Le Troisième Homme, entre rupture personnelle et crise catholique
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Description

Avant d’être un dissident de la psychanalyse, puis un des penseurs de l’hypnose, François Roustang fut jésuite pendant la première moitié de sa vie. En 1966, son article « Le troisième homme » prophétisait le désintérêt irrémédiable dont la religion catholique allait être frappée. Cet article, qui résonna comme un coup de canon, était aussi un nouveau départ. Par-delà la crise que Roustang vit et décrit, il met déjà en place les questions fondamentales de sa pensée : comment être libre ? Comment aller mieux ? Comment vivre ? Ève-Alice Roustang, sa fille, éclaire ce moment essentiel dans la vie de son père et sa trajectoire intellectuelle. Trois universitaires spécialistes du catholicisme, les historiens Étienne Fouilloux et Claude Langlois, et la sociologue Danièle Hervieu-Léger, restituent toute l’importance du « troisième homme » dans les manifestations d’une « crise catholique » qui, après Mai 68, sera portée à son paroxysme. François Roustang (1923-2016), thérapeute dissident de la psychanalyse, a mené une réflexion radicale sur les conditions du changement. Cela l’a conduit à redécouvrir l’hypnose pour produire une modification profonde de notre regard sur nous-mêmes et de notre rapport au monde. Il est l’auteur de livres majeurs parmi lesquels : La Fin de la plainte, Il suffit d’un geste, Savoir attendre. Pour que la vie change, publiés chez Odile Jacob. Ève-Alice Roustang est agrégée de lettres modernes et a enseigné le français à l’Université Columbia à New York et à celle de Californie du Sud à Los Angeles. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 janvier 2019
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738146649
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le texte « Le troisième homme » de François Roustang, initialement publié en octobre 1966 dans le numéro 52 de la revue Christus , a été reproduit dans ce livre avec l’aimable autorisation de la revue .
© O DILE J ACOB , JANVIER  2019 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4664-9
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
INTRODUCTION
Le courage de François Roustang

É VE- A LICE R OUSTANG

Si j’ai toujours su que mon père était un ancien jésuite, Le Troisième Homme a d’abord été pour moi une œuvre de Graham Greene, choisie par une professeure d’anglais ambitieuse quand j’étais en cinquième à l’école bilingue.
À 12 ans, je ne comprenais pas grand-chose à la nouvelle (pourquoi le protagoniste était-il désigné tantôt par son prénom, Holly, et tantôt par son nom, Martin ? Et comme il était surprenant d’arriver dans une ville étrangère pour retrouver un ami qui vous y avait invité – pour découvrir qu’il venait de mourir en traversant la rue !). Je fis donc appel à mon père, qui parlait bien anglais et était le détenteur du savoir dans la famille.
À l’occasion de questions qui devaient éclaircir pour moi l’œuvre de Greene, il me raconta qu’il avait lui-même utilisé ce titre. En 1966 (la nouvelle de Greene et le film d’Orson Welles datent de 1949), alors rédacteur en chef de la revue Christus , il avait publié un petit article intitulé « Le troisième homme ». Cet article, qui ne s’étalait que sur quelques pages et arrivait à la fin du numéro d’octobre, de manière qu’il aurait pu passer inaperçu, avait causé une révolution dans la revue et dans l’institution jésuite : en quelques mots, le père Roustang prédisait le désintérêt et la désaffection dans lesquels l’Église catholique était en train de tomber. On sait aujourd’hui combien il avait raison.
Après la parution de cet article, on avait demandé à Roustang de démissionner de son poste de rédacteur en chef. Son départ des jésuites avait suivi quelques mois plus tard. Qu’avait-il donc pu écrire qui causa ce tremblement de terre ?
Dans le numéro de la revue Christus d’octobre 1966, soit dix mois après la fin du concile Vatican II, le père Roustang affirmait que, alors que deux courants traversaient apparemment l’Église à ce moment-là, qui voyait s’opposer « ceux qui regrettent le temps passé » et « ceux qui veulent une adaptation meilleure des institutions », un troisième type de catholique était apparu, qu’il avait rencontré dans son travail quotidien. Silencieux, invisible, ce catholique-là ne se battait ni pour que la liturgie garde les formes qu’elle empruntait depuis des siècles ni pour que l’Église entre dans la modernité et accepte, par exemple, l’usage de la contraception. Ce catholique-là au contraire se désintéressait doucement des débats et combats menés au sein de l’Église et auxquels le concile avait donné voix ; de plus en plus, il vivait sa foi dans son intériorité, en la partageant éventuellement avec des proches, mais il ressentait de moins en moins le besoin d’appartenir à une paroisse et d’y participer. C’était là le « troisième homme ».
Quand je connus l’existence de cet article, l’expression de « troisième homme » prit place au sein de ma mythologie familiale pour représenter, dans la vie de mon père, une rupture entre un avant un peu mystérieux (et les brumes londoniennes persistant dans mon imagination ne contribuaient pas à éclaircir le mystère !), et l’après de sa vie que je connaissais un peu.
Je me souviens de la bibliothèque du couloir qui menait de notre appartement à son bureau, là où il recevait ses patients, et de l’étagère où figurait la pochette en carton vert qui contenait le fameux numéro de Christus , le seul qu’il ait gardé de cette époque 1 . Il y avait plusieurs bibliothèques dans notre appartement. Celle de la chambre de mes parents appartenait à ma mère et comptait beaucoup de romans, français et étrangers, ainsi que des ouvrages de sociologie et d’histoire. Dans celle de mon père, sur le mur de ce couloir passage d’un monde à un autre, c’était, pour l’essentiel, philosophie, sciences humaines, psychanalyse.
Je ne me souviens pas, dans mon enfance, avoir vu mon père lire des romans, sauf en anglais, une langue dont il voulait améliorer sa connaissance. C’est bien plus tard qu’il revint vers ce genre de lectures : Faulkner dans les années 2000 et puis, les dernières années de sa vie, Balzac, qu’il aborda d’abord grâce aux éditions de poche de ma mère. Après la mort de celle-ci, j’avais insisté pour que mon père conserve quelques-uns de ses livres, dont les Balzac, car j’étais restée attachée à ces vieilles éditions de Garnier-Flammarion dans lesquelles je l’avais d’abord lu. C’est en partie pour cette raison qu’il découvrit, ou redécouvrit, cet auteur : parce qu’il était là. Mais grâce à la liseuse électronique, il connut bientôt toute La Comédie humaine . Durant les derniers mois de sa vie, marqués en partie par l’ennui de la clinique, l’hôpital et la maison de soins, mon père accepta mes conseils de lectures : je lui apportai de nombreux romans de Simenon (autres que les Maigret, à mes yeux de grands romans), et lui fis découvrir Anthony Trollope, dont les romans-fleuves familiaux l’aidèrent à oublier le confinement de son espace et de ses mouvements.
Je me souviens d’une conversation que j’avais eue, adolescente, sur la lecture, avec ma mère. Comme je m’étonnais qu’elle eût, pendant sa jeunesse, tant lu, elle m’avait répondu : « La lecture, c’était l’évasion », m’en disant ainsi long sur cette jeunesse dont elle se refusait en général à parler. Il me plaisait que mon père fasse, sur son lit de malade, l’expérience de lecture qui avait été celle de ma mère à une autre époque.
Je me souviens de lui ouvrant la pochette en carton, qui était simplement posée sur une rangée de livres. Il en avait tiré le fameux numéro de Christus et j’avais été surprise, en feuilletant la revue, de la brièveté de son article : quoi, seules quelques pages avaient décidé du changement de direction de sa vie ? La revue comptait d’autres articles bien plus importants, et sa « chronique » arrivait d’ailleurs en fin de numéro, comme une arrière-pensée. Ce n’était pourtant pas une arrière-pensée de Roustang, et bien sûr ce n’est pas la publication de ces quelques pages qui transformèrent son existence. Cependant, ces quelques pages, un ajout éditorial de dernière minute 2 , avaient donné voix à des réflexions qui le tourmentaient de toute évidence depuis longtemps. Mais une fois publiques, ces réflexions mirent le feu aux poudres et provoquèrent son départ de la direction de Christus . Quelques mois plus tard, il quittait les jésuites 3 .
Je l’interrogeai sur son état d’esprit au moment de la publication, et s’il avait eu conscience de ce qu’il écrivait. Absolument, me dit-il : il savait très bien ce qu’il faisait en rédigeant et publiant ce texte. À Michel de Certeau, le codirecteur qui avait approuvé sans hésiter la publication du texte « Le troisième homme », mon père avait demandé de bien réfléchir, car si la chronique sortait, avait-il déclaré à un Certeau incrédule : « Tu peux faire tes valises. Nous pouvons tous faire nos valises. »
Courageux, alors, ce jésuite qui n’était déjà plus un jeune homme (il avait 43 ans en 1966) ? Mon père admettait volontiers qu’il possédait cette qualité, à condition de préciser : « Je ne suis pas intelligent, mais je suis courageux. » C’est une phrase que je l’ai d’ailleurs souvent entendu répéter. Il la disait avec conviction, l’attribuant parfois à un ami ou collègue qui aurait déclaré parfois avec admiration, mais souvent avec condescendance : « Roustang ne manque pas de courage. » Mon père ajoutait que personne n’avait en revanche jamais loué son intelligence. Cette phrase m’a d’abord interloquée, et puis réjouie, car je savais qu’elle était à moitié fausse, mais la sincérité avec laquelle il la prononçait me plaisait et aussi que, ce qui comptait pour lui bien plus ou du moins autant que l’intelligence, c’était le travail, la persévérance et la ténacité.
Il est vrai que, vu de l’extérieur, il en fallait, du courage, pour commettre un acte qui allait mettre fin simultanément à une situation professionnelle prestigieuse et à une vie matériellement confortable. Certains d’ailleurs au sein de l’institution lui avaient demandé pourquoi il s’agitait : il pourrait bientôt prendre sa retraite ! Il allait être tranquille ! Pourquoi jeter un pavé dans la mare ?
Je dirais, à la lumière de l’homme que j’ai connu et de sa réflexion plus tardive sur l’hypnose et la thérapie, que ce qui l’avait fait agir, écrire et publier « Le troisième homme », loin de relever d’une provocation, répondait à une nécessité vitale. Des provocations, à Christus , à la rigueur, il y en avait eu d’autres, pendant qu’il occupait la position de directeur de revue, position qu’il n’avait pas désirée. Mais, en 1967, il allait traverser une période de vide, de dépression au sens le plus littéral, comme il en est quand on doit changer de vie, parce qu’on s’est aperçu que nos repères, nos croyances, nos habitudes de pensées ne sont plus applicables, n’ont plus cours pour nous. Mon père ne pouvait plus vivre comme il avait vécu jusqu’alors et comme il avait longtemps pensé qu’il vivrait toute sa vie. Il fallait donc du courage pour accomplir cett

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