dans mes jeunes années, j’avais entendu dans la musique de Wagner, n’a strictement rien à voir avec Wagner" (p.81). Hypocrisie du traître qui tente de gommer sa traîtrise ? Peut-être. Mais s’il est vrai que nul n’est mieux placé quiconque pour savoir ce qu’il a voulu faire dans son oeuvre, il y aura peut-être également quelque avantage à essayer de l’écouter. Et de fait, on verra vite que cette présentation après coup garde l’immense mérite de fournir les lignes directrices explicites qui permettent de mieux débrouiller certaines obscurités du premier texte, et de mieux repérer également pourquoi d’autres restent obstinément rebelles à tout éclaircissement.
Quoi qu’il en soit, notons d’abord la dure contradiction : Nietzsche n’aurait écrit La Naissance de la tragédie ni d’abord pour parler de l’art wagnérien, ni même en songeant réellement à Wagner. Et pourtant extérieurement, beaucoup de traits décisifs semblaient bien indiquer tout le contraire. La dédicace avant tout, puis la structure générale de l’ouvrage, mais aussi et sans doute surtout son titre, et son sous-titre qui auraient plutôt pour conséquence de redoubler l’obscurité que de la dissiper. On n’y a probablement pas prêté suffisamment attention, du moins les commentateurs sont restés ici incroyablement prudents en acceptant ce titre sans la moindre critique comme s’il était évident… Pourtant on le verra bientôt, les intéressés directs, Nietzsche et Wagner, chacun de son côté, en son temps, à son point de vue, auront bien pris garde de passer inattentivement à côté : " Die Geburt der Tragödie aus dem Geiste der Musik ". Supprimons d’abord la distinction infidèle entre titre et sous-titre ; il n’y a ici qu’un seul projet délimité d’un seul trait. Ce qui est surprenant, c’est que littéralement du moins, pour le lecteur d’aujourd’hui surtout, le titre ne correspond pas exactement au contenu de l’ouvrage. Officiellement Nietzsche annonce la mise à jour, sinon la mise au jour ou au monde, de la tragédie issue de la matrice originelle de l’esprit de la musique. Est-ce clair ? De quelle tragédie s’agit-il ? Chacun sait très bien que par goût et par spécialité Nietzsche doit nous parler de la tragédie attique, celle d’Eschyle et de Sophocle, qui curieusement, même s’ils sont clairement entendus, restent à peine mentionnés. Par contre Euripide se trouve nommément visé, alors qu’il ne s’agit plus de la naissance mais de la mort de la tragédie (N.T., §, 11, 12, 18). D’autre part il faut demander aussi de quelle naissance l’auteur veut nous entretenir. Car enfin, il faut avouer, et ses collègues philologues d’alors ne nous ont pas attendus pour le lui reprocher de la manière la plus professionnelle, que Nietzsche n’exposera rien de précis – et bien peu de choses scientifiques – à propos de l’origine historique de la tragédie dans l’évolution jointe de la cité antique et de la littérature grecque. Rien que des allusions plutôt incertaines comblées par des parti-pris plus théoriques, et même métaphysiques. Le livre de Nietzsche ne nous apprend rien sur l’histoire de l’apparition et de l’évolution littéraire de la tragédie dans la Grèce présocratique. Manifestement son sujet l’appelle ailleurs. Enfin, dernière inévitable question, de quelle musique Nietzsche parle-t-il ici ? A quelle conception ou définition de cet art se réfère-t-il ? Qu’entend-il par son "esprit" d’où sortirait la tragédie ? Entend-il la musique au sens grec, qui serait de rigueur ici, d’arts des Muses,   , qui s’étendaient de la poésie épique a la rhétorique en passant, entre autres, par la pratique de la lyre. Ce domaine très vaste qui recouvrait à peu près toute l’éducation littéraire du citoyen bien né, Nietzsche de toute évidence, n’en dit pas un mot. S’agit-il alors de la musique grecque au sens restreint, avec ses instruments, aulos et tétracorde, avec ses théories, tropes et modes, ses gammes descendantes et ses partitions transcrites dans un système basé sur un usage spécial des lettres alphabétiques, et qu’on croit savoir enfin reconstituer aujourd’hui ? Songe-t-il à l’accompagnement précis de certaines parties des spectacles tragiques, ou plutôt à leur doublage le plus souvent à l’unisson, exceptionnellement à l’octave, procédés dont l’auteur aurait dû reconnaître ici la juste occurrence ? Il n’en dit pourtant, et fort paradoxalement, rien non plus, du moins rien de précis ni de technique. En somme La Naissance de la tragédie ne parle ni vraiment de la tragédie attique, ni de son origine historique, ni de la musique au sens grec, ni au sens technique. Mais alors de quoi est-il traité ? Quel est le sujet de l’auteur, quel est son objectif ? Etant entendu qu’on ne peut -ni ne veut- répondre à cette question que par ce qui se trouve réellement dans l’ouvrage. Le moins qu’on doive bien avouer c’est que le contresens dénoncé un peu plus tard par Nietzsche lui-même en 1888 se trouve encore conforté par au moins trois arguments, dont il demeure difficile de démontrer le caractère accessoire ou périphérique : d’abord et de façon ouvertement explicite, le paragraphe 19 de l’ouvrage qui commence par dénoncer l’opéra moderne dans ses formes privilégiées (le récitatif) et dans ses intentions fièrement avouées (préférence du mot aux dépens de la musique) de manière à en faire le suppôt anti-artistique d’une "culture socratique" (N.T., p.122) imposant une bien dommageable "rhétorique rationnelle des passions" (p.125), s’achève dans une antithèse passablement simplifiée en tirant des grands maîtres de la musique allemande, de Bach à Beethoven, et de ceux de la philosophie, également allemande, Kant et Schopenhauer, l’espoir purificateur de voir l’Europe enfin "débarrassée des entraves de la civilisation romane" (p.131) : "Et quand ces maîtres suprêmes nous seront-ils plus nécessaires que maintenant où nous assistons à la renaissance de la tragédie (…)?" Reconnaissons à notre tour, et contre l’auteur, que si le jeu de mots peut regrettablement autoriser toutes les confusions, il contresigne d’abord la responsabilité de Nietzsche lui-même. Et il est parfaitement inutile de préciser alors que celui qui nous fait assister présentement à cette "renaissance", c’est bel et bien Richard Wagner dans l’esprit du jeune philologue en 1872.
D’autre part, et de façon encore plus grave, tout l’ouvrage est construit de telle manière qu’il appelle cette conclusion et ainsi la justifie et la canonise comme étant la seule qui puisse et doive en être tirée. La Naissance de la tragédie se compose de trois grandes parties, nettement discernables. La première seule traite explicitement des composantes essentielles de la tragédie attique, même si l’origine qu’elle nous en dépeint n’est pas historique. La seconde enchaîne antithétiquement sur la fin de cette tragédie et sa ruine de l’intérieur par l’éveil du rationalisme. La troisième enfin, fort dialectiquement, survole les siècles pour nous annoncer dans l’époque contemporaine, le réveil de toutes les conditions fondamentales nécessaires à la "renaissance" précisément de l’esprit tragique dans et par l’œuvre musicale de Wagner. En somme tout le texte se trouve bel et bien orienté vers sa fin, les deux premières parties ne sont à cet égard que les moyens obligés d’aboutir dans la troisième pour y culminer. Comment Nietzsche peut-il prétendre n’avoir pas voulu y parler vraiment de Richard Wagner ? De toutes ses oeuvres. La Naissance de la tragédie restera comme la plus construite techniquement, la mieux composée philosophiquement, la plus rigoureuse professionnellement. Peut-être même la seule. Qu’importe pour l’instant au vrai philosophe de reconnaître ici une structure bien peu nietzschéenne, cela ne change rien à l’affaire et ne risque pas de sauver Nietzsche des accusations de mauvaise foi.
D’autant que sa volonté apologétique, si par impossible elle avait encore gardé quelque mystère, se trouve définitivement scellée et paraphée par l’ineffaça

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