Les Hommes de leur vie
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Les Hommes de leur vie , livre ebook

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Description

Evanescentes, insaisissables, meurtries, séductrices, incompréhensibles, acariâtres, libres, prisonnières... Diverses, les femmes qui peuplent le recueil de Geneviève Biffiger possèdent pourtant un point commun : toutes sont des femmes échappées ou en cours d’évasion. Toutes fuient ou rêvent de quitter un quotidien ou un passé qui les emmurent et les asphyxient... Sans pour autant parvenir à se trouver ailleurs que dans le regard de cet inconnu, de cette autre énigme qu’est l’homme. A travers ces textes s’esquissent ainsi des pas de deux tragiques entre amants, des valses destructrices entre conjoints, des rondes enchantées entre filles et pères... S’y devinent des drames intimes, des sentiments troubles, des pulsions assassines...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2008
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748373196
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Hommes de leur vie
Geneviève Biffiger
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Les Hommes de leur vie
 
 
 
« On entend leurs rires: de quoi rient-elles?
Ah! les filles qui n'ont pas vingt ans,
ça ne sait que rire et de tout le monde,
mais c'est pour faire voir qu'on a de jolies dents.
 
Alors les garçons vont à leur rencontre;
elles, elles les voient venir, elles cessent de chanter,
elles rient en dedans, les regards baissés,
on les voit qui se serrent les unes contre les autres
comme sous un arbre quand il pleut. »
 
Charles-Ferdinand Ramuz, « Les filles », Petits poèmes en prose
 
 
 
Depuis le départ de Claire
 
 
 
Jour et nuit, de façon obsessionnelle et lancinante, je pense à elle. Comment peut-on partir ainsi, sans crier gare, sans même laisser un mot ? Je ne sais pas, moi, quelque chose du genre « Pardon de vous quitter mais je ne pouvais plus continuer ». Ou « Ras le bol de cette putain de vie ». Mais il faut reconnaître que cela n’aurait pas eu de sens ; vu de l’extérieur, ce n’était pas exactement une putain de vie qu’elle menait ! Elle venait juste de fêter ses quarante ans. Rien de bien dramatique sous le soleil, même pâle d’hiver ! Et même si à cet âge-là on prend conscience qu’on a déjà accompli un bon bout de chemin, qu’il y a des choses ratées, des pas encore faites et dont on sait qu’on ne sera jamais capable de les réaliser… Oui, d’accord, je reconnais que c’est dur de ne pas être à la hauteur de ses rêves, mais bon, ce n’est pas une raison pour tout larguer ! Alors quoi ? Comment a-t-elle pu se faire la malle, filer à l’anglaise, se tirer, se barrer, en silence, sans signe précurseur, et nous planter là, comme des cons ? On est en bonne santé, on vit sa vie, et hop, d’un instant à l’autre, on est mort ! Mort mort. Mort pour de vrai. Mort pour toujours. Mort juste bon à enterrer. Ou à incinérer. Et un souvenir qu’on laisse, qui traîne, qui s’incruste, qui lancine, qui fait mal… Et sourire aussi, parfois, lorsque l’esprit consent à s’attarder sur les jolies choses.
 
 
Quand nous étions fillettes, nous étions voisines. Mais nous n’avions pas tout à fait le droit d’être copines, les grands nous l’avaient dit. Il y avait encore des états d’esprit étranges qui subsistaient, dont nous ne comprenions pas le sens et dont nous nous moquions royalement ! Moi, j’étais catholique, et elle, protestante. Donc nous n’aurions pas dû nous fréquenter. C’est qu’on ne rigolait pas avec ces choses en ce temps pas si lointain, surtout à l’école des sœurs à laquelle moi j’allais ! Seule une haie de thuyas odorants séparait nos deux maisons, sous les branches desquels nous abritions nos jeux de fillettes, quand nos parents, ou plutôt nos mamans, nous l’autorisaient. Les papas ne faisaient pas trop partie du paysage, ils travaillaient, eux. Chacune notre tour, nous étions alternativement la maîtresse ou l’élève, le docteur ou la malade. Il nous arrivait même d’être mortes, pour de faux bien sûr. Et nous ressuscitions très vite dans de grands éclats de rire, tant la condition de gisant semblait insupportable aux deux gamines délurées que nous étions. Puis, au gré des déménagements, nous nous sommes perdues de vue, pour nous retrouver par le plus grand des hasards, presque voisines, des années plus tard, alors que nous étions toutes deux mariées ! Ce fut un tel bonheur de constater que nous étions toujours en vie, l’une et l’autre. Nous avons repris le fil là où nous l’avions laissé, mais sans jouer ni au docteur, ni à être mortes !
 
 
Mais un sale jour de sale hiver, plus précisément une sale veille d’un sale Noël, on l’a retrouvée morte, après des heures de recherche, et là, ce ne fut hélas pas pour rire. Rien n’y a fait. Ni le bouche à bouche, ni le massage cardiaque. On l’avait découverte dans le lac, par deux mètres de fond, étendue sur un lit d’algues, telle l’Ophélia de John Everett Millais, le visage étrangement intact et serein. Et ce constat inattendu, incroyable : décès par submersion ! Alors, une question lancinante s’est mise à tourner en boucle dans tous nos esprits : suicide, crime ou accident ? Qu’est-ce qu’elle avait bien pu aller faire là, dans cette eau glacée, l’après-midi du 24 décembre, alors que les cadeaux étaient prêts, étiquetés, déjà déposés sous le sapin, la maison toute décorée et bien au chaud ? Elle qui détestait marcher ! Elle qui détestait la neige et l’eau… Chaque automne, la très chic vue en noir et blanc qu’elle avait sur le lac depuis sa très chic villa, la déprimait à mort et lui devenait de plus en plus insupportable. Cela, elle me l’avait avoué plus d’une fois… Mais elle avait trouvé une parade pour traverser cette saison glauque : elle tirait les rideaux qu’elle avait choisis de couleurs vives, allumait les halogènes dans toutes les pièces dès le milieu de l’après-midi, mettait à fond ses musiques créoles adorées sur la chaîne hi-fi, et… elle confectionnait des gâteaux, tant pis pour la ligne ! On s’en préoccuperait au printemps ! En attendant, c’était bon pour le moral !
 
 
Ce jour-là, qu’est-ce qui avait bien pu lui passer par le ciboulot ? Le poids du brouillard et du givre fut-il plus lourd que d’habitude ? S’était-elle dit, sur un coup de déprime, que puisqu’il faut mourir, autant se débarrasser de cette corvée, qu’elle n’y penserait plus ? Je savais que la question de la mort la taraudait, que cette issue inéluctable la paniquait, mais de là à penser qu’elle pouvait passer à l’acte… Elle n’avait pourtant pas une tête à abriter des idées morbides, bon sang ! Tout au plus un peu de vague à l’âme ! Mais elle ne voulait jamais s’attarder sur la question, et changeait très vite de conversation.
 
 
Ou alors avait-elle eu juste besoin de prendre l’air un moment ? Avait-elle fait une glissade malheureuse sur la rive verglacée et déserte ? Comment, mais comment imaginer la scène terrible ? La surprise, la panique, la rive bétonnée qui se refusait à ses mains gelées ? Elle qui ne savait pas nager ! Et même si elle avait su, qu’aurait-elle pu faire, emmitouflée dans sa doudoune, avec ses bottes fourrées ? Dans une eau qui frise le degré zéro, on doit être congelé illico.
 
 
Toute notre existence, nos plans sur la comète, nos espoirs, nos projets, nos amours, et aussi nos tracas, sont cassés net, sans crier gare, et sans qu’on sache ni comment, ni pourquoi. Claire… Aucun prénom ne pouvait mieux lui convenir. Ah si ! Peut-être Lucie. Ou encore Estelle, petite étoile qui reste au fond de ma mémoire et de mon cœur. Oui, pour moi, elle représentait la lumière. Je n’accepte toujours pas qu’elle ait été rayée de la liste des vivants, en dépit des mois qui passent et qui me voient avancer sans elle. Enfants, nous avions promis de ne jamais nous quitter. Mais on sait tous ce qu’il advient des promesses enfantines… Son visage calme et souriant, ses grands yeux aussi clairs que son prénom, sa tignasse blond soleil et son corps gracile de presque petite fille dansent inlassablement dans ma mémoire. Comme dans la chanson de Cabrel qu’elle aimait tant et écoutait en boucle : « Les gens absents, c’est bien ça l’ennuyeux, ils tournent tout le temps, là, devant nos yeux… ». C’est vrai qu’elle semblait trop lisse. Trop parfaite. Mais cela, c’est moi qui le dis a posteriori, maintenant que je sais. C’était l’image qu’elle voulait imposer. Gommer les aspérités, donner le change. Oui, elle a été très forte ! Quand on dit qu’il faut se méfier des eaux qui dorment… Même moi, j’y ai cru, à sa vie de femme comblée et épanouie, sur qui tous les désagréments et toutes les emmerdes de la vie semblaient glisser, sans qu’elle en paraisse affectée. Fée ou magicienne ! Un éclat de rire en grelots, comme une entourloupe, et légère, elle passait à autre chose !
 
 
Ce fameux coup de fil, quand même ! Des mois après, il me perturbe encore… Nous nous téléphonions souvent, comme deux bonnes copines savent le faire, à la plus grande exaspération de leur entourage qui pense toujours qu’elles ont plus urgent à accomplir. « Que pouvez-vous bien encore avoir à vous dire ? Depuis le temps ! La pelote doit être complètement dévidée ! ». Eh bien non, nous avions toujours quelque chose à nous raconter. La preuve… Je me souviens très précisément qu’elle m’avait appelée deux ou trois jours avant la tragique noyade. Comme d’habitude, elle avait tourné en dérision ce qui ne tournait pas rond dans sa vie. Histoire de ne jamais se plaindre, mais de dire quand même, sur le ton de la plaisanterie ou d’une bonne blague. Quelque part, mine de rien et d’en rire, cela dédramatise et soulage. Elle me parlait du froid qu’elle ne supportait plus, et de son mari. Enfin, de son dernier mari. Entre parenthèses, moi, cet homme-là, je le trouvais fort séduisant, exotique, ténébreux, envoûtant comme un prince arabe. Grand, élégant, avec une excellente « situation » comme disent les mamans. C’est-à-dire gagnant beaucoup d’argent ! Moi, j’en aurais volontiers fait mon ordinaire. Et même mon extraordinaire. Mais je n’ai jamais chassé sur le terrain des copines. Dire que je pensais naïvement qu’elle avait décroché le jackpot avec lui ! Mais elle m’avait détrompée : « Ne te fie pas aux apparences ! Il est de bois, tu ne peux même pas imaginer ! » Je n’étais pas sûre d’avoir bien compris le message, mais elle avait aussitôt levé toute ambiguïté : « Tu pourrais faire défiler toutes les filles du Crazy Horse devant lui que ça n’aurait pas le moindre effet sur sa libido ! Toujours en berne, le monsieur ! » Façon subtile de m’apprendre qu’elle n’av

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