Lettre à ceux qui attendent la consolation
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Lettre à ceux qui attendent la consolation , livre ebook

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Description

"Ce n'est pas de mon expérience assez commune que j'aimerais t'entretenir, mais du visage que j'ai entrevu depuis qu'on m'a mise en ce monde chaotique : visage dont la lumière me semble éclairer et transformer toutes les réalités de l'existence."

Avec délicatesse et respect, Bénédicte Delelis s'adresse dans cette lettre à ceux qui marchent par de rudes chemins. Recueillant les questions existentielles qui hantent le cœur de tant de souffrants - "Où est Dieu ? Pourquoi la souffrance et le mal ? Jusqu'à quand...?" - elle nous emmène à la rencontre de croyants d'hier et d'aujourd'hui dont les solitudes, les peines, les misères sont mystérieusement devenues grâces, et ont porté un fruit de vie pour une multitude.

Il est des visages de Dieu que l'on n'aperçoit que dans la nuit. C'est à cette expérience que nous convie cette lettre bouleversante de beauté.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 juillet 2023
Nombre de lectures 0
EAN13 9782728935482
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0424€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Bénédicte Delelis
À Céline, Hélène et Anaïk.
À tous ceux dont je porte en mon âme les peines.
À ceux qui m’aident, par leur amour fidèle,
à porter les miennes.
U ne fois de plus son sourire éclatait dans la grisaille. Nous marchions, lui et moi, d’un pas lent dans la ruelle familière. Enfin… je marchais et lui roulait, manœuvrant son volumineux fauteuil avec une sorte de poignée en forme de bouchon de champagne. Il lui ressemblait d’ailleurs, ce petit bouchon de champagne. Accroché là, il avait l’air de lancer un pied de nez de gaieté et d’espièglerie au milieu de toutes les difficultés de l’existence, un rire dans la tempête.
« J’ai besoin de toi, Pierre », lui dis-je.
Immédiatement, il n’y avait plus que moi devant lui au monde. Il fallait que le fauteuil grimpe sur le trottoir devant une file de voitures pressées. Ce n’était pas une mince affaire. Le feu passait au vert. Mais, à ses yeux, tout disparaissait : la circulation, sa sacoche de cuir noir qui glissait de côté et que ses mains peinaient à retenir, le retard que nous avions déjà, son écharpe à moitié sur le nez, les passants agités qui filaient comme des flèches autour de nous, telle une inexorable marée… Tout cela s’était évanoui comme par magie devant la priorité que représentait soudainement pour lui mon simple « J’ai besoin de toi ».
« Je t’écoute, me dit-il.
– Je dois écrire une lettre à ceux qui ont soif d’être consolés », expliquai-je.
Il y eut un silence.
« Ah… reprit-il. C’est difficile. Il y a autant de douleurs et de peines que d’êtres humains… Et pour ceux qui souffrent, il vaut souvent mieux se taire… »
Les automobilistes patientaient. Il prenait son temps. Le fauteuil avait franchi l’obstacle. Et il me dit :
« Pourtant, il faut parler. Il y a quelque chose à dire. Vas-y. Et moi, je t’aiderai, oui. Comme je le pourrai, en priant de toutes mes forces, je t’aiderai. »
Voilà pourquoi j’ose, en ce matin clair et frais où le soleil roux surgit du long sommeil de la nuit pour réchauffer la terre, prendre la plume et t’écrire quelques mots. Parce que, de sa main qui tremble un peu, de sa main qui peine à tenir une cuiller, il m’a bénie…
Je ne peux oublier ce soir où tu frappas à ma porte, ton visage gris annonçant mieux que toutes les phrases du monde qu’il était survenu pour toi quelque chose de grave. Inutile de rappeler les faits douloureux qui t’avaient mis à terre et qui demeurent gravés dans mon âme à jamais : l’injustice immense que tu avais subie, ton amour trahi, la culpabilité, la solitude brutale, l’avenir soudain effondré devant tes yeux atterrés.
Comme j’étais impuissante à te consoler… J’aurais voulu saisir une part de ton immense désarroi pour t’en décharger, mais nul ne savait rejoindre la lande désolée de ta peine infinie. Nous ne pouvions que pauvrement tenir ta main bien serrée dans la nôtre et pleurer avec toi des larmes amères.
Tu savais que nous croyions en Dieu. Sur notre porte entourée de lampions de couleur qu’on n’avait jamais décrochés après Noël, il y avait dessiné à l’époque un petit agneau blanc. T’en souviens-tu ? En dessous de cet agneau, la main d’amie et d’artiste qui avait peint cela pour nous avait inscrit : « Jésus vint, et il était là au milieu d’eux » (Jn 20, 19). Cela m’obligeait à essayer de ne pas soupirer, de mauvaise humeur, lorsqu’on sonnait chez nous à l’heure des bains ou des devoirs, quand les enfants se disputent, que la sauce va déborder de la casserole, que le facteur ou les pompiers veulent à tout prix, précisément maintenant, vendre un calendrier, et que la voisine gronde pour les patins à roulettes qui traînent dehors. Tu savais que nous croyions en Dieu, et de lui tu étais, même sans le savoir pourtant, plus proche que nous ne le sommes bien souvent.
Dieu ? Tu aurais bien voulu y croire… Tu avais été tout prêt à y croire même, mais maintenant que ton bonheur gisait à tes pieds, misérables débris sans espoir, que pouvais-tu discerner de son visage de bonté ?
« Où est Dieu ? » me dis-tu.
Mon ami Pierre au corps saturé de douleurs m’a bénie. Alors, j’ose. J’ose prononcer quelques mots pour toi et pour tous ceux qui peinent sur les routes abruptes de l’existence, ceux qui crient leur chagrin vers le Ciel de silence, ceux qui ploient, qui fatiguent, qui s’essuient les yeux du revers de leur manche laborieuse, ceux qui voudraient tant, qui espèrent, un jour enfin, être consolés.
Je ne suis pas grand-chose, tu sais bien, ni pape, ni évêque, ni cardinal, ni médecin, ni savant… Je suis une simple baptisée, même pas assez vieille pour avoir connu une guerre, pas assez aventurière pour savoir ce qu’est un typhon, pas assez pauvre pour avoir éprouvé la faim. J’ai marché, comme tous, depuis mon enfance sur cette terre de feu et de sang, cette terre de nuits sombres et d’aurores bouleversantes de beauté, cette terre où les plus grandes amours n’existent jamais sans déchirures ni sacrifices, où les plus profondes joies sont traversées de vastes chagrins. J’ai souffert, bien sûr. Qui d’entre nous ignore le goût des larmes ? J’ai connu la maladie et la souffrance de mes proches, mes propres limites, innombrables ; la mort a arraché de moi des visages très aimés, me laissant déserte, et – la plus grande souffrance de ma vie peut-être – j’ai pleuré l’amère douleur de mes fautes… Rien de très original ; la vie en somme. Ce n’est pas d’ailleurs de mon expérience assez commune que j’aimerais t’entretenir, mais du visage que j’ai entrevu, depuis qu’on m’a mise en ce monde chaotique : visage dont la lumière me semble éclairer et transformer toutes les réalités de l’existence.
Lorsqu’on évoque les grandes allégresses de la vie comme les lourdes peines, on prend toujours le risque de blesser. Les mots se tiennent au seuil de l’expérience et, quelquefois, ravivent les blessures béantes ou à demi refermées.
Il y a une parole du pape Jean-Paul II que j’ai toujours aimée. Ce comédien sportif à l’irrésistible charme avait dû faire le deuil de sa mère tout enfant, de son frère, et enfin, étudiant, de son père. Il traversa la Seconde Guerre mondiale et le nazisme, puis la violence du communisme en Pologne. Prêtre, évêque puis pape, cet apôtre intrépide connut la violence d’un attentat contre sa personne ainsi que l’amenuisement progressif de ses forces et de ses capacités avec la maladie de Parkinson. Jean-Paul II aimait la Vierge Marie, la mère de Dieu, d’un amour tout spécial. Il disait : « Notre Dame se tient au pied de toutes les croix des hommes d’aujourd’hui. »
Aussi, je demande à Celle qui eut le cœur transpercé de se tenir auprès de toi. Qu’elle répare avec sa tendre délicatesse mes inévitables maladresses, qu’elle te conduise par sa main sûre, qu’elle panse tes plaies, te réconforte et que, sur toi, se penche et s’illumine le visage de la consolation.
1
Où est Dieu ?
L’abîme de la faiblesse
Justement, alors que j’avais le cœur tout plein de tes peines et des mots que je voulais te dire sans pouvoir les trouver encore, et comme, dévalant l’escalier du métro, je luttais de mon mieux contre le vent taquin, souffle indiscret et joueur avec les robes des femmes, je manquai de renverser une amie. Œil bleu doux, un peu rêveur, cheveux fins bien rangés sur la tête en lignes claires, joues lisses des mères maintes fois embrassées, et la main qui tremble, hélas, bien jeune pourtant… Nous devisâmes. L’air n’était pas trop froid. C’était l’heure exquise, quand la ville rosit de plaisir en s’apercevant qu’il sera bientôt temps de dormir. Un vieux monsieur auréolé de nacre passa, un peu bancal. Debout au milieu des marches, nous gênions la circulation, aussi tendit-il sa main de parchemin vers les deux inconnues pour se laisser aider, simplement, et nous sourit au vol. Nous nous rangeâmes.
« C’est surtout pour les enfants que c’est difficile, me confiait mon amie. J’essaie de les préserver comme je peux mais… dimanche, notre fille nous a dit : “Pas envie d’aller à la messe, non, certainement pas. Où était Dieu quand tu étais à l’hôpital, Maman ? Où est-il maintenant ?” »
Il y eut un silence. Tu m’avais dit cela, toi aussi…
Aux terrasses des cafés alentour, on trinquait avec le petit verre du soir. Rires, soupirs, regards tendres ou rêves échangés, envolés dans la brise. C’est toujours impressionnant de recevoir au creux de l’âme des confidences. Et mon amie était belle avec son courage de guerrière, sa ténacité et la fragilité qui se devinait derrière la bravoure.
« L’épreuve sûrement la plus grande pour moi, ajouta-t-elle, c’est de diminuer, de perdre, de percevoir que je me souviens moins bien, que certains mouvements me deviennent impossibles. Moi aussi alors, parfois, je me demande comme ma fille : “Où est Dieu ?” Je ne sais pas trop. Je suis encore dans une phase de révolte. Et je suis si fatiguée… »
Bien sûr, si l’on souffrait gaiement, héroïquement, cela serait une autre affaire. Mais la souffrance n’est pas une aventure que l’on traverse glorieusement. Et pour les peines de l’âme comme pour celles du corps, on souffre le plus souvent péniblement, misérablement, démuni, et si seul, au fond. Face au visage diaphane de mon amie dans les lueurs du soir me revenaient les mots anciens chantés de génération en génération par les hommes éprouvés :
Combien de temps, Seigneur, vas-tu m’oublier, combien de temps, me cacher ton visage ? Combien de temps aurai-je l’âme en peine et le cœur attristé chaque jour ? Combien de temps mon ennemi sera-t-il le plus fort ? Regarde, réponds-moi, Seigneur mon Dieu 1 !
Et juste après cette plainte, tout de suite, alors que rien n’est encore arrangé de ce qui le blesse et le taraude, le souffrant qui crie vers Dieu ajoute, un peu fou, espérant encore :
Moi, je prends appui sur ton amour ; que mon cœur ait la joie de ton salut ! Je chanterai le Seigneur pour le bien qu’il m’a fait 2 .
Quel bien le Seigneur lui a-t-il fait en silence ? Nous, qui chantons ces mots des siècles plus tard, l’ignorons. L’homme a emporté avec lui son secret. Mais au creux de son â

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