Le Jour de la Saint-Antoine
150 pages
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Le Jour de la Saint-Antoine , livre ebook

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Description

« Si je t'avais épousé, j'aurais épousé ta tristesse, elle m'aurait habitée et abîmée. Ton avenir se résumait à moi ; le mien se voulait bien plus exponentiel, je ne t'aurais pas permis d'être heureux. Tu ne l'as pas compris, je pense que tu m'en as voulu, pourtant, je le sais, je n'étais pas faite pour toi. Quand est-ce que l'on comprend que l'on ne s'aime plus ? La vie ne me l'a pas appris, à toi non plus, je crois. » Tout d'abord, il y a l'insouciance de l'amour. Toute sa puissance qui, malgré les anicroches, fait de lui un sentiment invincible. C'est sans compter sur l'usure du quotidien, les rêves qui divergent, les éducations aux antipodes, autant de facteurs qui lézardent le couple. Et après l'éclatement de celui-ci, se retrouver est-il possible ? Tout peut-il s'oublier quand, en plus, l'un semble avoir aimé plus que l'autre ? Douce et terrible autopsie d'un couple qui se fait et se défait sur plusieurs décennies, Le Jour de la Saint-Antoine déroule, de l'innocence à l'amertume, les histoires parallèles et croisées d'un homme et d'une femme à la fois trop proches et trop dissemblables.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 janvier 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342150001
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Jour de la Saint-Antoine
Gabrielle Squards
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Le Jour de la Saint-Antoine
 
Retrouvez l’auteur sur son site Internet : http://gabrielle-squards.publibook.com
Le premier temps de la valse
Antoine ?
Antoine ! Je suis sûre que c’est lui, Antoine !
Mon Antoine…
L’Antoine de mes amours, de mes rêves et de ma jeunesse… Tu es là, face à moi, enfin, presque… Avec tes yeux si bleus, si clairs, un peu comme le ciel du Nord parfois d’un bleu très pâle, hésitant encore entre le bleu et le gris. Ton regard transperce l’écran. Il s’envole vers moi, il volette au-dessus de ma tête.
Il m’atteint en plein cœur. Incroyable ! Face à moi, enfermé dans le petit écran, ton image s’anime, ton sourire rayonne, ton regard me chatouille, il me câline presque. Je me sens tellement ridicule ! Je ne suis pas sûre que tu sois heureux, pourtant, tu as l’air d’avoir de l’assurance. J’en suis ravie, je me sens envahie d’émotions.
Tu parles, tu souris, tu sembles à l’aise, sûr de toi…
Je t’avais connu si timide.
Tes mains dessinent des collines mais toi, tu parles de « terrils », ces « montagnes » noires faites de schistes que l’on trouve dans le Pas-de-Calais, tu étais si fier d’y être né. Toi, tu dis les terri en exagérant l’accent, ton fichu accent…
Je m’en souviens bien, je l’entends, il résonne en moi et je souris tout en me demandant s’il ne m’agaçait pas un peu, autrefois, cet accent.
Le passé m’envahit, mes jambes me lâchent. Je dois me tenir aux murs qui tournoient, je vacille. Je retiens mon souffle. J’ai l’impression que tu vas crever l’écran et sauter à mes pieds, d’un bond léger. Tu as toujours eu un corps d’athlète… Ton regard semble rester embué de tendresse mais tes yeux semblent tristes, aussi gris que le ciel de chez toi. Des yeux éternellement perdus restant presque coupables, pourquoi ? Je reste là, pantoise, m’étonnant d’écouter un récit qui ne me concerne pas, une lutte qui n’est pas la mienne. Tu décris le labeur des hommes du fond et celui des femmes de mineurs qui œuvrent, silencieusement, dans la poussière et le respect du moindre sou. Tu effleures le sujet. Tu parles comme dans un roman et moi, je t’écoute, pleine d’admiration. Tu décris le « briquet », ce morceau de pain noir coupé en deux tranches épaisses et enduit de matière grasse, du saindoux. Les hommes l’emportaient dans leurs besaces… Insatiable conteur, tu ne quittes pas des yeux ton auditoire et tu racontes, le soir tombé, ce rituel de partage des petits morceaux de pain restant que les pères réservaient à leurs fils, la plus belle part allant de droit dans la bouche de l’aîné. Je ne pense pas que tu aies eu l’occasion de t’en délecter ; dans mes souvenirs, tu n’as connu ni la mine ni ton père.
Tu n’en as pas eu le temps.
Tu rappelles que la dernière mine n’a fermé qu’en 1999 à Oignies ; ce n’est pas si loin dans le temps. Tu insistes, tu veux convaincre, tu veux que chacun s’imprègne de la lutte des hommes du fond, la comprenne et la fasse sienne. Alors tu devises, tu converses, tu n’arrêtes pas. Les mots se bousculent, tes gestes les accompagnent, les renforcent et les affirment. Ils s’entremêlent parfois. Je suis là, ahurie de te revoir dans cet extraordinaire face-à-face, une farce du destin. C’est bien toi, Antoine, si semblable mais si différent… Toi qui ne disais rien ou presque, toi qui parlais si bas que l’on devait tendre l’oreille à tes murmures… Te voilà volubile, je n’y crois pas, je me pincerais presque. Les maisons, tu les appelles les corons  ; tu dis qu’elles se ressemblent toutes. Tu les décris avec la pièce centrale et son poêle au charbon nourri aux gaillettes. Tu racontes comment la femme, avec sa sueur et son courage, prenait en charge son labeur.
«  Elle rinch sa maison, des sols aux plafonds, puis, elle lav “cor” l’trottoir, elle brique l’carrelach.  »
Je n’ai jamais compris l’intérêt de laver le trottoir et tu n’admettais pas mon incrédulité face à cette évidence, alors, pour te plaire, j’avais fait semblant de m’être convaincue. J’ai accepté, en apparence, qu’il faille absolument laver les pavés des villes grises comme le ciel.
Ce fut mon premier mensonge.
J’ai endossé ce discours pour devenir tienne mais peut-être que déjà, inconsciemment, je pressentais que nous n’étions pas du même monde et que les fossés posés entre nous feraient barrage à notre union. Plus rien ne t’arrête, tu continues ton exposé aux allures de prêche :
Et puis, «  faut cor ’qu’elle s’occupe des ch’tiots et qu’elle fasse le manger  ».
Ta voix s’élève, se renforce, se module et, parfois, s’enflamme. Tu parles d’une culture qui n’est pas la mienne, tu ne me l’as pas transmise, je ne l’ai pas apprise.
Comme ce patois m’agaçait autrefois !
J’ignorais tout du « ch’ti » et des autres patois. Dans le monde de mon enfance, seule la langue française était autorisée à passer par la grosse porte en bois qui calfeutrait l’entrée de la maison grand-parentale ; les mauvais parleurs aux accents des pays voisins ou aux teintes rocailleuses des proches montagnes pyrénéennes n’entraient pas non plus.
Aujourd’hui ton patois m’amuse, il ne me concerne plus. Ta voix vibre encore et toujours, à l’écho de tes gestes. Ils se font tendres, je les reçois comme un cadeau. Tes mains ondulent en dessinant dans l’air les collines et les maisons, les villages des mineurs. On croirait lire Zola.
J’imagine les femmes penchées sur leurs baquets, trempant leurs wassingues . Dans ma tête, je les dessine, avec leurs cheveux plaqués, pas très souvent shampooinés, jamais lissés, ils collent sur leurs crânes, retenus par la crasse et par la sueur. Ils sentent la poussière et la lessive. Les hommes sont des travailleurs de force, ils bossent dur et ne se plaignent pas. Quand ils ne crèvent pas au fond, ils ramènent la silicose et crachent du charbon jusqu’au cimetière ; pour sûr, aucun ne fait de vieux os. Ils n’ont pas le temps de parler aux enfants, alors, c’est la femme qui les dresse comme des petits chiots, elle leur apprend à filer droit à coups de taloches et de coups de pied dans le derrière.
Ça n’a jamais fait de mal à personne.
Eux, caressent les têtes blondes, le dimanche. Ils osent hausser le ton à la lecture des notes de compositions et des classements qui doivent être bons, absolument bons, pour que «  ch’tio ils ailleto pas dinl’fon  ». Ils rendent leurs paies, toutes les semaines, même s’ils en gardent un peu pour aller boire une chope pendant que les femmes «  éto al’messe pour prier leur bon Dieu  ».
Eux, n’ont pas le temps de prier.
Quelle fierté tu éprouves, quelle fierté tu transmets quand tu parles des « gueules noires » ! D’où te vient cette superbe, je ne la reconnais pas. Ou peut-être ne l’ai-je jamais connue ? J’étais la femme que tu attendais mais je n’étais pas celle qu’il te fallait. Tu étais celui que j’ai aimé mais c’est pour cela que je t’ai quitté. Je n’avais pas de modèle en amour mais je savais ce que je ne voulais pas vivre, le mépris, le déni, la négation de l’autre. Je voulais vivre à cent à l’heure, aimer et être fière de mon aimé. J’avais compris que les distances multipliées abîment et détruisent une fois passée la force du coup de foudre amoureux. Je savais combien les êtres trop différents finissent par s’éloigner et parfois se détruire.
Nous n’étions pas faits l’un pour l’autre, Antoine, tout, absolument tout nous séparait, la culture, l’ambition, le destin, tout… Je n’aurais pas pu sourire tous les matins sous le ciel triste d’une vie fade, sans avenir ni devenir. Si je t’avais épousé, j’aurais épousé ta tristesse, elle m’aurait habitée et abîmée. Ton avenir se résumait à moi ; le mien se voulait bien plus exponentiel, je ne t’aurais pas permis d’être heureux. Tu ne l’as pas compris, je pense que tu m’en as voulu, pourtant, je le sais, je n’étais pas faite pour toi. Quand est-ce que l’on comprend que l’on ne s’aime plus ? La vie ne me l’a pas appris, à toi non plus, je crois. J’ai lutté pour te garder, j’ai lutté pour tenter d’y croire, de construire et de reconstruire une félicité mais le  Toi et moi et moi et toi ne me suffisait pas.
J’étouffais.
Notre vie fut faite de rencontres, de hasards, de ruptures et de silences, une destinée incroyable et unique, la nôtre. De notre histoire il n’est pas né d’enfant, un signe intelligent de notre destinée douloureuse, une sorte de néant, conjuguée ensemble parfois mais, le plus souvent, chacun pour soi.
Tu parles toujours, haut et fort, insistant sur les mots, brandissant ton micro, regardant ton public invisible et t’adressant à lui, droit dans mes yeux comme pour mieux me pénétrer. Tu parles sans t’arrêter, tu connais ton sujet, et je suis là, debout, appuyée à la paroi, scotchée à ta voix.
L’entrée de la région minière dans le patrimoine de l’Unesco est une sacrée reconnaissance et tu te fais le porte-parole de tous ces hommes qui ont donné leurs vies à la mine, comme ton père, sans doute. Comme si ton temps de parole était compté, tu presses le débit et tes « a » chantent des « o » orchestrés de tes « che » en écho… Je te soupçonne de faire exprès d’exagérer ton accent ch’ti. Je n’ai plus l’once d’une hésitation, c’est bien toi que j’écoute, les yeux mouillés et qui s’embrouillent dans de si vieux souvenirs arrachés à avant-hier, renaissants, se cherchant, s’inventant peut-être aussi.
Toi, tu n’as pas changé.
Tu es toujours aussi beau, tu as toujours été beau, je me souviens de cet été-là, et de toutes les filles qui te tournaient autour mais tu t’

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