Les Aiguilles du temps
104 pages
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Les Aiguilles du temps , livre ebook

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Description

Un homme, Pierre, et les trois femmes de sa vie : Gaby, sa mère, Mady, sa femme et Dany, sa fille. Pour Gaby et Mady à travers deux guerres, c'est le temps de l'absence qui s'éternise. Pour Dany, la maladie conduit à une inexorable fuite en avant.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2006
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748373028
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Aiguilles du temps
Danielle Fauque
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Les Aiguilles du temps
 
 
 
à Claudine,
Emmanuel,
Hervé,
Pierre
 
 
 
« La gloire n’est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque fois qu’on tombe »
 
Proverbe chinois
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Gaby
 
 
 
 
 
 
Le soleil est trop chaud. Pierre à l’ombre des maisons, est assis sur les pierres qui bordent le grand ruisseau « Le Robec ». L’eau vive glisse, se joue des obstacles, lisse, courbe des touffes d’herbes, bouscule des papiers égarés. Il lance des cailloux, amusé par les éclaboussures scintillantes de l’eau.
Ce matin sa mère le préoccupe. Pourquoi en ce milieu d’après-midi, immobile, prostrée, sur le pas de la porte, a-t-elle les yeux rouges ?
Silencieuse, elle l’est toujours. Pierre la regarde avec insistance. Elle se détourne et soudain s’active avec une vivacité presque brutale.
Elle qui d’ordinaire est si douce…
 
 
 
 
 
 
Pierre est l’aîné, âgé de sept ans, son frère Roger cinq ans, Marc neuf mois. Pierre seul a le droit de sortir de la cour. Pour cela il faut passer sous une large voûte, puis traverser le pont qui enjambe Le Robec. Sa mère Gaby l’appelle pour mettre la table. C’est drôle, aujourd’hui elle oublie de lui dire de se laver les mains. Pendant le dîner pas un mot, les deux garçons se regardent, le bébé gazouille. Le soir, tout le monde mange avant la nuit pour économiser le pétrole de la lampe. Elle est fièrement posée au milieu de la table, surmontée d’un long et fragile tube de verre. La base en cuivre rouge régulièrement passée au mirror déforme les images dans ses reflets. Les enfants s’amusent et rient de voir leur tête aplatie ou allongée selon qu’ils s’approchent ou s’éloignent du réservoir bombé. Après le repas, on bavarde sur le pas de la porte restée ouverte, les soirs d’été. Puis Pierre monte l’escalier étroit qui le conduit à sa chambre, il se couche tôt et se lève de bonne heure. La route est longue jusqu’à l’école. Avant de s’endormir, il se rassure :
 
— Maman doit être fatiguée, son dos la brûle, comme elle dit.
 
Gaby est assise sur une chaise de paille devant la porte de la cuisine, les mains serrées l’une contre l’autre, sagement posées sur son tablier, son regard est absent. Elle ne bouge même pas au bruit que fait Pierre en marchant sur les cailloux de la cour, de retour de l’école.
 
— Ton père est parti… dit-elle d’une voix basse
— Je le sais cela fait quatre vingt dix jours.
— C’est la guerre, il est mort !
 
Pierre est bouleversé, il ne savait pas que la guerre tue… Alors, Papa ne reviendra jamais… Il est perplexe, c’est impossible. La voisine s’affaire autour du bébé dans la cuisine. Léon un vieux voisin console Gaby, sans larme, anéantie. Maman ne pleure pas, ce n’est donc pas si grave. Pourtant, Pierre est triste, il cherche le visage de son père, le son de sa voix. Papa était si souvent parti pour son travail que le départ à la guerre, ce jeudi d’août, ressemblait à une autre absence. Personne n’avait expliqué à Pierre ce qui se passait là-bas, ailleurs, au loin… à la guerre
 
L’état prend à sa charge la totalité des frais d’inhumation pour les soldats morts au champ d’honneur. Gaby toute vêtue de noir porte un chapeau dont le voile cache son visage épuisé, miné par la douleur.
Où va-t-elle trouver la force d’élever ses petits ?
Marc est chez Monsieur Canu, Roger et Pierre sont à l’école. Quand ils rentrent en fin d’après-midi, leur mère a remis sa blouse et son tablier.
 
— J’ai beaucoup de chagrin mes enfants, mais cela va aller. Dimanche nous irons ensemble au cimetière.
 
Gaby pousse le landau, la route est bien longue. Pierre est angoissé, le cimetière est comme un jardin où tous les morts sont ensemble. Les deux grilles du portail sont grandes ouvertes, des arbres pointus abritent de vastes allées. De chaque côté des dalles de pierre couchées par terre, grises, roses, noires. Un peu à l’écart, au bout du chemin, des jardinets fleuris, surmontés d’une stèle, regroupent les soldats. On ne reconnaît le sien que par le nom, la date de naissance, celle de la mort et ces mots « Morts pour la patrie ». Cela n’a aucun sens pour Pierre. Son père ne peut pas être là sous les fleurs. Patrie, ennemis, combats, guerre, morts… Il ne pleure pas, il ne comprend pas… Il a mal dans sa tête embrouillée, il serre les poings au fond de ses poches. Sa mère le regarde :
 
— C’est fini, lui dit-elle d’une voix cassée, Il ne reviendra pas…
— Non ?
 
 
 
 
 
 
À force de retenir ses larmes, Pierre oublie d’avaler sa salive, il respire à petits coups, un gémissement s’échappe de sa gorge. Et il pleure silencieusement, ses épaules s’affaissent sous le poids de sa peine. Papa n’est pas là… Papa ne sera plus jamais là… confronté à l’évidence de la guerre, de la mort, le petit garçon ressent nuit et jour une douleur inconnue, envahissante. Hier son père le comblait de plaisirs, de ses paroles, de ses gestes bourrus, si chauds… Aujourd’hui le vide s’appelle Louis, Pierre l’attend, atterré de son absence irrémédiable.
 
Roger a demandé à Gaby s’il pouvait dormir avec elle. Elle finit par accepter après avoir hésité longuement. Pierre blotti, sous les couvertures, entend les froissements des draps dans la chambre à côté. Il se sent tout à coup grandi, responsable, un peu comme Papa… Son frère est petit, Marc n’est qu’un bébé, donc il ne reste que lui pour aider Maman. Il s’assoit dans son lit, son enthousiasme, déjà, s’effiloche. Papa était si fort qu’il lui paraît impossible de pouvoir un jour le remplacer, il se sentait redevenir petit enfant.
 
— Qu’est-ce que je fais Papa ? dis-moi !
 
Atterré tout à coup de constater qu’il parlait à son père, c’était la première fois… Silence dans la pièce, dans sa tête, sa respiration doucement retenue l’aidait à reprendre son souffle. Non, non, il ne devait pas lui parler car il n’entendrait jamais de réponse, ce serait trop douloureux. Penser, raisonner dans le silence de sa tête, écouter des mots d’hier pour ne jamais les oublier.
 
 
 
 
 
 
Dans la cour de l’école, pendant la récréation, Pierre discute avec Robert son camarade :
 
— Ma mère m’a dit que ton père est un héros et que tu es fier d’être son fils.
 
— Il est mort, mais je suis certain qu’il ne le voulait pas, il nous aimait, comptait les jours pour revenir, et puis ta mère, comment sait-elle que c’est un héros ? affirme Pierre
 
— C’est écrit partout que les soldats sont des héros !
 
Pierre hausse les épaules, non pas fier, mais malheureux, si malheureux…
 
— Et, toi ton père, il est où ?
 
— Il avait trop bu, il est tombé de son vélo et s’est cogné la tête sur le trottoir, depuis il marche avec des béquilles, il ne parle plus, ma mère se plaint, elle l’appelle le boulet, tu vois bien que ton père est un héros, gémit Robert.
 
Pierre n’est pas convaincu, sa tête, comme dans le brouillard, se perd dans les replis de mémoire pour retrouver Louis étrangement figé. Les yeux noirs, brillants, un sourire muet éclairant son visage.
 
— Je sais ce que je dis, Georges raconte comment son père est mort, même qu’il a accroché sur sa blouse une médaille militaire, lui, il en est fier, insiste-t-il.
— Ce n’est pas vrai, l’armée écrit seulement sur la carte du facteur « Mort pour la patrie, au champ d’honneur ». Cela ne veut rien dire… alors il ne sait pas, il ferait mieux de se taire, il trahit son père.
 
— Salut, on n’en parle plus.
Pierre s’éloigne le cœur gros, si proche de Louis.
La mort, l’absence de Louis ont détruit toute émotion dans la tête, dans le cœur de Gaby. Même les images que les souvenirs lui imposent sont floues, pâlies par une brume grise. Elle ne l’entend plus le soir quand elle se couche et elle s’allonge au milieu du lit pour effacer la place vide. Elle cherche trop souvent, en caressant le drap, son corps chaud, doux, parfumé d’une senteur de frais, de propre. C’était comme si les enfants absorbaient toute sa force, il n’y avait plus de place pour être femme.
 
Gaby va et vient impassible. Les garçons sont gentils, en bonne santé. Pierre est le plus intelligent. Elle est soutenue matériellement par l’état en tant que veuve de guerre. Elle ne se remariera jamais. Son mari ferronnier était un véritable artiste de la dentelle de fer forgé, mais le savait-elle ?
 
Les façades accolées des premières maisons bordent Le Robec, l’arrière donne sur la cour commune. En face, les mêmes habitations s’appuient en terrasses sur la pente de la colline. A l’étage, la porte et la fenêtre ouvrent sur un grand jardin. Des herbes folles, des ronces piquantes enchevêtrées, des pensées égarées, c’est un peu la campagne en ville… Le chemin est nettoyé tout le long du mur. Le soleil chauffe la bande de pavés rouges, un chat allongé, de tout son long, somnole. Soudain, il plisse et ouvre les yeux ; d’un coup de patte impatient, il chasse un intrus posé sur son oreille. Il attend que Pierre ouvre la porte, pour se faufiler dans la chambre. Prestement il saute sur le fauteuil et gratte délicatement le velours élimé du bout des griffes.
 
Ce fauteuil, Louis l’avait ramené, solidement calé dans la carriole derrière le vélo. C’est Monsieur Blanc qui le lui avait offert pour lui témoigner sa satisfaction quant à l’exécution d’un cadre en fer forgé entourant un miroir. C’est avec minutie qu’il avait fabriqué et ajusté

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