Le Petit noir des Balkans
102 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le Petit noir des Balkans , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
102 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

«(...) Le livre était ce passage par lequel je devais me connaître et mieux appréhender la vie. Ce puzzle était caché quelque part en moi, je n'avais plus qu'à le reconstituer, pour en faire un livre. Je devais transformer ce désordre intérieur en ordre extérieur, qui se retrouverait concentré dans le livre. Mais pour ce faire, il me fallait (pensais-je) trouver le fil conducteur, le fil magique, qui serait capable de relier toutes les parties de mon histoire en traversant toutes les situations de la vie. » Ce fil conducteur, ce sera le café, celui de sa mère, de son père, de sa tante, café filtre ou café turc, le café du quotidien. De l'enfance en ex-Yougoslavie à son arrivée en France, du BEP comptabilité à la découverte de la littérature et de la peinture, « Le petit noir des Balkans » mélange la petite histoire à la grande : omniprésente, la guerre obsède l'auteur qui ne manque pas de porter un œil critique sur les tourments de son pays natal. Brkic Dragan jette un regard ironique, tantôt drôle, tantôt virulent mais toujours empreint de tendresse sur sa vie. Non seulement il nous passionne, mais en plus il émeut...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 novembre 2004
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342037807
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Petit noir des Balkans
Dragan Brkic
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Publibook
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Le Petit noir des Balkans
 
 
 
 
Chapitre premier. Le fil conducteur
 
 
 
Juillet 1998, l’avant-dernier été du vingtième siècle allait ressembler à ceux que j’avais précédemment vécus : devant moi s’entrouvraient les portes d’une ère de liberté estivale… Tout me poussait à les franchir et à prendre la poudre d’escampette : mon corps était fatigué par le stress social et mon moral atteint par la morosité ambiante causée par ce que je voyais autour de moi et ce que les médias m’en montraient… Mais, comme les autres années, une fois confronté au départ, voilà que je flanchais. Je n’arrivais plus à partir, quelque chose m’incitait à rester sur place. D’une manière ou d’une autre, il fallait absolument que je résolve ce malaise. Et dans mon cas, le moyen, la solution, l’aide roborative passait par la peinture et l’écriture.
Je me suis donc retrouvé chez moi, entre quatre murs, avec pour seule et unique compagnie ces pages blanches à remplir et la présence insidieuse de cette sacré bon dieu de télé. En effet, je m’étais fixé comme objectif, en filigrane de ma vie, la rédaction de mon premier livre. L’occasion rêvée se présentait : une prime de temps libre accordé par l’engrenage stakhanoviste du travail salarié. Ce n’était pas si facile que ça de tenter cette aventure et de résister aux charmes des vacances, mais « tant pis pour elles », « qu’elles aillent au diable ». « Allons-y gaiement, en prenant le taureau par les cornes », m’étais-je persuadé. Le risque d’écrire, voilà des mois que je le frôlais sans aller plus avant. Et pourquoi ça ? Ne vendons pas la mèche si tôt. La raison immédiate, à ce moment-là, c’était le dégoût, voilà tout. Cette gadoue qu’on nous servait jour après jour à la télé m’écœurait. Un moment, j’avais pensé adopter une attitude nihiliste : en refusant toutes les informations, en vivant en autarcie, en fuyant toutes les vacheries de cette terre. Mais, non, pas moyen de faire comme si de rien n’était, c’était plus fort que moi : il était vital de s’informer, de s’intéresser au monde. Et à plus forte raison qu’il m’inquiétait au plus haut point : la guerre surréaliste en ex-Yougoslavie dont je ne voulais pas, la déliquescence de l’URSS aux conséquences colossales sur mes sempiternels Balkans, le réveil islamiste en Algérie que je ne comprenais pas, et ainsi de suite… Au demeurant, toutes les vacances de la terre n’auraient pu me rendre un quelconque semblant de vie. Qu’est-ce que j’y aurais trouvé de toute façon ? La satisfaction proprement grégaire d’être présent, comme le commun des mortels, au bon moment, à l’endroit requis… Bof ! Le bonheur d’être dans mon corps… J’y étais déjà tous les jours ! La chaleur moite des boîtes de nuit… Ouf, j’y ai échappé ! Le bronzage… Pour quoi faire ? Les femmes et leurs belles courbes balancées… Pourquoi pas, mais elles aimaient mieux se balancer avec d’autres que moi cet été-là. Tout simplement, je n’étais pas à leur image, pas dans leur monde… Bref, si je voulais m’en sortir, après le rude hiver que je venais de passer, je n’avais pas d’autre choix que l’écriture. C’était une nécessité : comme le pain, l’eau et le café…
Voilà, le livre était ce passage par lequel je devais me connaître et mieux appréhender la vie. Ce puzzle était caché quelque part en moi, je n’avais plus qu’à le reconstituer pour en faire un manuscrit. Je devais transformer ce désordre intérieur en ordre extérieur condensé dans un bouquin. Pour ce faire, je pensais qu’il me fallait trouver un fil conducteur, un fil magique qui aurait été capable de relier toutes les parties de mon histoire en traversant toutes les situations de la vie. J’en avais besoin car je ne souhaitais pas initialement parler de ma propre personne ni parler exclusivement de la guerre, cette maudite saleté qui occupait toutes mes pensées malgré moi. Je voulais parler de tout à la fois – de la vie, tout simplement… On dit couramment que les choses recherchées se trouvent souvent parfois bien plus près de nous qu’on ne le croit au départ, ce qui était entièrement vrai dans mon cas. Ce fil, c’était tout bonnement le café que j’étais en train de boire pendant que je réfléchissais, comme tant de potaches, d’écrivains en herbe et d’artistes l’avaient bu avant moi dans cette même solitude créatrice d’un soir d’été évidé. L’espace d’une seconde, j’ai été – comment dire ? – comme illuminé par l’odeur de ce café. Auparavant, je ne l’avais perçue ainsi. Elle effleurait essentiellement des instants gourds, anodins, voués à tomber dans l’oubli. Désormais, en me l’accaparant, j’étais dans ses volutes. Le petit noir devenait le fond et la forme, l’âtre de mon passé, la substance salvatrice des images moulinées par les pouvoirs en place, le moyen de se balader à travers la vie comme sur un tapis volant et, sans moins de légèreté, de cimenter une histoire qui était la mienne. C’était carrément magique ! Je n’avais plus qu’à lire dans le marc de ma vie pour y découvrir le trésor de mes pérégrinations. Le miracle était bien là, devant moi. Il ne me restait plus qu’à réaliser ce qui m’appartenait déjà. Le concept de mon bouquin préexistait…
Je pense en effet que la réalisation d’une œuvre constitue en elle-même un miracle. J’ai l’intime conviction que les hommes se trompent en confondant depuis l’aube de l’humanité les miracles avec les faits inexpliqués. En fait, ce qu’on devrait appeler « miracle », c’est la capacité de l’homme à comprendre un fait énigmatique. Le miracle nous a été donné pour connaître…
Bon, passons pour mes cogitations à ce sujet. J’en étais à mon miracle personnel, à savoir démarrer mon livre et, par la suite, retourner à rebrousse-poil dans la vie active pour y subir maintes questions sur ces satanées vacances.
À certains, j’aurais répondu que je les avais passées en Bosnie ou à Papeete ; à d’autres que j’avais juste fait un petit saut à Paris, en aller-retour pour boire un café à Montparnasse et revenir aussi sec dans mes pénates ; à d’autres encore que je les avais simplement passées chez moi par pudeur devant ma tasse de café, car je n’avais plus l’envie de les amuser gratuitement…
 
 
 
Chapitre II. Un petit canard…
 
 
 
Dans les années mille neuf cent soixante, j’étais un tout petit mioche qui habitait en Voïvodine, un territoire autonome au nord de la Serbie. C’est dans cette mosaïque de peuples que la vie s’était malencontreu­sement éveillée pour moi…
N’ayant pas le temps de s’occuper de son gosse, ma mère me laissait le plus souvent chez un ami, parrain, qu’on surnommait « čika Franjo », autrement dit pépé François. Ce bienfaiteur s’occupait de ma petite personne. Dès que ça tournait mal à la maison – et c’était souvent le cas –, je m’enfuyais dare-dare chez lui. L’écriture, comment dire, commençait à se fabriquer, à se nourrir de sensations fortes dans cette ambiance communiste. Une fois, entre autres, elle allait être marquée par un événement qui se révélera par la suite important pour moi. Voilà pourquoi je commence sur ces images…
J’avais quatre, cinq ou six ans, je ne me souviens plus très bien. L’été avait été comme à l’accoutumée, chaud, torride. Ça, on est obligé de s’en souvenir. La lumière divine nous tapait sur le ciboulot comme elle cognait la terre jusqu’à ce qu’elle crame et devienne aussi sèche que notre épiderme pelé. Nous, les mômes, rentrions comme chaque après-midi de l’école, tandis que les vieux s’adonnaient très certainement à leur passe-temps favori. Dieu, lui, était partout et nulle part. Partout autour de nous et nulle part dans le ciel… Nulle part, parce que nous n’en avions jamais sérieusement entendu parler et il ne nous avait jamais donné aucun signe de vie. Partout, car c’était le « père Tito » qui ne nous lâchait pas d’une semelle. Si bien que nous ne vivions plus qu’en lui, et lui n’existait sur cette terre que pour nous (selon la version officielle). À l’école, nous apprenions son évangile, et au domicile tout le monde possédait au moins une de ses icônes. Josip Broz Tito était notre ange gardien terrestre, notre compagnon pédestre, nous accompagnant à chacun de nos pas, sur le rythme desquels, en bons scouts, nous chantions une de ses fameuses odes partisanes dédiées à la gloire de ce seigneur omnipotent. Notre initiation, c’était son chemin de croix, et de toute façon nous n’avions pas le choix, car les autres croix étaient planquées, poussiéreuses, quelque part dans les combles ou dans quelques cimetières et charniers disséminés à travers les catacombes du pays. Mais les vieux connaissaient parfaitement ces coins et recoins de ce passé douloureux, atrocement humain. Ils le traînaient langoureusement vers un avenir des plus incertains, livide, boueux, inhumain. « La vie est une roue qui tourne dans la boue, tourne… tourne… respire, souffle… et puis y retourne », nous ressassaient les anciens. L’éternel bourbier balkanique, les éternels égorgements, la perpétuelle rengaine nous donnait le tournis. « Mais bon dieu, c’est leurs histoires, pas les nôtres ! », ai-je été maintes fois tenté de m’écrier. Malheureusement, nous, les mômes, y étions bon gré mal gré assujettis. Ils nous avaient déjà refilé cette peste, comme on la leur avait déjà refilée et comme elle avait déjà été transmise à l’humanité entière…
C’était un après-midi des années soixante, je me trouvais dans une rue maussade entre deux trottoirs où deux groupes se faisaient face. Ceux-ci étaient serbes, ceux-là hongrois ou autr

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents